La ville de Lausanne a lancé le 26 avril dernier une campagne contre le non-recours aux prestations sociales. Elle explique que «trop souvent les personnes ignorent qu'elles ont droit à des aides ou qu'elles ne se sentent pas légitimes de les demander». Ainsi, pour y remédier et éviter les cas de surendettement et de précarité, Lausanne encourage la population à se rendre auprès des bureaux de son service social. Mais comment expliquer que les personnes dans des situations financières difficiles ne demandent pas l'aide sociale? watson s'est entretenu avec une bénéficiaire qui nous retrace son parcours et les difficultés qu'elle a rencontrées dans ses démarches.
Bonjour Christelle, tout d'abord merci d'avoir accepté de répondre à nos questions, comment allez-vous?
Ça va, je suis contente de parler de ma situation de manière anonyme, car elle ce n'est jamais simple à raconter, mais mon témoignage sera peut-être utile à d'autres personnes.
Et financièrement, vous tournez?
Je dirai que ça va. Je m'en sors assez bien. Je ne compte plus les petits sous et je suis moins stressée quand je vais dans les magasins pour acheter à manger. De plus, j'ai aussi appris à vivre avec pas grand-chose et j'ai des amis bienveillants qui m'avancent parfois de l'argent. Je peux compter sur eux en cas de coup dur, mais ça va, je ne me plains pas.
Vous avez un emploi, vous êtes mère de famille et célibataire, est-ce que vous pouvez vivre sans les prestations sociales?
Non. Clairement pas.
Comment expliquer cette situation?
Alors déjà, je voulais dire que j'adore mon travail, il a du sens et je me sens utile. Je travaille dans le social en tant qu'assistante socio-éducative. Je suis payée à 60%, mais je travaille tous les jours quelques heures, pour accompagner des enfants ayant des besoins particuliers.
Justement, à combien se montent ces prestations et en quoi consistent-elles?
Je bénéficie des Prestations complémentaires familles, ce qu'on appelle les PC familles. On me verse 1000 francs par mois pour mon loyer, mes charges et la nourriture. Les PC familles paient aussi les frais médicaux et les frais de dentiste, ce qui soulage beaucoup mes finances. J'ai aussi des subsides à l'assurance maladie, cela représente au moins la moitié de nos primes à moi et mon jeune fils. Ah oui, les PC familles me remboursent aussi les frais de crèche.
Racontez-moi comment vous avez fait appel aux prestations sociales.
Je voudrais d'abord dire à celles et ceux qui nous liront que si je pouvais revenir en arrière, je ferais autrement en demandant les aides plus tôt.
J'étais dans une situation très compliquée avec des dettes, des poursuites et une grande détresse psychologique. J'étais au bout du rouleau et je me suis dit que cela ne pouvait plus durer. J'ai fait la connaissance d'une personne qui travaillait pour les services sociaux, qui est devenue aujourd'hui une amie et qui m'a énormément aidé dans mes démarches.
Alors, pourquoi avoir attendu pour demander ces prestations?
J'ai beaucoup pensé aux raisons qui ont freiné mes démarches.
Mais ce qui m'a le plus marqué, ce sont les refus ou les malentendus lors des entretiens aux bureaux des aides sociales.
Vous vous souvenez d'une situation précise?
Oui. J'avais échoué de manière définitive aux examens de ma filière universitaire, j'avais un enfant à charge et je suis allée «au social» comme on dit. La femme au guichet m'a dit: «Madame, vous avez fait des études, vous êtes Suisse et vous parlez français, vous n'allez rien avoir au social, trouvez-vous un travail», elle avait raison, je devais me débrouiller seule et trouver un emploi, ce que j'ai fait. Mais c'était à l'époque la seule chose qu'on m'ait dite sur les prestations sociales et je ne me doutais pas que je pouvais en bénéficier avec mon bas salaire.
C'était une impression ou une réalité?
Les deux. On vous dit que vous ne pouvez pas avoir d'aides, ce qui est un fait.
Je ne pensais pas qu'il pouvait y avoir d'autres solutions ou d'autres formes de prestations sociales.
Vous diriez que vous avez eu peur de demander?
Je ne sais pas si c'est de la peur, mais j'étais mal à l'aise. J'ai toujours travaillé et je me disais qu'il y avait pire que moi. Je me disais que je n'étais pas à la rue, que ça allait s'arranger. Je ne me sentais pas légitime à demander ces prestations.
Avec le recul, pensez-vous avoir appris de cette situation?
Oui, complètement. Je dois dire que lorsque j'étais étudiante, je ne connaissais rien aux impôts, à la gestion de budget et toutes les choses ayant trait à l'argent. Je me dis qu'il faudrait vraiment informer les personnes à ce sujet. J'ai bénéficié d'un accompagnement par le Centre social protestant pour faire mon budget et une bénévole m'a donné d'excellents conseils pour économiser, comme changer mon abonnement de natel ou mettre de côté pour des dépenses imprévues.
On peut toujours demander un ajournement de paiement ou payer petit à petit.
Pour les aides sociales, c'est la même chose, il faut être bien accompagné, heureusement que mon amie travaillait dans le domaine. Elle a pu me donner des informations, des bureaux à contacter, des liens pour trouver les bons formulaires. Il faut dire que le côté administratif est aussi pesant, on doit trouver le bon formulaire et remplir correctement la demande et avoir tous les documents qu'ils demandent.
Ayant fait des études supérieures et parlant français, vous avez quand même éprouvé des difficultés à remplir les demandes, pourquoi?
Je dirai que je ne savais pas du tout comment cela fonctionnait. Lorsque j'étais en couple, c'était mon conjoint qui s'occupait de l'administratif et je ne me souciais pas du tout de cela.
C'est aussi ce qui m'est arrivé et vous avez aussi tendance à abandonner rapidement si vous ne vous sentez pas légitime.
Quand vous en parlez, on ressent le stress que vous avez vécu durant cette époque, vous allez mieux aujourd'hui?
Oui. Je me sens tellement soulagée d'avoir fait les démarches, car cette situation a duré trop longtemps. Maintenant, je suis dans le système pour bénéficier des prestations et tout suit son cours. J'ai eu vraiment l'impression qu'un énorme poids retombait de mes épaules, je me suis dit que les choses allaient s'arranger désormais.