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Comment rentrer safe à la maison? Une app mise sur la sororité

Comment rentrer safe à la maison? Une application mise sur la sororité
Image: Shutterstock

Comment rentrer safe à la maison? Une app mise sur la sororité

The Sorority a débarqué en Suisse. L’application capitalise sur la bienveillance et l’entraide entre femmes pour faire la guerre au harcèlement de rue et aux agressions. On pose les enjeux.
17.07.2021, 08:2429.07.2021, 18:18
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Il est 4h30, cette nuit de juin. Lea, 20 ans, a salué ses potes après une soirée géniale. Elle avance dans une ruelle de Lausanne pour rentrer chez elle. Seule. Du moins, c’est ce qu’elle croit. Derrière elle, un homme la surveille. Il la suit à la trace. Elle le repère. Arrivée dans une large rue près de Chauderon, Lea s’arrête en apercevant un couple au loin – une bouée de secours pour son inquiétude qui enfle. Elle stoppe sa marche, fait mine de scruter son téléphone en priant pour que l’individu passe son chemin.

«Il arrive à ma hauteur, s’arrête et m’aborde. Je lui réponds sèchement que je n’ai pas envie de lui parler. Il me dit que je suis jolie. Il insiste, encore et encore. Je lui répète de me laisser tranquille. Il refuse de partir», raconte Lea. Elle a peur. A chacun de ses pas en arrière, l’homme en fait un en avant.

«J’aurais voulu lui hurler dessus mais c’était impossible,
j’étais tétanisée»
Lea, 20 ans, victime de harcèlement de rue

La jeune femme finit par demander de l’aide au couple qui passait. L’homme accepte de partir… tout en fixant les fesses de l’autre fille.

Toutes n’ont pas, comme Lea, la chance de croiser des anges pour les sauver. C’est justement pour redonner confiance à ces femmes que The Sorority été créée. Cette application française, désormais disponible en Suisse, mise sur l’entraide pour lutter contre les agressions, l’insécurité et le harcèlement de rue. Pour l’heure, elle recense environ 900 inscrites dans le pays.

C’est quoi, The Sorority?

C’est une application qui rassemble une communauté 2.0 ouverte aux femmes et aux personnes issues des minorités de genre. Le pitch: ensemble, on est plus fortes et on peut se protéger. La fondatrice, Priscillia Routier Trillard explique:

«Je suis convaincue que la bienveillance amène la bienveillance»
Priscillia Routier Trillard, fondatrice The Sorority

Concrètement, on s’y inscrit en livrant plusieurs informations personnelles, carte d’identité comprise. Chaque profil est vérifié «à la main» par l’équipe de l’application.

Géolocalisation et système d'alerte

Une fois sur la plateforme, les utilisatrices sont géolocalisées sur une carte et peuvent situer celles qui se trouvent à proximité. En cas de menace (harcèlement de rue, violence domestique, agression, entre autres), elles peuvent activer une alerte à la communauté.

The Sorority débarque en Suisse. Priscillia Routier Trillard la fondatrice nous explique.
Image: The Sorority

Les 50 utilisatrices les plus proches reçoivent une
notification. Elles peuvent alors écrire à la victime via un chat, débarquer sur place, s’organiser entre elles pour lui venir en aide à plusieurs ou appeler les forces de l’ordre, explique la fondatrice.

Plus on est connectés, plus on agit?

Vous avez sûrement déjà entendu parler de l’effet de témoin (aussi appelé effet spectateur). En psychologie sociale, ce phénomène veut que, dans une situation d’urgence, plus les personnes sont nombreuses à assister à la scène, moins elles vont se sentir responsables et donc moins elles vont agir et porter secours à la victime.

Avec The Sorority, la mécanique pourrait justement s’inverser, selon Pascal Wagner-Egger, psychologue social à l’Université de Fribourg: «L’effet de témoin marche avec des inconnus. Ici, l’application crée du lien entre des gens motivés à s’entraider. L’effet de groupe peut casser cette loi tacite de l’inaction».

Pourquoi les femmes devraient se protéger toutes seules?

D’aucuns peuvent penser que laisser les femmes «se débrouiller» entre elles pour se protéger des agressions est une charge qui ne devrait pas leur revenir. Priscillia Routier Trillard insiste:

«En aucun cas elles ne doivent se mettre en danger»
Priscillia Routier Trillard, fondatrice The Sorority

La fondatrice annonce que les hommes devraient bientôt être inclus sur la plateforme. «C’est ensemble qu’on va réussir à casser l’insécurité». Pour accéder à l’app, chaque homme devra être recommandé par trois utilisatrices. Il n’aura accès qu’aux alertes et ne pourra pas voir la position de toutes les femmes sur la carte. Une forme de précaution pour maintenir un «cercle vertueux et bienveillant».

