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Une étude capitale sur Alzheimer aurait été falsifiée

La protéine amyloïde-bêta-56 est au cœur d'un véritable scandale scientifique (image d'illustration).
La protéine amyloïde-bêta-56 est au cœur d'un véritable scandale scientifique (image d'illustration).image: getty

Une étude capitale sur Alzheimer aurait été falsifiée et c'est inquiétant

La recherche sur la maladie d'Alzheimer est secouée par un scandale de contrefaçon. Des millions pourraient avoir été investis dans de faux projets.
27.07.2022, 11:14
Simon Maurer / ch media
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Les accusations sont lourdes: l'un des cinq documents les plus importants sur l'origine de la maladie d'Alzheimer contiendrait des falsifications. Le premier auteur, Sylvain Lesné, de l'Université du Minnesota, est soupçonné d'avoir manipulé des images d'échantillons dans son étude très influente de 2006.

Sa recherche sur la maladie d'Alzheimer est l'une des plus citées de ces 20 dernières années, et à ce jour, elle a été mentionnée dans 2269 autres travaux. Des millions de fonds de recherche ont également été investis dans de nouveaux projets en référence à cette étude.

Si ces accusations étaient fondées, tout un champ de recherche aurait étudié la mauvaise protéine pendant des années. Cette thèse a été publiée vendredi dernier par le magazine Science. L'accusation est soutenue par plusieurs chercheurs renommés dans le domaine de la maladie d'Alzheimer.

«Il n'y a aucun doute, les accusations sont fondées», déclare Adriano Aguzzi, professeur de neuropathologie et directeur de l'institut à l'université de Zurich. Aguzzi soupçonne que Lesné n'a pas seulement triché sur ce travail mais aussi sur d'autres.

«On voit dans plusieurs travaux de Lesné les mêmes motifs frappants dans des représentations qui semblent suspectes»
Adriano Aguzzi, professeur de neuropathologie à l'université de Zurich
Adriano Aguzzi, professeur de neuropathologie à l'université de Zurichimage: zvg

C'est particulièrement dommage pour les co-auteurs de Lesné, car leurs prestations honnêtes sont désormais également discréditées à cause de sa contrefaçon.

L'une des co-auteures de Lesné, Karen Ashe de l'Université du Minnesota, s'est déjà expliquée auprès du journal Star Tribune: «Pour moi, après des décennies de recherche sur la maladie d'Alzheimer, c'est dévastateur de voir qu'un co-auteur a pu éventuellement m'induire en erreur, moi et la communauté scientifique, de cette manière, avec des images trafiquées». L'Université du Minnesota, en tant qu'employeur de Lesné, a désormais également ouvert une enquête pour examiner les accusations.

Un médicament très controversé

La recherche sur la maladie d'Alzheimer n'avance pas vraiment depuis des années et ce malgré de gros efforts et un soutien généreux des fonds scientifiques. Il existe certes déjà environ 130 médicaments qui sont testés sur des animaux et en partie sur des humains, mais aucun n'a encore donné de résultats convaincants. Sur ces 130 médicaments, une centaine sont conçus pour s'attaquer à la protéine étudiée par Lesné qui n'est peut-être pas le principal déclencheur de la maladie d'Alzheimer.

En Suisse, aucun médicament curatif contre la maladie d'Alzheimer n'est actuellement autorisé. La situation est différente aux Etats-Unis, où un anticorps monoclonal appelé Aducanumab a été autorisé l'année dernière avec une autorisation provisoire et des conditions. Mais l'effet de ce médicament est également controversé, après l'autorisation, trois collaborateurs de l'autorité d'autorisation ont démissionné parce qu'ils n'étaient pas d'accord avec la décision.

Déjà à l'époque, la recherche sur la maladie d'Alzheimer faisait la une des journaux du monde entier. C'est le chercheur américain Matthew Schrag qui porte aujourd'hui l'accusation principale contre Lesné. Le médicament n'a jamais été autorisé en Europe et en Suisse. En raison de la controverse aux Etats-Unis, le fabricant Biogen a même retiré sa demande d'autorisation de mise sur le marché en Suisse il y a trois mois.

«Il ne faut pas jeter le discrédit sur toute la recherche»

«L'étude de Lesné a surtout été citée pour sa méthode d'identification des protéines», explique le neuropathologiste Aguzzi. Avec son étude, Lesné avait confirmé une théorie sur l'origine de la maladie d'Alzheimer qui avait déjà été préconisée auparavant par de nombreux chercheurs: il avait trouvé dans le cerveau de rats atteints d'Alzheimer des accumulations de protéines dites amyloïdes bêta-56 qu'il soupçonnait d'être à l'origine de la maladie.

«Si les résultats sont vraiment falsifiés, la question qui se pose maintenant est de savoir si les protéines amyloïdes provoquent la maladie d'Alzheimer ou si elles ne sont qu'un sous-produit inoffensif», explique Ansgar Felbecker, médecin-chef à l'hôpital cantonal de Saint-Gall qui mène lui-même des recherches sur la maladie d'Alzheimer.

Le professeur Aguzzi affirme en revanche qu'une immense quantité de données plaide toujours en faveur de l'hypothèse amyloïde. Mais il ne s'agit pas exactement des protéines amyloïdes bêta-56 de Lesné. Celles-ci ne sont qu'une possibilité parmi d'autres. «Il ne faut pas jeter le discrédit sur toute la recherche sur la maladie d'Alzheimer à cause de cela».

Des cas de fraude en Suisse

Un cas similaire à celui des Etats-Unis est théoriquement possible en Suisse. Selon Matthias Egger, président du Fonds national suisse (FNS), environ trois cas de fraudes graves en matière de recherche se sont produits au cours des dix dernières années.

«Nous finançons des études avec des fonds publics et avons donc une directive qui garantit que les chercheurs impliqués mettent les données brutes à la disposition du public». Sur Internet, toute personne intéressée pourrait trouver et vérifier ces informations.

Pour des raisons de protection de la personnalité, les données médicales font toutefois exception à cette règle. Celles-ci ne sont généralement publiées que sous forme de valeurs moyennes des patients ou de groupes de patients, de sorte qu'une identification des participants à l'étude est impossible. Il serait donc possible que ces données aient été falsifiées. Le président du FNS, M. Egger, explique:

«Pour éviter la publication de données manipulées, les revues devraient être plus attentives et vérifier les images à l'aide d'algorithmes, par exemple»
Matthias Egger, Praesident National COVID-19 Science Task Force, spricht waehrend einer Medienkonferenz zur Situation des Coronavirus, am Freitag, 1. Mai 2020, in Bern.(KEYSTONE/Peter Schneider)
Matthias Egger, président du Fonds national suisse de la recherche scientifiqueimage: KEYSTONE

Cependant, il faut aussi un changement de culture dans les universités de sorte que la pression malsaine de publier dans les meilleures revues diminue.

Le chercheur Ansgar Felbecker de l'hôpital cantonal de Saint-Gall est du même avis: «Dans le système actuel, la science est vulnérable à de telles fraudes». L'attribution de fonds et de gloire est trop axée sur la publication dans les revues les plus importantes. Des contrôles plus stricts ne suffiront pas à empêcher les cas de contrefaçon.

Traduit de l'allemand par Nicolas Varin

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