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Interview

«Tous les enfants placés présentent des troubles psychiques»

En cas de carences familiales, l'enfant peut être placé en institution. Mais un pédopsychiatre de Gland prévient: le remède ne doit pas être pire que le mal.
En cas de carences familiales, l'enfant peut être placé en institution. Mais un pédopsychiatre de Gland prévient: le remède ne doit pas être pire que le mal.Image: Shutterstock
Interview

«Tous les enfants placés présentent des troubles psychiques»

Des bébés valaisans de 21 mois nés sous gestation pour autrui sont placés en Valais depuis mi-août. Cette situation, évoquée par watson, a ému l'opinion publique. Un pédopsychiatre chevronné, le Dr Steven Reichenbach, explique ici la difficulté de trouver la bonne solution en matière de placement.
25.10.2021, 05:5125.10.2021, 10:18
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C'est une histoire évoquée par watson il y a quelques jours: alors qu'il venait de déménager de Sion à Fribourg en août, un couple dans le collimateur des autorités valaisannes de protection de l'enfance a vu ses deux bébés jumeaux de 21 mois être placés en lieu inconnu.

Pour mieux comprendre la délicate problématique du placement des enfants mineurs, nous avons sollicité le Dr Steven Reichenbach, qui exerce depuis près de 30 ans en cabinet privé à Gland (VD) après avoir été responsable d’un hôpital de jour au CHU de Nancy. Ce pédopsychiatre et psychothérapeute FMH est un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie d’enfants et d’adolescents. Il s'occupe notamment de symptômes divers comme l’anxiété, les troubles du comportement, les difficultés de sommeil, la dépression ou encore les difficultés scolaires.

Dans quel contexte l'Etat a commencé à se substituer aux familles pour s'occuper de l'éducation des enfants?
Dr Steven Reichenbach:
Le placement reste encore, dans l’opinion publique, un sujet très sensible. Il faut d'abord rappeler que le placement des enfants dans des institutions ou des familles d’accueil répond à une obligation légale. En Suisse, depuis 1907, l’introduction d’une politique de protection de l’enfant attribue aux autorités le devoir de veiller au bien-être physique, moral et mental de l’enfant. En cas de carences familiales, c’est l’Etat qui devient responsable du bon développement de l’enfant, comme le stipule la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant.

Toute la difficulté est de diagnostiquer les carences éducatives, physiques, psycho-affectives et affectives afin que les autorités judiciaires ou administratives puissent prendre les bonnes décisions qui s’imposent. Le placement en institution ou en famille d’accueil est la mesure extrême qui doit être prise. Il s’agit de la question du droit de l’enfant à pouvoir se développer en bonne santé mais aussi celui de son droit à vivre dans son milieu familial et à disposer d’un père et d’une mère. Parfois, ces deux droits entrent en conflit. Il faut éviter que le remède soit pire que le mal.

Quand on entend que le remède ne doit pas être pire que le mal, on pense forcément à ces milliers d'enfants placés abusivement jusqu'en 1981 dans des orphelinats, des prisons ou des centres de détention en Suisse...
En effet, entre 1870 et 1981, sous prétexte de les soustraire à des milieux pauvres et carencés, des milliers d’enfants ont été retirés à leurs parents pour être placés dans des institutions ou dans des familles d’accueil afin de les protéger. Devenus adultes, beaucoup d'entre eux ont souffert et souffrent encore de carences affectives, voire de traumatismes physiques et sexuels. Sur ce point, on peut se référer à l'ouvrage «Placés, déplacés, protégés? L’histoire du placement d’enfants en Suisse, XIXe-XXe siècles», de Joëlle Droux et Anne-Françoise Praz.

Que dit la littérature médicale sur ces enfants qui quittent leur milieu familial pour vivre en institution?
Sur le plan médical et psychiatrique, tous les enfants placés dans les institutions présentent des troubles psychiques. La psychiatre française Morgane Even a fait en 2017 une revue de la littérature sur la santé mentale des enfants retirés de leurs parents et placés en institution ou en famille d’accueil. Elle a relevé que la souffrance psychique touche entre 23 et 71% des enfants placés. Cette souffrance était composée de plusieurs troubles: anxieux ou dépressifs, des conduites, retard dans le développement, retard cognitivo-mental, retard du langage, difficultés à gérer les émotions, traumatismes affectifs et/ou physiques... Les traumatismes vus chez ces enfants sont complexes. Ils surviennent tôt dans leur vie et se répètent. Il peut s’agir de carences affectives ou éducatives dans le milieu familial d’origine ou de ruptures du lien en rapport avec le placement. Tout se passe alors comme si le placement prenait la suite des carences initiales intrafamiliales.

