C'est un Matthew Perry qui aurait gagné la bataille. Même génération, même fil du rasoir. Un gars adulé qui ne s'aime pas. Sensible mais dérangé, adorable mais insupportable, rigolo mais dépressif, narcissique mais en colère contre sa chair, talentueux mais toxicomane. Robbie Williams, à quelques encablures de la cinquantaine, nous convie au pieu pour une tempête d'introspections: «Je suis soit sur scène, soit dans mon lit, c'est comme ça, faudra faire avec».
Sur Netflix, dans un documentaire en quatre salves, la star britannique défroque ses (nombreux) passés à coups d'archives vidéos: «Je ne souhaite la boîte de Pandore à personne», dira-t-il, vautré dans la douceur cossue de sa baraque de Los Angeles, 35 ans après avoir intégré un groupe qui allait faire tomber les liasses, les larmes et les petites culottes: Take That.
Si Robbie Williams aurait pu crever chaque année, il est devenu célèbre deux fois. De quoi s'acheter de belles bagnoles et perturber l'équilibre psychologique de n'importe quel mioche un peu sensible. Un match inégal.
Au début des années 90, Kurt Cobain n'est pas mort, Britney Spears a dix ans et les Twin Towers fendent encore le ciel new-yorkais. Sans le moindre penny ou diplôme en poche, Robert Peter Williams, fils d'une fleuriste effacée et d'un comédien qui l'abandonnera pendant quatre ans avant de se raviser, devient le cinquième joli gosse d'un concept marketing qui, à cette époque, fait bander les hit-parades: les boys bands. Rob' a dix-sept ans et passe désormais ses journées à apprendre à chanter, danser, poser, sourire. S'il faudra se montrer à la fois poli et polisson, c'est que le produit est censé plaire à tout le monde. Mais ce sont surtout les filles qui vont mordre à l'hameçon.
Les refrains bien coiffés et les chorégraphies maladroites de ces garçons de Manchester pécheront un public que le Royaume-Uni n'espérait plus depuis les Beatles. Entre 1991 et 1996, Take That écoulera 30 millions d'albums. Pour dire, à leur (première) séparation, les autorités anglaises dégaineront une ligne d'urgence, de peur que les teens de la Couronne ne fassent une grosse connerie. Car, «ouais, les fans de Take That étaient obsessionnels, carrément incontrôlables».
Très vite, le gamin ne parviendra plus à contenir sa personnalité, exacerbée par l'argent, la gloire, la pression, les filles et l'alcool. En public du moins, le kid fout la merde. Il sera le petit emmerdeur extraverti, l'amuseur des foules, celui qui se déguise, dépasse les bornes, singe la rock star et aligne blagues potaches, grimaces friponnes, provoc' inoffensives.
Une attitude qui va effrayer les producteurs et agacer le leader de la bande, le beau Gary Barlow. C'est lui qui écrit toutes les chansons, attire tous les regards, gagne le plus d'argent. Robbie, probablement aussi orgueilleux qu'insécure, ne s'en remettra pas. Dans le premier épisode du documentaire, sa fille Teddy le rejoindra sur son lit douillet, pour guigner l'écran sur lequel les archives défilent. Soudain, la question que seul un enfant ose poser: «Papa, qui est-ce que tu détestais le plus dans Take That?»
En 1995, Rob' claque la porte. Une année plus tard, Take That tirera la prise. Les fans et l'Angleterre sont inconsolables. Pour le futur ange noir de la pop, qui n'a alors que 21 ans, c'est l'heure d'une crise existentielle que l'on réserve d'ordinaire à la quarantaine. Qui est Robbie Williams? Que sera Robbie Williams? Sur fond de beuveries et de crises d'angoisse, le jeune adulte va errer en studio à la recherche d'une vie. D'une deuxième vie. C'est jeune pour empoigner une reconversion.
Sur ces images d'archives, les sourires sont forcés, les cernes profondes. L'humour ne trompe plus. L'effronté descend une bouteille de vodka tous les soirs et s'agrippe à sa clope pour ne pas flancher. Même l'incursion amoureuse de Nicole Appleton, du groupe All Saints, ne parviendra pas à adoucir les insomnies et les crises de panique.
Musicalement, Robbie Williams a raison de flipper. Son premier album, Life thru a Lens, dégoupillé en 1997, sera un flop... jusqu'à la sortie du quatrième single, Angels. «Et Dieu merci, la fusée a décollé. C'était ma seconde chance».
