Au début de Tour de France, les perquisitions au sein de l'équipe Bahrain Victorious pour suspicion de dopage avaient ravivé de bien mauvais souvenirs. On avait repensé à l'affaire Festina et à l'arrière-salle du petit café nommé Chez Gilou, à Michael Rasmussen, à Marco Pantani, à Bernhard Kohl, à Alexandre Vinokourov ou encore à Raimondas Rumsas. Mais dès que le spectre du dopage fait son apparition, Lance Armstrong revient au galop. Le Texan incarne le cyclisme malsain.
Le coureur qui chassait le million de dollars sur des critériums aux Etats-Unis avait vu plus gros: l'Amérique ne lui suffisait plus. Un titre de champion du monde sur route (1993) plus tard et voici que le futur crack des pelotons visait l'objet de tous les désirs d'un coureur pro: le Tour de France. La légendaire Grande Boucle, le maillot jaune sur les Champs-Elysées. Lance Armstrong allait, en pédalant derrière cet objectif, se transformer en champion intraitable, en patron d'équipe, en parrain de la mafia.
Dans son podcast «Mécanique du journalisme», France Culture, à l'approche du Tour cette année, a publié un reportage fascinant. Preuve en est, Armstrong est toujours là, son fantôme persiste, il rôde quand on brandit le mot Tour de France, sujet aussi brûlant que le goudron de juillet. Lui-même en joue, n'hésitant pas à alpaguer son légendaire directeur sportif sur Twitter, Johan Bruyneel, pour s'étonner du mouvement (incompréhensible) de course d'Alberto Bettiol.
Hey @JohanBruyneel, i reckon he'd be on the first plane out?? But then again, we're talking about JV. https://t.co/sz5VSdEdmC
— Lance Armstrong (@lancearmstrong) July 6, 2022
Les médias ressortent les vieux dossiers inlassablement. Armstrong fascine toujours. Il a inspiré une génération avant de devenir un héros déchu. Bryan Fogel, dans son documentaire Icare sur Netflix, le prend comme exemple et résume toute la complexité du personnage et de ses soutiens. «Il était mon héros et inconsciemment, je me doutais qu'il se dopait», avoue Fogel.
L'emprise d'Armstrong était telle qu'il a réussi à influencer des personnes aux regards figés sur le chef d'orchestre d'une méthode de dopage ultra performante et poussée à son paroxysme. Il tirait profit des faiblesses d'un système antidopage à la traîne grâce à une planification minutieuse. Un Steve Jobs de la triche, capable d'avancées inédites entre le dosage et la performance.
Il a entraîné dans son sillage et façonné des coureurs aux destins multiples, dignes d'une tragédie shakespearienne. Des Frankie Andreu (spécialement sa femme, Betsy), Floyd Landis, Tyler Hamilton ont été essorés par le boss texan, entraînés vers les sommets et ramenés sur terre, avant d'être abandonnés à leurs tourments. Lance, lui, se pensait invincible, avant de passer aux aveux ce 13 janvier 2013, d'avouer l'inavouable: il s'est bel et bien dopé en dépit des innombrables démentis. La révérence du boss. «Tout le monde célébrait le survivant du cancer, le vainqueur du Tour de France. Mais c'était une fraude», expliquait Betsy Andreu.
Les médias parlent de nuages récurrents en pensant à Lance Armstrong. Un coursier, qu'on aime ou pas, mais qui a apposé sa marque. Il restera pour beaucoup le champion aux sept Tour de France. Et pour les autorités, les journalistes, un roi qu'il fallait faire tomber de son trône. Si fort sur sa selle, qu'il a tout écrasé. Si puissant dans le domaine extrasportif, qu'il a contré une enquête fédérale grâce à ses relations. L'homme est devenu plus que son sport.
Not a bad show considering @lancearmstrong + @ghincapie stayed in their jammies til 10AM 😂 (it’s actually a 👌🏼show… as always)https://t.co/4eeYd4zkA5 pic.twitter.com/kU4gnh7WuL
— WEDŪ (@wedusport) July 17, 2022
Aujourd'hui, Lance Armstrong est omniprésent sur les réseaux sociaux, toujours accompagné de son grand pote George Hincapie. Les anciens coéquipiers continuent à suivre le Tour de France, avec assiduité et ne ratant pas une miette du duel Vingegaard/Pogacar. Le boss texan rôde et même si le bonhomme est banni et rayé des palmarès, il continue à brandir ses sept maillots jaunes. L'audace, le culot, persévérant dans sa démarche.
Amazing to watch @FabioJakobsen win stage 2
— WEDŪ (@wedusport) July 2, 2022
On our way to record #THEMOVE now#TDF2022@lancearmstrong @ghincapie @jbhager pic.twitter.com/mvNo8cETHq
Son retour en 2009 dans l'équipe Astana, par péché d'orgueil, lui assènera le coup fatal. «LA» s'est vu trop grand et s'est fait pincer. David Walsh, le journaliste irlandais derrière le livre L.A. confidentiel: Les secrets de Lance Armstrong, le qualifiait de «braqueur que seul Hollywood pouvait façonner», une image reprise par Bob Hamman, homme d'affaires et président de la Sca Promotions, mouillé dans le business d'Armstrong à hauteur de plusieurs millions.
Son obsession de la gagne en a fait une «epic story», un conte comme le public s'en délecte à ressasser et raconter. Un survivant du cancer et revanchard, avant que son égo ne devienne poison. L'élixir de gloire a pris la forme d'un cocktail de produits dopants «secret défonce». C'est sûrement le destin du Texan qui fascine, épris de succès et de gloire.
Il est le méchant dans l'histoire, celui qui a transgressé les codes et qui a imposé ses propres règles. Lui qui s'est moqué du sport, du monde entier a fait naître cette ambiguïté et la profondeur psychologique d'un être retors. Il terrifiait des coureurs - le cas Filippo Simeoni en tête de liste. Cette séquence mythique parachevait l'œuvre démoniaque du furieux Texan, brossant la manière dont il traitait la concurrence: il l'écrasait. La terreur du bitume, le diamant noir du cyclisme. Pour lui, la compétition est un cadre innocent pour mener à bien ses agressions. Sans une once de pitié, manipulant son monde, le compétiteur né est devenu un sociopathe camé.
Assoiffé de grandeur, Armstrong alimentera les conversations éternellement sur le Tour, dans le cyclisme et plus largement dans le monde du sport. Le Texan reste le cycliste le plus connu, plus qu'un Eddy Merckx. Si vous parlez de vélo dans la rue ou à votre voisin, les gens vous citeront Lance Armstrong au premier coup. Pourquoi? Il a importé une philosophie de course et une approche différente (une équipe ultra performante qui assommait la concurrence dans les cols), une tendance que le cyclisme moderne ne connaissait pas avant l'ère US Postal.
C'est pour ça que chaque année, les médias reprennent le cas Lance Armstrong. Il était hors-norme, tel un cow-boy sur vélo. Il était le méchant et le public aime les méchants. Il le suit et suivra comme le prouve son compte Twitter de plus de 3,1 millions d'abonnés, ou son compte Instagram suivi par 415 000 personnes. En comparaison, Tadej Pogacar en possède 666 000, Wout Van Aert en compte 708 000.
Conjugué à toutes les sauces, au passé, au présent et au futur, Armstrong sera et restera un sujet intergénérationnel, un spectre encombrant pour les uns et une légende pour les autres que le Tour de France n'arrivera pas à oublier de sitôt.