Quelles conséquences ces traumas peuvent avoir dans le développement de l'enfant?
Ces traumas entraînent des troubles de l’attachement dits insécures. Les enfants n’ont plus confiance en leur environnement ni en eux-mêmes. Ceci peut aboutir à un certain comportement anti-social, voire à une mise en danger par des comportements auto-agressifs (tentatives de suicide, mutilation, addictions) ou hétéro-agressifs (fugues, agressions, vols, prostitution).

«La difficulté est de faire la part entre les troubles psychiques préexistant avant le placement et ceux, parfois plus importants, résultant du placement et de ses conséquences»

Quels sont les facteurs de ces troubles affectifs ou psychiques lors des placements?
Il y a notamment l’âge de l’enfant au moment du placement. Plus les enfants sont jeunes, moins les conséquences du placement sont importantes. Dans une étude anglaise, les enfants placés avant 1 an, avaient 33% moins de signes de souffrance psychique que ceux placés à un âge plus tardif. La durée du placement en famille d’accueil ou en institution est aussi un élément déterminant: plus elle est longue, plus le risque de rupture des liens avec la famille biologique est élevé.

Comment atténuer les effets négatifs?
Il y a plusieurs mesures:

  • Maintenir le lien avec les parents. Ils doivent pouvoir continuer à s’investir dans leur enfant. La régularité de leur intervention est importante. L'enfant doit compter sur la présence régulière, même si elle n’est pas fréquente, de ses parents. Il faut soutenir la famille biologique et l'aider à préparer le retour de l'enfant à la maison.
  • Au niveau des institutions, il faudrait un soignant principal pour l'enfant. La multiplication des soignants ou éducateurs peut participer à la rupture des liens. Ceci est particulièrement vrai chez les enfants plus jeunes. Le monde se rappelle encore avec effroi de ces enfants roumains, placés en pouponnière qui ont été découverts en 1989, après la chute de Ceaucescu, se balançant dans leur lit, le regard hébété. Ils étaient livrés à eux-mêmes, sans lien d'attachement sécure.
  • Soutenir les professionnels et intervenants autour de l’enfant et travailler en réseau pour avoir des liens harmonieux.
  • Proposer un suivi pédo-psychiatrique et ou psychothérapeutique pour un espace de parole où l'histoire traumatique va se transformer en histoire narrative.
  • Les techniques corporelles sont particulièrement utiles : mindfulness, yoga…. Des activités de groupe, où des liens peuvent se créer, sont également bénéfiques: théâtre, musique, chorale (comme dans le film «Les Choristes» avec Gérard Jugnot).

Qu'en est-il du traitement à proprement parler?
Des traitements psychotropes, antidépresseurs ou neuroleptiques, peuvent être indiqués. En pratique clinique, il n’est pas rare au cours de nos entretiens pédopsychiatriques d’entendre des enfants ou adolescents demander à partir de chez eux. Ils se plaignent de brimades, parfois de parents défaillants (alcoolisme, propos injurieux). Nous devons alors faire appel aux services de protection de l’enfance pour rétablir un cadre affectif et éducatif sécurisant. Dans ces cas, on peut dire qu’il n’y a pas de bonnes solutions mais seulement des solutions qui permettent d’arrêter le processus de traumatisation et de mise en danger de la patiente ou du patient.

«Toutes les mesures prises doivent être remises en question en fonction de l’évolution de la situation de l’enfant et de sa famille, et du degré de sécurisation de l’environnement dans lequel il se trouve»
Pas de chiffre sur le nombre d'enfants placés
En Suisse, on connaît le nombre de sapins dans les forêts, le nombre de vaches allaitantes, le nombre de voitures en circulation mais pas celui des enfants placés en institution. Du fait de l'hétérogénéité des pratiques et méthodes entre les cantons, il n'est pas encore possible d'avoir un chiffre global sur l'ensemble du pays. En 2017, la Conférence en matière de protection des mineurs et des adultes dénombrait environ 3700 enfants officiellement placés dans le cadre d’une mesure de protection. Mais une analyse quantitative montre qu'entre 2015 et 2017, environ 1,1% à 1,2% des personnes de 0 à 18 ans résidant en Suisse étaient placées. Une extrapolation sur l’ensemble du pays donne un total d'environ 18’000 à 19’000 jeunes placés, dont 4700 à 5800 dans des familles d’accueil et 12’000 à 14’200 dans des foyers pour enfants et ados.
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