Une photo d'une soirée trop arrosée, une image volée dans les vestiaires de gym ou encore un cliché en train de se gratter le nez. À l'ère des smartphones et des réseaux sociaux, en deux secondes, vous pouvez vous retrouver sur Internet dans une position peu valorisante. «Les cas les plus extrêmes, c'est la pornodivulgation. Mais même les photos les plus banales peuvent nous porter préjudice», observe Kevin Huguenin, professeur à la Faculté des HEC de l'Université de Lausanne.
Celui qui dirige le laboratoire de sécurité de l'information et protection de la vie privée souligne à quel point nous sommes désormais dépendants des autres pour préserver notre sphère privée en ligne: «L'un des exemples les plus saillants, ce sont les photos publiées sans notre consentement.»
Ces dernières peuvent, par exemple, poser problème vis-à-vis d'un futur employeur qui cherche à en savoir davantage sur vous sur Internet. «Le cyberharcèlement est aussi de plus en plus répandu, notamment chez les très jeunes», pointe Kevin Huguenin.
Selon les recherches qu'il a menées avec son collègue Mauro Cherubini, 16% des utilisateurs des réseaux sociaux interrogés ont déclenché un conflit en partageant une photo sans consentement, au cours des douze derniers mois précédant l'étude, et environ 7% ont subi des conséquences graves, comme l’humiliation publique, la discrimination ou la pornodivulgation.
Pour tenter de remédier au problème, les deux professeurs à HEC Lausanne ont publié une étude dans laquelle ils proposent plusieurs solutions concrètes. Des solutions dont ils espèrent que les géants comme Facebook ou Instagram s'inspireront:
«Ce qu'on a observé, c'est que les gens avaient besoin de certitudes. Ils préfèrent donc une approche où on bloque techniquement la publication plutôt que de la sensibilisation», analyse Kevin Huguenin.
Une autre proposition a émergé suite aux discussions des chercheurs avec les utilisateurs. «Certains ont proposé un système de médiation avec l'idée que ce conflit entre la personne qui publie et celle qui figure sur l'image peut se résoudre par le dialogue», détaille le professeur à HEC.
Problème, des centaines de millions de photos sont publiées chaque jour sur Internet. «Il est impossible que des humains animent ces discussions. On a donc pensé à des chatbots (réd: une intelligence artificielle qui gère une conversation)», poursuit Kevin Huguenin, qui souligne que l'option sera étudiée dans les mois à venir par son équipe.
Sociologue du numérique à l'Université de Lausanne, Olivier Glassey confirme l'importance de s'intéresser au problème: «On ne sait pas comment ces images de nous postées par d'autres vont circuler, ni à quel moment elles vont réapparaître. Cela constitue une sorte de menace invisible.»
À ses yeux, les smartphones n'ont cessé de simplifier et d'accélérer la prise et la publication de photos ces dernières années. «C'est dans cette spontanéité encouragée que vont se nicher les problèmes de divulgation d'images. Il reste peu d'espace pour réfléchir aux conséquences.»
Si le sociologue est convaincu que l'on pourrait faire mieux techniquement pour protéger la vie privée des utilisateurs, il souligne que les algorithmes ne sont pas le seul remède: «Ce n'est pas la technologie qui va apporter l'entièreté de la solution à un problème qu'elle a créé.»
De ce point de vue là, Olivier Glassey apprécie d'ailleurs le dispositif de floutage imaginé par la HEC Lausanne. Selon lui, le système va amener des négociations entre les différentes personnes en les forçant à dialoguer, pour savoir pourquoi ils ont validé, ou pas, une photo. «Nous n'avons pas tous la même perception de ce qui est gênant. Ce sont des enjeux dont on ne parle pas souvent et dont il faudrait discuter davantage.»
Juriste spécialisé dans le droit des nouvelles technologies, François Charlet va dans le même sens. Il préfère pourtant la seconde solution proposée par Kevin Huguenin et son équipe, c'est-à-dire les messages de sensibilisation. «Il y a un côté éducatif, cela permet de rappeler qu'il y a des choses qui se font et d'autres pas. Au-delà de questions juridiques, il y a aussi le savoir-vivre.»
Le juriste rappelle toutefois que prendre et publier un cliché n'est jamais anodin. Même pour une photo quelconque, chacun a le droit de décider de la manière dont son image est utilisée. «Et même si vous êtes d'accord sur le moment de faire une photo, vous ne dites pas oui à plus que ça. Publier l'image sur les réseaux sociaux va plus loin que l'autorisation implicite que vous avez donnée.»