Tout est parti de la distribution d’un «visuel pédagogique» illustrant un manuel d’apprentissage de la lecture. C’était en octobre, dans une école primaire genevoise, en cours de français. Il y avait sur cette image des fillettes voilées. Des petites musulmanes, caractérisées par un signe religieux.
Jugeant cette représentation «sexiste», contraire à «l’égalité entre les filles et les garçons», la mère d'un élève faisait part de son mécontentement au Département genevois de l’instruction publique (DIP). Qui lui donnait raison trois semaines plus tard en ordonnant le retrait du visuel, comme le relatait watson à l’époque. Le DIP invoquait l’égalité entre les sexes et renvoyait à sa brochure «La laïcité à l’école», qui date d'avant la loi genevoise sur la laïcité, votée en 2018 par le Grand Conseil.
La décision du DIP n’était pas du goût de tout le monde dans le personnel éducatif. «Je ne vois pas où est le problème», s'étonnaient certains. L’enseignante «stagiaire» à l’origine de la diffusion de cette image avait voulu faire preuve d’«inclusion» vis-à-vis des musulmanes, représentées voilées pour l’occasion. Leur jeune âge sur le visuel, là non plus, ne semblait pas constituer un «problème».
Ailleurs en Suisse romande, une autre enseignante avait auparavant partagé la même image sur son blog. Egalement par volonté d’«inclusion». Informée que des parents d’élèves d’origine maghrébine étaient heurtés par la représentation de fillettes voilées, qu'ils voyaient là une marque de maltraitance, cette professeure retirait le visuel de son blog, sans être absolument convaincue par l’argument.
On en était là lorsque la polémique rebondit sur un réseau social ouvert au public. La présidente d’un syndicat genevois d'enseignants y contestait en ces termes la décision du DIP:
Cette publication s'attirait une volée de réactions outrées, dont celle-ci, postée sur le même réseau:
Pareillement scandalisé par les propos de la syndicaliste, un membre du Réseau laïque romand (RLR), une association se voulant à la fois vigie et lanceuse d’alerte sur les questions de laïcité, envoyait le 15 décembre un courrier à la cheffe du DIP, la socialiste Anne-Emery Torracinta, en appelant à sa «détermination».
La ministre cantonale répondait au RLR dans une lettre datée du 17 janvier, dont watson a pu prendre connaissance. Brève, voici ce qu’elle dit:
Le Réseau laïque romand se félicite de cette réponse qu'on peut qualifier de principe, mais qui ne dit pas grand-chose de ce que la ministre pense du cas d'espèce.
Jointe par téléphone, la présidente du syndicat genevois d'enseignants, qui s'était opposée au DIP sur un réseau social, précise sa pensée.
La loi genevoise sur la laïcité interdit le port de signes religieux aux seuls agents de l’Etat, y compris les enseignants. Genève n'a pas voulu «faire comme en France», où une loi votée en 2004 interdit aux élèves le port de signes religieux ostensibles. Le DIP était d'avis qu'il ne fallait pas prendre «le risque de marginaliser des élèves».
«A Genève, reprend la syndicaliste, on a opté pour une laïcité qui n’est pas une laïcité de censure comme en France. Une interdiction du foulard dans les écoles genevoises viendrait créer un problème, là où, aujourd’hui, il n’y en a pas. En tant qu’enseignante (réd: une activité qu’elle n’exerce pas actuellement), mon rôle est d’accueillir les élèves dans toutes leurs différences. Si on interdit de but en blanc à une petite fille voilée de porter le voile, on va la mettre dans un conflit de loyauté.»
Comment notre interlocutrice gère-t-elle les cas d’écolières voilées? Sa réponse:
En quoi au juste est-ce différent? Le voile est-il moins sexiste à l’adolescence que chez les filles prépubères? Intolérable avant les premières règles, tolérable aussitôt après? La position du DIP à ce propos est ambiguë. La réponse d'Anne-Emery Torracinta au Réseau laïque romand soulève plus de questions qu’elle n’en résout.
En effet, la «laïcité» à laquelle renvoie la ministre cantonale ne vaut pas pour les signes religieux chez les élèves quel que soit leur âge, sinon que ces signes ne doivent pas entraver les activités scolaires. Le prosélytisme est certes interdit dans l'école genevoise. Ce mot apparaît dans la brochure du DIP sur la laïcité, mais, s'agissant du port du voile, c’est pour rappeler que la jurisprudence fédérale considère que le foulard ne constitue pas, a priori, un acte de prosélytisme. A la différence d'un visuel représentant des fillettes voilées, si l'on tente de suivre le raisonnement du DIP? Sa doctrine peut donner ici l'impression d'un certain flottement.
Cette polémique sur un cas à la fois pratique et théorique intervient dans le contexte iranien. Des milliers de jeunes femmes risquent leur vie, plusieurs d’entre elles sont mortes pour avoir osé ôter leur voile et demander la chute du régime islamiste en place depuis 1979.
La réponse de la conseillère d’Etat genevoise Anne-Emery Torracinta dans sa lettre du 17 janvier n’aurait peut-être pas été à ce point «laïque» sans cette actualité tragique. C’est l’un des rédacteurs de la loi genevoise sur la laïcité qui le rappelle:
«On aurait pu s'en passer, non pas en général, mais pour l'école», rétorque Anne-Emery Torracinta, jointe par watson.
La cheffe du DIP précise:
Soutenue par la droite et le centre droit, la loi sur la laïcité portait la patte de l'ex-ministre cantonal Pierre Maudet, un radical. Les Genevois l'avaient définitivement adoptée par référendum le 10 février 2019 à 55%.