On n’y croyait plus. Après six ans d’absence, le retour de Karim Benzema en équipe de France a été annoncé mardi soir sur TF1 par Didier Deschamps. Le quotidien L’Equipe, bien informé, avait balancé l’info avant midi.
Joie chez les supporters. Sauf pour ceux des Français qui n’aiment pas le joueur du Real Madrid et espéraient donc ne pas le revoir un jour en bleu. Benzema, c’était, c’est peut-être encore, le symbole d’une brouille tenace, entre deux France qui se reniflent: celle des banlieues à petites mosquées, incarnée par Benzema, et celle des campagnes à petits clochers, représentée par Deschamps. Vous voyez le tableau?
Mais avant de ressasser – pour la dernière fois, ce serait bien – cette vision triste comme un dimanche à Belfast, venons-en à l'actualité sportive du moment: le numéro 9 madrilène fait partie de la liste des 26 joueurs tricolores retenus pour disputer l’Euro en juin. Mardi, sur Twitter, saisi de folie, les tendances pour la France affichaient invariablement la hiérarchie suivante: en 1) Benzema, en 2) Deschamps, en 3) Giroud.
Ils ont tout compris, les twittos. Le retour de Karim Benzema pourrait signifier l’éviction d’Olivier Giroud, du moins sa relégation dans la colonne «remplaçants only». L’Equipe, vache, ne cite même pas son nom et salive, par avance, de la future association en attaque du Madrilène avec le Parisien Kylian Mbappé. Tout comme l'auteur de ce gazouillis:
Quand Benzema va lancer Mbappé en profondeur pour le face à face avec Neuer.. : pic.twitter.com/Mz7fE1iBZv
— 🄵🔺 (@Franc_Ysco) May 18, 2021
Olivier Giroud, une image de bon soldat besogneux, s’arrangeant pour marquer un but à presque chacune de ses sélections, fait les frais, pas trop méchamment non plus, de l’annonce du retour (on commence à le savoir) de Benzema en équipe de France:
Benzema quand Giroud va lui demander si il peut toujours avoir le n*9 : pic.twitter.com/4Y55mLiP1E
— Gregouuzz ❌🧢 (@gregouuzz) May 18, 2021
Gageons que Karim Benzema, 33 ans, 81 sélections avec les Bleus, la dernière le 8 octobre 2015 face à l'Arménie, saura, lui, ne pas se montrer trop chambreur. Son dernier tweet à ses 12,4 millions d'abonnés remonte à lundi. Il s'y disait:
Très honoré d’avoir reçu le trophée UNFP du Meilleur Joueur Français à l’Etranger. Merci à tous les joueurs qui ont voté ⚔️🔥🏆
— Karim Benzema (@Benzema) May 17, 2021
Merci également à mes supporters pour votre soutien et confiance sans faille, cette récompense est la vôtre.
Let’s continue ⏳#alhamdulilah #anotherone pic.twitter.com/QqzY0O6787
Vrai que l'ex-Olympique lyonnais brille sous le maillot du Real, où il évolue depuis 2009, ces dernières années sous les ordres de l'immense Zinedine Zidane, comme lui né en France, comme lui d'origine kabyle, comme lui ayant choisi l'équipe de France plutôt que l'équipe d'Algérie.
Zidane et Benzema au firmament en Espagne, c'est une tranche de ce récit d'une France rongée de ressentiments. La réintégration annoncée du second chez les Bleus pourrait précéder, qui sait, la venue à leur tête de l'actuel entraîneur madrilène quand Didier Deschamps, sélectionneur champion du monde en 2018, en partira. Toute une France, celle des banlieues, rêve de ce moment, non pas, voulons-nous croire, par esprit de revanche, mais parce que son pays, c'est la France et qu'elle veut en faire partie.
Mis en examen en automne 2015 dans l'affaire dite de la sextape (complicité de chantage sur son coéquipier en équipe de France Mathieu Valbuena), Karim Benzema avait été alors évincé du onze tricolore. Le premier ministre de l'époque, Manuel Valls, mal-aimé des «banlieues» pour son soutien «indéfectible» à Israël et pour sa manière de désigner l'«islamisme» comme l'ennemi à abattre – 2015 fut meurtrie par de terribles attentats djihadistes –, affirma cette année-là en décembre, mais sans le nommer, qu'un joueur comme Benzema n'avait pas sa place en équipe de France.
Dans le tréfonds des non-dits, c'est tout juste si le joueur originaire de Bron, en banlieue lyonnaise, n'était pas désigné bouc-émissaire d'une France à bouts de nerfs. Une frange des Français n'aimait pas Benzema, associé à leurs yeux à cet esprit de la banlieue, synonyme de «racailles», de mauvaise graine. Et puis, Benzema, donnait parfois l'impression de s'ennuyer ferme en équipe de France, de ne pas mouiller le maillot. Très vite, cette frange lui préféra Olivier Giroud, dans le rôle du gars sans histoire, à l'opposé du «rebeu à problèmes».
L'«épisode 2016» ajouta au drame: Didier Deschamps ne sélectionna pas Benzema, pourtant en grande forme au Real, pour l'Euro qui se tenait, devinez où, en France. Le Madrilène, relayé par Eric Cantonna le «justicier», accusa Deschamps d'être réceptif à une «partie raciste de la France». Le sélectionneur vit sa maison taguée du mot infâme de «raciste», il en fut meurtri, et lui qui n'était pas du genre à se brouiller avec ses joueurs, en voulut à «Karim».
La page de cette funeste période est à présent peut-être tournée. Faisons un vœu: que le retour de Karim Benzema chez les Bleus soit le symbole d'une réconciliation française.