S'il devait y avoir la moindre ambiguïté, disons-le tout net: ils n'ont pas à s'excuser de gagner, de travailler mieux que les autres. Ils n'ont pas à s'excuser d'être petits, modestes et provinciaux. Ils n'ont pas à s'excuser d'être là, aux portes de la Super League, où ils n'étaient ni attendus ni espérés; de débarquer avec leurs petits pieds carrés sur les plateaux télé. Mais peuvent-ils réellement ignorer qu'ils gênent?
Personne ne le dit ouvertement mais les succès de Stade Lausanne Ouchy et Yverdon-Sport créent une certaine angoisse jusqu'au plus haut niveau du football suisse, où leur possible promotion dans l'élite, si elle est drôle et romantique, pose un problème de perception générale. Pour résumer ce sentiment inavouable, Bambi ne serait pas mieux reçu dans un congrès de chasseurs.
La Super League à douze était supposée intégrer en juin 2023, non pas deux clubs de sous-préfecture, mais des fiefs, des adresses, des vieilles bourgeoisies du football helvétique: Lausanne, Xamax, Thoune, voire Aarau. «Tout sauf Wil, Yverdon et SLO», admet un agent marketing actif dans le sport, avant d'expliquer anonymement:
«Ces clubs peinent à intéresser du monde dans leur propre région, alors imaginez à 100 ou 300 km de chez eux. Imaginez les audiences. Je plains les gens qui devront vendre des loges ou des espaces publicitaires dans un tour de relégation avec Stade Lausanne Ouchy et Yverdon; même si je suis admiratif de ces parcours hors normes, entendons-nous bien...»
Comme il l'a expliqué sur le plateau de Sport dimanche, le président de SLO Vartan Sirmakes n'a pas l'intention de s'excuser. Encore moins de «se défiler», selon ses termes: «On vise seulement le haut du tableau mais si on termine dans les deux premiers, on ne peut pas se défiler.» Les chambrées confidentielles? «Si les résultats suivent, le public suivra aussi. Patience.»
Dans les milieux du football, l'essor du Stade Lausanne Ouchy est pris très au sérieux. Vartan Sirmakes, également patron du groupe horloger Franck Muller, figure parmi les 300 plus grosses fortunes du pays. Le directeur sportif Hiraç Yagan (ex-Servette) est réputé sanguin mais bosseur, bourlingueur, découvreur, capable de débusquer un talent là où ses confrères ne trouveraient pas leur chemin.
Problème: le Stade de la Pontaise ne répond plus aux normes de la Super league. Il est certes vaste et vénérable mais vétuste et mal équipé. Là encore, Vartan Sirmakes n'exclut pas quelques travaux de rénovation. Il a entendu comme tout le monde, lui aussi, que la Ligue pourrait assouplir ses règles d'admission. Mais dans le cas contraire, et s'il est promu, le SLO n'est paradoxalement pas à l'abri de redevenir un SDF.
Le problème est le même pour Yverdon-Sport dont le Stade municipal revendique quelque 800 places assises, loin du minimum exigé (5000). Une logique toute géographique voudrait qu'YS trouve un point de chute à Neuchâtel. Mais ses relations difficiles avec Xamax le pousseraient plutôt jusqu'à... Bienne (BE).
Au-delà des apparences et d'une épopée romanesque (au choix: David contre Goliath, petit Poucet, etc.) la situation d'Yverdon est très différente de celle de SLO. Le président Mario Di Pietrantonio a entamé un processus de vente dont La région laisse entendre qu'il est proche d'aboutir. Il a abordé la saison sans autre ambition, avec un budget ramené de 5 à 3 millions de francs, en espérant... le maintien. Mais le club a bien travaillé. Particulièrement bien: le choix des hommes, les compétences managériales, les talents prêtés par le FC Sion, le départ des gros salaires ont créé une forme de tranquille évidence.
«Les résultats d'Yverdon et de Stade Lausanne Ouchy en disent autant sur leurs compétences que sur celles de leurs concurrents», tacle finement Edmond Isoz, ancien directeur de la Swiss football league (ex-Ligue nationale) et à la tête de plusieurs grandes réformes.
Les résultats d'Yverdon et de Stade Lausanne Ouchy sont sans aucun doute excellents, voire imbattables, mais la question n'est manifestement pas là. «Franchement, qui peut croire à leur avenir en Super League?», poursuit Edmond Isoz. «Depuis le début de l'ère professionnelle, seuls treize clubs s'y sont établis dans la durée. Comme par hasard, ces clubs ont souvent beaucoup de spectateurs, des infrastructures, des juniors, et maintenant, une équipe féminine.»
Sans renier une vision élitiste (qu'il qualifie de réaliste), Edmond Isoz redoute que la paupérisation de la Super league menace le fragile équilibre du football suisse. «Il faut bien admettre qu'en ce moment, notre championnat n'est pas terrible, ni très attractif. Je ne suis pas farouchement opposé aux play-offs, mais un tour de relégation entre six petites équipes n'améliorera pas la situation. Je pressens que les sponsors et les TV vont méchamment tirer la gueule.»
Le spécialiste décrit des temps difficiles: un leader hégémonique (YB), des droits TV cannibalisés par la Ligue des champions, une formation moins axée sur la technique du joueur que sur une croissance physique rapide, un coût de la vie trop élevé pour les étrangers.
En quoi Yverdon et Stade Lausanne Ouchy ajouteraient-ils au marasme? «Ce sont d'excellents gestionnaires, souligne Edmond Isoz. Mais ils n'amènent pas de monde au stade et leurs équipes sont essentiellement constituées de légionnaires qui, une fois sous la lumière, chercheront naturellement à aller plus haut.»
Il faut croire que cette vision est largement partagée puisque des groupes de pression tentent de faire revoter les réformes. Autre coïncidence troublante, la Commission de discipline vient de retirer trois points au Stade Lausanne Ouchy pour une bête erreur administrative, cinq minutes de retard dans l'envoi d'un récépissé (en résumé). Le club vaudois n'a toujours pas l'intention de s'excuser. Au contraire, il a fait recours.