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Cette semaine, une étrange sensation de déjà-vu nous envahit: nous revoilà à regarder «Top Chef» en confinement. Même si cette fois-ci, on aura quand même tenu six épisodes sans, c'est deux de plus que l'année dernière.
Mais c'est pas grave, l'adversité, maintenant, ça nous connaît. Alors c'est parti, cette semaine on est tasty, on est funky, on est sexy.
Dans la première partie de l'émission, il va falloir reconstituer un plat de Glenn Viel, un chef qui ressemble à un méchant russe dans un film Marvel - avec un petit air de Seth Rogen. C'est le plus jeune chef trois étoiles de France, et «un des tauliers de la créativité» selon Matthias. Il a même été élu chef de l'année 2020 - ça doit être un peu comme gagner la Palme d'or en 1940: ça n'a pas la même saveur, quand même.
L'épreuve commence avec un truc qu'on n'a pas vu depuis un an: un dîner pour huit personnes.
C'est marrant de voir les candidats manger pour une fois plutôt que cuisiner, c'est un peu comme quand on voit les personnages de Lost prendre une douche. Ça fait plaisir pour eux, même si on sait que le bonheur sera de courte durée.
L'épreuve sera découpée en plusieurs étapes, avec une élimination à chaque fois. «Première étape, la carotte»: on dirait Macron qui met au point son plan sanitaire. Les candidats vont devoir trouver comment Glenn Viel a réalisé la pâte de carotène concentré qui orne sa carotte. Chloé, en tout cas, est sur la bonne piste: «C'est une carotte, je crois.» Bravo Chloé.
Baptiste et Sarah sont sur la bonne piste, mais ne comprennent pas l'indice de Viel sur le carotène, qui s'obtient comme on obtient de la chlorophylle. Déjà moi y a un an je savais pas ce que c'était la chlorophylle, donc je ne peux pas tout à fait leur en vouloir.
Les jaunes, eux, sont insupportables, et nous répètent pour la millième fois: «Nous la première règle c'est le goût, la deuxième règle c'est le goût, et la troisième règle c'est le goût.» C'est vrai que pour les chefs de la brigade violette la première règle c'est l'ouïe, et pour les rouges c'est l'huile de moteur.
Arnaud, lui, est «sûr à 100%» que la harissa de carotte a été faite avec de la poudre d'amande. Delusion, convince yourself.
Glenn Viel, atterré par leur nullité, répète son indice sur la chlorophylle à tout le monde. Et là, Chloé HURLE la réponse devant tout le monde au lieu de la garder pour elle. Elle doit pas souvent jouer au poker, elle.
Au moment de goûter le premier élément, les violets sont éliminés du premier coup. Pauline n'aurait pas dû partir!
Prochaine étape: le «ris de veau boulé». ENFIN DES ABATS. La difficulté ici sera surtout de trouver comment le ris de veau a pris la forme d'une boule: au lieu d'utiliser du film plastique, Glenn Viel se sert d'une gaze qui permet de bien absorber le goût du bouillon dans lequel le ris est cuit. Perdus, les candidats commencent alors à se prendre sévèrement la tête.
Chloé est au bord de la syncope. Elle essaie même d'emballer sa viande dans du papier cuisson ou des moules à madeleine. Mohamed, lui, pense que les ris de veau sont cuits dans un gant en caoutchouc. Mec, si je vais dans un trois étoiles et qu'on me sert un ris de veau cuit dans le truc qu'on utilise pour faire un toucher rectal, je vais mal le vivre.
Glenn Viel, qui a autant de patience qu'un prof de CE2 après un an de pandémie, leur donne 93872643 indices et doit vraiment se faire violence pour ne pas leur dire qu'il faut juste utiliser du tissu. À l'issue de cette deuxième étape, ce sont Thomas et Arnaud qui sont éliminés, parce que leur ris de veau est trop nerveux. Dommage!
Et enfin, la dernière étape consistera à recréer la sauce, dont l'ingrédient secret est... du jus de pamplemousse brûlé. C'est comme essayer de trouver de la cohérence dans la communication du gouvernement: mission impossible.
Finalement, Chloé et Mohamed sont récompensés pour toutes les années d'espérance de vie qu'ils ont perdues pendant cette épreuve, et sont qualifiés pour la semaine prochaine.
La deuxième partie de l'émission est consacrée aux adorables chefs Marcon, des «orfèvres du champignon» selon Arnaud. Gros point positif: l'épreuve se déroule dans les bois, ce qui nous permet de voyager un peu par procuration. L'enjeu? Faire un dessert à base de champignons. Le plat du gagnant sera mis à la carte du restaurant des Marcon, et on espère de tout c?ur que la victoire sera pour Charline, en pleine montée en puissance depuis quelques semaines.
Pour son dessert, Matthias a reçu des trompettes de la mort, l'ingrédient préféré de David Gallienne. Le candidat, qui vient d'une famille d'exploitants forestiers, espère pouvoir «rendre hommage à ses racines», et précise que «c'est pas un jeu de mot pourri». Il n'a clairement pas compris dans quelle émission il était.
