Bon, on s'est trompé. En lançant un coup de fil à Volkan Oezdemir, on s'attendait à se faire cueillir par un champion fatigué des gesticulations de Musk et Zuckerberg. On espérait même que ce combattant romand en UFC (Ultimate Fight Championship) nous avoue que les deux enfants gâtés de la tech ridiculisaient son art, à force de poser leurs couilles sur l'octogone médiatique.
C'est vrai que le défi est tout sauf une blague. Rien à voir avec l'esbroufe affichée des rappeurs français Booba et Kaaris, qui se promettaient mollement d'en venir aux mains sur un ring, après s'être frittés comme des gamins dans un duty-free d'aéroport parisien. Depuis la première bravade d'Elon Musk, le 21 juin dernier sur Twitter, s'avouant «partant pour un match en cage, si Zuckerberg l'est», les deux milliardaires américains n'ont jamais cessé de consolider l'espoir de les voir un jour se mettre des droites.
Si la rivalité n'est pas nouvelle, elle fait désormais contracter les muscles et monter les enchères. Le combat pourrait se dérouler au Colisée à Rome, à Las Vegas ou en France. Et le président de la puissante ligue UFC, Dana White, se lèche déjà les babines à l'idée d'organiser «le plus grand combat de l'histoire des sports de combat». L'homme a d'ailleurs joué les intermédiaires de l'ombre, au début, lorsque les deux géants de la Silicon Valley n'osaient pas encore croire que l'autre pouvait se montrer sérieux.
On comprend l'assiduité du businessman américain. Si cette joute de nerds venait à prendre corps, les millions pourraient pleuvoir sur sa ligue. Notre champion fribourgeois est du même avis, puisqu'il considère cette bagarre de luxe comme «une incroyable opportunité de braquer la lumière sur des arts martiaux encore méconnus» et de titiller «l'intérêt de sponsors potentiels».
Se défier (à la loyale, comme le veut l'adage), c'est un grand fantasme depuis la nuit des temps, gorgé d'amour-propre, d'arrogance, de testostérone et de peur panique de l'humiliation. Au flingue, à l'épée, à mains nues, le duel a toujours offert une solution clé en main à quiconque envisage de laver son honneur dans le sang du connard d'en face. Bien avant les clashs musicaux entre rappeurs. A notre époque, on a plutôt coutume de «régler ça dehors», le samedi soir, avec deux ou trois rhums-coca dans le pif. Tout cela, entre mâles (la plupart du temps), souvent très attachés à leur réputation. La vain-glory, comme disent les Anglo-saxons.
Rappelez-vous, il y a deux mois, le propagandiste russe Vladimir Soloviev défiait Volodymyr Zelensky, avec pour objectif de régler cette satanée guerre «entre hommes». Plus ancienne, cette anecdote sur Marcel Proust traité de «chochotte» et d'«écrivain précieux» par un journaliste téméraire. La future star proposera à ce critique littéraire une lutte au pistolet, le 6 février 1897, à l'aube. Ils tireront tous deux dans le sol.
Ce n'est probablement pas pour rien que Musk, le 10 juillet dernier, comme un aveu temporaire d'impuissance masculine, a traité son rival d'imbécile (cuck, en anglais), en lui proposant un «concours de bite». Si le milieu de la tech est réputé pour s'être très tôt emparé du jargon des boys clubs, piochant leur répartie dans le slip du voisin, l'UFC n'est pas en reste. En somme, une guéguerre physique comme une suite logique, pour les deux magnats californiens.
Pas sûr que le respect soit le moteur principal des deux matheux pleins aux as. Ce que Volkan veut surtout nous faire comprendre, c'est qu'une fois en cage, «on ne s'échappe plus», «ça cogne dur», ce sont «de vrais combats» et «ça fait mal». «Il y a le respect pour l'autre, parce que l'on sait ce que ça fait de prendre des coups, mais aussi pour soi-même et le public». En d'autres termes, psychologiquement, si on veut garder la mâchoire en un seul morceau, il est préférable d'entamer le match avec l'envie de démolir son adversaire. Car il en fera de même.
Musk et Zuckerberg drainent d'immenses cageots d'apôtres depuis qu'ils ont réussi leur carrière, en monnayant nos données et notre attention. Souvent considérés comme des demi-dieux par les groupies et comme de fous dangereux par les autres, l'idée de culte est toujours bien présente. Maintenant qu'ils sont à deux biceps de régler leurs différends dans une cage, les paris vont bon train. Le vieux solide dopé au sarcasmes ou le jeune souple un peu sournois?
Mark Zuckerberg, et il ne s'en cache pas (photos et vidéos à l'appui), se passionne depuis plusieurs années pour les arts martiaux mixtes et pratique le jiu-jitsu brésilien. Si le patron de Meta kiffe les légumes et ne jure que par le footing et le yoga, pour Elon Musk, l'ours de Twitter au poitrail proéminent, c'est moins évident. S'il est passé par le judo dans sa prime enfance, aujourd'hui, à 52 ans, celui qui dort peu et surtout «n'importe où» avoue «préférer manger des aliments savoureux et vivre moins longtemps».
Quand le boss de la ligue UFC a attrapé Musk au bout du fil à la fin du mois de juin, il a compris que le quinquagénaire récemment opéré du dos ne comptait «pas perdre de poids pour le combat».
Heureusement, le patron de Tesla peut compter sur des soutiens prestigieux, baraqués et expérimentés. A l'instar de Georges Saint-Pierre, l'un des plus grands champions de l’UFC, qui pointe l'un des plus grands atouts du milliardaire sud-africain: «Elon Musk est très puissant, très résistant. Et puis, historiquement, quand il met son esprit et son énergie dans quelque chose, il est inarrêtable».
L'analyse de Volkan Oezdemir est peut-être un peu biaisée, tant le combattant fribourgeois de 33 ans est un fan de la première heure de «l'état d'esprit de celui qui veut aller dans l'espace».
Quoiqu'il en soit, cette promesse de combat physique ne vient qu'accentuer la lutte sanguine et financière que les deux géants se livrent en ce moment. Aux dernières nouvelles, Musk semble sincèrement en colère contre le créateur de Threads, l'application vouée à concurrencer Twitter. Pour l'heure, l'ambiance est à la provocation. Et comme disait Justin Bieber en 2019, au moment de défier Tom Cruise en duel, «si tu n’acceptes pas le combat, c’est parce que tu as peur et c’est la honte».
One of Mark Zuckerberg's Brazilian Jiu Jitsu matches pic.twitter.com/KKS2h4dALo
— Dexerto (@Dexerto) May 8, 2023