Le Jura bernois est devenu une machine à perdre. Le départ de Moutier pour le canton du Jura, qui sera effectif dans trois ans, instille le poison de la défaite dans un territoire privé de souffle. Plus que jamais dépendant d’un canton de Berne germanophone, donnant l’impression d’exister par dérogation, le Jura bernois est le pauvre petit de la Suisse romande, promis au triste sort qu’on imagine être le sien, sa disparition, faute de reconnaissance.
Contre cette mort naturelle annoncée, des citoyens du Jura bernois investis dans l’économie de leur région ont conçu un antidote. Son nom: Grand Chasseral, comme le révèle Le Temps ce jeudi. Cette appellation succédera-t-elle un jour à celle de Jura bernois ? «J’ai conscience que cela peut arriver», confie à watson le secrétaire de la Chambre d’économie publique du Jura bernois (CEP), Patrick Linder, l’un des instigateurs de cette renaissance espérée.
Ce serait une bonne chose. Non pas pour effacer l’identité des habitants du Jura bernois qui ont préféré rester bernois plutôt que de rejoindre le canton du Jura. Mais pour la revivifier, la renouveler, lui redonner une fierté qui, quoiqu'en disent les intéressés, a pris des coups au fil des ans. Il y a certes un aspect marketing dans ce ripolinage voulu par des acteurs économiques des trois districts jurassiens bernois.
Mais, reconnaissons-le, ce marketing a de l’allure et du sens. En premier lieu, celui d’inscrire ce territoire un peu perdu, dans l’aire francophone qui est la sienne. «Grand Chasseral» est une expression pour ainsi dire intraduisible.
Hérissé d’une antenne à son sommet culminant à 1607 mètres, chauve comme le Mont-Ventoux, le Chasseral se voit de loin. «Grand Chasseral» est une invitation à lever la tête, quand la gravité l’attire vers le fond des vallées. «Grand Chasseral», c’est, pour un petit territoire, une manière de voir grand, d’oser voir grand, d’avoir raison de voir grand.
En termes industriels et touristiques, il n’y a là rien à perdre. En France, des départements estimant pâtir d’un nom peu engageant l’ont changé avec profit: les Côtes-du-Nord sont devenues les Côtes-d'Armor, la Seine-Inférieure, la Seine-Maritime, la Loire-Inférieure, la Loire-Atlantique. Entre «Jura bernois» et «Grand Chasseral», l’un claque nettement plus que l’autre. Un tel changement pourrait même rendre jaloux les cousins du Nord, les Jurassiens du canton du Jura. Une bonne raison de se lancer, non?