La tête légèrement inclinée, Ayrton Senna est assis dans sa Williams complètement détruite. Ce dimanche 1er mai 1994 à 14h17, au septième tour du Grand Prix d'Imola, le Brésilien de 34 ans a perdu le contrôle de son bolide à une vitesse de 321 km/h et a percuté le mur en béton dans le virage du Tamburello. Tous ses freinages n'ont servi à rien, sa voiture est devenue impossible à diriger, elle s'est brisée en plusieurs morceaux. Un demi-milliard de téléspectateurs retiennent leur souffle.
Il faut beaucoup de temps pour que les responsables de la sécurité arrivent auprès de Senna. Puis, enfin, les ambulanciers, les commissaires de piste et les médecins se rassemblent autour de lui. Le triple champion du monde bouge la tête, semble conscient, mais il ne perçoit plus rien de ce qui se passe autour de lui. Le Brésilien aurait sans doute survécu, en étant plus ou moins intact, au crash si la roue avant droite détachée de la monoplace ne l'avait pas frappé de plein fouet à la tête.
Sur le circuit, le désespoir s'installe rapidement: on ne voit plus que de la ferraille, des draps tendus et des sauveteurs affairés. Senna est finalement transporté par hélicoptère dans un hôpital de Bologne. «Ayrton était encore vivant et se trouvait aux soins intensifs, sous la machine cœur-poumons. Nous pouvions voir les terribles blessures à la tête. C'était sans espoir», racontera plus tard Josef Leberer, le soigneur du champion. Quatre heures après l'accident, les médecins le déclarent cliniquement mort.
Le monde est sous le choc. «C'est comme si on avait cloué Jésus sur la croix en direct», s'émeut le patron de la Formule 1 Bernie Ecclestone peu après la course, qui reprendra après une interruption de 30 minutes et sera remportée par l'ambitieux Michael Schumacher. Mais ce week-end-là, les résultats n'ont aucune importance. C'est ce que souligne Schumacher en conférence de presse:
Dans les jours précédant la mort de Senna, deux accidents graves se produisent déjà à Imola. Lors des essais libres du vendredi, Rubens Barrichello décolle soudainement au volant de sa Jordan. Le Brésilien a de la chance: il ne se casse que le bras et le nez.
Lors des qualifications du samedi, Roland Ratzenberger meurt après un accident à l'approche du virage Tosa. La partie supérieure gauche de l'aileron avant de sa Simtek se brise. Sans pression d'appui, la voiture de l'Autrichien n'est plus contrôlable et s'écrase à 300 km/h dans la barrière.
Le lendemain, l'icône de la Formule 1 décède également. Avec ses trois titres de champion du monde, ses 41 victoires et 65 pole positions, Ayrton Senna ne compte pas seulement parmi les pilotes les plus titrés de l'histoire. Il possède également une aura très particulière. Difficile d'échapper à son rayonnement. Le Brésilien est cultivé, musicien, ouvert au monde, il joue du piano, collectionne l'art, cite des philosophes grecs anciens et lit Shakespeare et Freud.
Niki Lauda fera son éloge dans la revue Auto Motor und Sport:
Pour Gerhard Berger, son coéquipier de longue date chez McLaren, le Brésilien était «de loin le plus charismatique et le meilleur pilote de course». Il poursuit:
Mais Senna, sur lequel planait toujours un léger parfum de mélancolie, n'a pas toujours été un sportif loyal. Un exemple: les duels acharnés qu'il a livrés chez McLaren avec son coéquipier Alain Prost. C'est de manière volontaire que les deux «mâles alpha» se sont un jour percutés et il n'était pas rare de voir un début de bagarre entre eux au bord de la piste. Aujourd'hui, Alain Prost tresse des lauriers à son ancien rival:
La mort soudaine du triple champion du monde de Formule 1 plonge également son pays d'origine dans la stupeur. Le président brésilien Itamar Franco ordonne un deuil national de trois jours. Car le pilote de São Paulo n'est pas seulement considéré comme le garant des succès brésiliens dans la prestigieuse F1, il est aussi un héros et un porteur d'espoir dans un pays économiquement et politiquement instable. En quelque sorte, le Pelé du sport automobile.
La cause de l'accident reste à ce jour inexpliquée. Ce qui est sûr, c'est que la colonne de direction s'est brisée. La question de savoir si cela s'est produit avant ou après l'impact divise les esprits. Les juges italiens ont attribué la responsabilité du crash à cette rupture, le coéquipier Damon Hill a parlé d'une erreur de conduite tandis que les constructeurs ont évoqué l'aérodynamisme défectueux de la voiture.
C'est le cas d'Adrian Newey, le designer de la voiture accidentée: à l'occasion du 20e anniversaire de la catastrophe, il avouait à Auto Motor und Sport qu'il avait déjà constaté ce défaut avant la course. Mais à l'époque, les souffleries n'existaient pas encore et la contrainte du temps a finalement empêché toute correction.
Mais l'accident mortel de Senna déclenche un changement immédiat de mentalité dans le sport automobile. La Fédération internationale de l'automobile (FIA) et probablement aussi les constructeurs font pression: les circuits sont retracés pour être moins dangereux et les crash-tests deviennent plus stricts. Des zones de dégagement sont créées et les murs en béton sont interdits. Pour Senna, ces changements arrivent trop tard. Son agent disait déjà à l'époque:
Depuis son accident, aucun pilote de Formule 1 n'a perdu la vie sur un circuit en 22 ans. Le dernier décès dans la catégorie reine est celui de Jules Bianchi en 2015, qui a succombé à ses blessures neuf mois après avoir percuté latéralement une dépanneuse.