«Bonsoir à toutes et à tous»: le ton est donné d’emblée par l’animateur, qui appuie bien sa première phrase. «Voilà une bonne introduction rédigée selon les règles de l’écriture inclusive», poursuit-il, «ce qui n’aurait pas été le cas si je m’étais contenté d’un simple "Bonsoir à tous". Alors, vous me direz qu’il n’y a pas grand-chose de révolutionnaire là-dedans, et pourtant l’écriture inclusive reste un sujet ultra-sensible, y compris politiquement.»
Hier lundi 1er mars, surprise: le débat de l'émission «Forum» est consacré à l'écriture inclusive. Il va donc y avoir un débat RTS qui, on le sent bien, a déjà été tranché par... la RTS.
Imaginez la même chose sur un autre sujet, au hasard celui-ci: «La burka, un vêtement, vous me direz, qu’il faut évidemment interdire, mais bon, certains sont contre, alors on va les inviter à discuter.» Quelles indignations n'entendrait-on pas à l'égard du présentateur!
Mais il y a plus piquant: la formule «Bonjour à toutes et à tous» n’est qu’un exemple de langage épicène – on l’utilise à l’oral, comme le Général de Gaulle le faisait avec son «Françaises, Français!» Or on voit bien que ce qui fait parler et suscite des critiques est surtout l’écriture inclusive à proprement parler. «Bonjour à tou-te-s nos chers-ères lecteurs-trices» dans un texte, voilà ce qui peut inquiéter et qui doit faire l’objet d’un débat citoyen.
Rappelons-nous. Après les témoignages relayés par Le Temps en novembre dernier dénonçant des comportements inappropriés à caractère sexuel s'étant produits au sein de la Radio Télévision Suisse (RTS), l'entreprise médiatique de service public avait mis en place une grande campagne de récolte de plaintes pour les présumées autres victimes de collègues aux agissements condamnables.
Les résultats devaient être rendus en janvier, puis fin février; ils ne sont toujours pas là. Ce retard s'explique apparemment par une avalanche de doléances traitées par le bureau d'avocats mandaté par la SSR – plus de 200 selon les anciens collaborateurs de la RTS Eric Burnand et Michel Zendali, qui signaient récemment une tribune dans Le Temps dénonçant un climat de «présomption de véracité» accordée aux victimes.
Voilà que, début février, la RTS envoie par e-mail à ses employés une charte de bonne conduite à l'oral en ce qui concerne les genres: les collaborateurs sont fortement invités à utiliser un langage inclusif. Une vidéo explicative distribue les bons et les mauvais points sur la base d'extraits d'interventions d'employés de l'entreprise en pleine émission:
Selon nos informations, ça commence à chauffer à l'interne. Une part non-négligeable d'employés (difficile à dire combien) affirment que la charte en question a été établie par une poignée de militantes et regrettent la manière dont elle a été transmise au personnel, «par le haut». Surtout, ils ne veulent pas «baragouiner» avec des «celles et ceux» et écrire avec des points médians, qui vont rendre les contenus indigestes.
Conclusion fort personnelle: la RTS n’a-t-elle pas d’autres «chat-te-s» à fouetter? Dans un contexte d'accusations en masse de harcèlement, notamment sexuel, remettant en cause sa culture d'entreprise et sa structure hiérarchique, le langage inclusif entre dans la catégorie du cache-sexe (non-genré). Espérons que la blague s'arrête bientôt et que la vérité soit établie sur des accusations graves. Il en va de la justice pour les présumées victimes comme pour les accusés.