Cette fois, Rob' tenait sa revanche sur Gary le plus-que-parfait. Devant son domicile, devant le siège des radios, devant les scènes, les hurlements, l'hystérie et les groupies opèrent le même come-back que lui. Une année plus tard, son premier Glastonbury, noir de monde, le propulsera d'un coup sec au sommet de tout ce qu'un chanteur rêve de gravir doucement à mains nues.
Un seul homme est à l'origine de cette résurrection. Guy Chambres, qui produira et écrira avec lui la plupart de ses tubes, a su trouver le chemin le plus court jusqu'au talent du kid: Robbie Williams est un artiste. Au sens trivial et explosif du terme. De ceux qui savent danser à poil et porter le costard pétant à paillettes. Il lui fera chanter Let Me Entertain You comme une preuve prophétique de sa destinée.
Un décollage qui fera de lui la plus grande star de la pop pendant dix longues années... sauf aux Etats-Unis, pays que Robbie ne parviendra jamais à «comprendre», «amadouer», «séduire», malgré les tentatives. Mais régner sur le toit du monde n'empêche pas le vertige continuel de l'existence. Or, à l'été 2000, une rousse énergique va lui offrir sa première véritable parenthèse de bonheur. Geri Halliwell, une Spice Girl aussi timbrée que lui, sera sa bulle d'amour et d'eau salée, l'espace d'un break dans le sud de la France.
C'est la presse tabloïd qui brisera cette idylle, en s'attaquant à la paranoïa de la pop star. Pendant de longs mois, les paparazzi documenteront violemment chaque éruption d'allégresse, en arrivant parfois avant eux sur les lieux du crime.
«Et ça montre bien les effets de la célébrité sur l'esprit, quand on a confiance en personne.» Hélas, Robbie Williams ne va jamais parvenir à calmer les médias. Alors que The Sun s'acharne à tourner la star en ridicule, publiant des photos volontairement dégueulasses, les revues musicales britanniques se vengent de son «succès incompréhensible», de ce «looser qui ne séduit que les gens sans émotion». La presse anglaise, ira jusqu'à considérer que «Robbie Williams est un crime contre la musique».
En parallèle, il remplira gaillardement les stades jusqu'à l'épuisement. Jusqu'en 2006. Jusqu'à ces trois concerts gigantesques à Leeds qui vont physiquement et psychologiquement l'achever. «En regardant ces images aujourd'hui, c'est comme un accident prolongé.» L'année, aussi, de la rechute, accompagné d'OxyContin, d'Adderall, de Vicodin, de morphine, «vous savez, les plus grands hits», confesse-t-il, cynique, dans son pieu et le troisième épisode.
L'année, enfin, d'un divorce douloureux avec Guy Chambres, parce que «je veux garder le contrôle». Et d'un virage musical étrange, armé d'un single pop-hip-hop baptisé Rudebox. Du pain béni pour les journalistes londoniens, qui trouveront enfin matière à l'assassiner.
Paradoxalement, Robbie Williams remontra la pente en décidant de ne plus l'escalader. Ses proches lui conseilleront d'arrêter de coucher avec une autre groupie tous les soirs et l'enverront en cure de désintoxication. Un truc «qui n'a rien à voir avec des vacances dans un country club». Terminées les tournées gigantesques. Il rangera le micro et le jet-privé flanqué de ses initiales pour se soigner. Trois ans sans chanter, pour éviter de déchanter.
Hasard vache du calendrier, c'est au pied de l'hôpital qu'il va rencontrer Ayda Field, sa femme, «son alliée et son âme soeur», celle qui va lui donner des lendemains, des gosses et des garde-fous.
Aujourd'hui réfugié en Suisse avec sa petite famille, Robbie Williams est «en paix». Enfin, comme on peut l'être dans la peau d'un éternel kid obsédé par ce qu'il a été, ce qu'il est, ce qu'il sera. Car si Netflix a pu dévoiler autant d'images d'archives, c'est que la star a bien voulu se faire filmer sous toutes les coutures pendant trente ans. Bien avant ses douces âneries sur Instragram, Rob' a toujours eu besoin de défier son image. De ne faire qu'un avec la caméra, qu'il braquait parfois lui-même en loges, en privé, en selfie. Comme une amie dénuée de jugement ou un psy endurant.
«Je ne sais pas si c'est facile de m'approcher. Je suis solitaire. Ceux qui s'en accommodent sont déjà des gens particuliers», disait-il en 1997. Aujourd'hui, à 49 ans, Robbie Williams semble enfin assez particulier pour pouvoir se fréquenter.