Le harcèlement de rue en chiffres
Lancée en Suisse romande, l’application Eyes Up permet de signaler des actes de harcèlement. Elle a reçu 1100 signalements pour harcèlement sexuel entre juin 2019 et juin 2020. Les victimes sont des femmes dans 94% des cas et les auteurs sont, à 97%, des hommes. Une plateforme lancée par la Ville de Lausanne recueille aussi des déclarations d'actes. Entre les mois de novembre 2019 et 2020, elle a reçu 394 signalements. A Fribourg, selon une étude de la Haute école du travail social dont les résultats ont été publiés en septembre 2020, 4 personnes sur 5 ont subi du harcèlement de rue.

Si on ne porte pas secours, on est coupable?

Imaginez. Vous êtes inscrite sur The Sorority. L’écran de votre téléphone s’allume avec ce message: «Mathilde (par exemple) a activé l’alerte». Alerte. Ce mot, vous le recevez en pleine figure. Témoin virtuelle, vous voulez agir mais vous êtes sous le choc. Ou bien, vous n’êtes pas sûre de vouloir ou de pouvoir le faire, mais vous êtes quand même figée.

The Sorority débarque en Suisse. Priscillia Routier Trillard la fondatrice nous explique.
Image: The Sorority

Croyez-en celle qui vous écrit ces lignes: cet effet de sidération est bien réel. Pascal Wagner-Egger le valide avec l’oeil de l'expert:

«Lorsque l’on reçoit l’alerte, les effets psychologiques sont similaires à ceux qui surviennent quand on assiste à une scène choquante et que l’on ose pas intervenir. Ce qui est nouveau dans ce cas, c’est le sentiment d’impuissance induit par la distance avec la personne».
Pascal Wagner-Egger, psychologue social à l'Unifr

«Quoi qu’il arrive, ce n’est pas toi la fautive»

Pour apprendre à briser cette inaction, Priscillia Routier Trillard organise des «entraînements», à coup de fausses alertes, pour les membres de la communauté The Sorority. La fondatrice insiste: «Si tu ne peux pas agir, si tu n’en as pas les ressources, le feeling ou si tu n’es juste pas disponible, rappelle-toi que 49 autres personnes ont reçu l’alarme. D’abord, prends soin de toi, fais de ton mieux et quoi qu’il arrive, ce n’est pas toi la fautive».

The Sorority débarque en Suisse. Priscillia Routier Trillard la fondatrice nous explique.
Priscillia Routier Trillard a fondé The Sorority en France en 2019.Image: The Sorority

Justement, on en fait quoi de la culpabilité en cas d’inaction, ou si la situation prend une tournure dramatique sans qu’on ait pu y changer quoi que ce soit? Pascal Wagner-Egger estime qu’elle fait partie du «prix à payer» de cette forme d’engagement. Ces coûts psychologiques font, en quelque sorte, partie du «jeu».

Et pour la loi

Aparté juridique. Que pourrait-il vous arriver si l’agression dont vous êtes alertée virtuellement conduit à un drame, et que vous ne vous êtes pas rendue sur place? Maëlle Roulet, avocate à Genève, note qu’en Suisse, une infraction d’«omission de porter secours» existe.

«Pour que la femme alertée sur l’application soit coupable de cette infraction, il faudrait que la victime soit en danger de mort imminent, que la personne alertée en soit consciente et soit en mesure de prêter secours. Si ces conditions étaient réalisées, elles seraient difficiles à prouver et je conçois mal qu’on puisse incriminer la personne ainsi avertie par l’application ».
Maëlle Roulet, avocate à Genève

Et la police dans tout ça?

The Sorority souhaite collaborer davantage avec les forces de l’ordre à l’avenir. «Dès que j’aurai les fonds, j’aimerais que les autorités aient un accès aux alertes pour pouvoir intervenir directement», projette Priscillia Routier Trillard. Contactées, les polices municipales de Lausanne et Genève rappellent qu’elles déploient des patrouilles pour assurer la sécurité dans la rue. Elles appellent les victimes, mais aussi les témoins, à composer le 117 au moindre danger.

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