Sa crème brûlée aux champignons et aux mûres a l'air assez bonne et semble beaucoup l'enthousiasmer: «On est sur un délire assez darkos.» Le mec fait cuire des champignons, il se croit au Hellfest.
De son côté, Charline fait un dessert aux morilles blondes, ou comme Jacques Marcon les appelle affectueusement, des «sparassis crépus». Son plat a l'air très bon et très inventif. On y croit.
Sarah, elle, décide de partir sur quelque chose de très léger: un pancake de sarrasin avec une purée aux girolles et des girolles au caramel. Mais on sent que le courant passe hyper bien entre elle et Pairet, et que la candidate a énormément pris confiance en elle depuis le début. Pour une émission dans laquelle les femmes sont généralement sous-représentées et éliminées assez tôt dans le concours, ça fait plaisir de voir que les candidates de cette saison représentent une vraie menace.
Baptiste, lui, doit cuisiner du «lactaire délicieux». Alors déjà, quand t'as «délicieux» dans ton nom c'est qu'y a une arnaque quelque part. C'est comme quand un pays s'appelle «République démocratique», tu sens tout de suite qu'y a entourloupe.
Toujours perché sur la planète Baptiste, le candidat décide de faire... une omelette aux champignons. En dessert. La Big Adrien Energy est très forte sur ce coup. Plus l'épreuve avance, plus sa préparation devient intersidérale: il fait un siphon aux ?ufs brouillés ainsi qu'une omelette aux coings, aux champignons et aux fruits de la passion. Paul Pairet est tout émoustillé par cette audace, et on le comprend: le mec est complètement taré.
Arnaud, lui aussi, est très inspiré par cette épreuve décidément rocambolesque. «Direct la forêt, je pense à, euh, Robin des bois.» Arnaud, 5 ans et demi.
Le candidat doit cuisiner des cèpes, ce qui pousse Michel à tenter un petit «cèpe pas mal». Michel, on a déjà assez souffert comme ça depuis un an sans qu'il faille en rajouter avec de telles provocations. Même Arnaud (Arnaud!) est gêné.
Enfin, Thomas doit travailler des «chanterelles modestes» et décide de les mêler à du sirop d'érable. Mais le Modigliani du champignon ne compte pas s'arrêter là. Le mec part en freestyle et se lance dans une «crème pâtissière au sous-bois. Mais un goût sous-bois qui détonne un petit peu.» Alors déjà, ça a quel goût le sous-bois, et comment on fait un goût de sous-bois qui détonne? Thomas se met à arracher la mousse des arbres (???) et à tabasser des pommes de pin avec un rouleau à pâtisserie (??????). L'espace d'un instant, on se demande si on n'a pas atterri dans une parodie de «Broute». Ce mec est fou perché, et son plat a l'air absurde... mais je dois bien reconnaître que j'ai très envie de le goûter.
C'est parti pour la dégustation, avec des chefs Marcon plus mignons que jamais. L'annonce du dessert de Baptiste, «omelette champignons», extirpe un «wooow» frétillant de Régis Marcon. Le dessert de Sarah, lui, est «un petit bijou».
Comme d'hab, Matthias gâche tout lorsqu'on apprend qu'il a intitulé son plat «trompettes de la vie». Quel enfer. Quelque part, David Gallienne pleure de rage de ne pas y avoir pensé.
Malgré ce nom infâme, le dessert de Matthias fait un gros carton; et Philippe Etchebest n'arrête pas de le frapper pour signifier son contentement.
Finalement, c'est Sarah qui gagne!!! Et après avoir attendu sept épisodes, Paul Pairet fait l'avion pour la première fois. Nature is healing, etc.
Et c'est là qu'arrive le plus gros SCANDALE de cette émission. Philippe Etchebest décide d'envoyer Charline en dernière chance, parce qu'il «pense que Charline a encore besoin de s'affirmer dans le concours». Pas parce qu'il est certain qu'elle a le niveau pour remporter la sellette, hein. Parce qu'elle a «besoin de s'affirmer». Mais d'où???
Récapitulons un peu. Charline a déjà été envoyée en dernière chance par Philippe pour «prendre confiance en elle» il y a trois épisodes - il faut qu'il lui fasse le coup combien de fois avant d'estimer qu'elle a fait ses preuves? Depuis, la jeune candidate est devenue de plus en plus imposante et passe son temps à réajuster les préparations de Matthias. Elle a tout défoncé pendant l'épreuve des Marcon, est arrivée ex æquo avec Philippe Etchebest et Paul Pairet dans l'épreuve où elle devait les battre, a remporté l'épreuve de Guy Savoy et a gagné l'épreuve du riz la semaine dernière, avec une recette dont elle a eu l'idée. Matthias, qui a partagé ces victoires mais bizarrement n'a pas besoin de prendre confiance en lui, n'a pas été envoyé en dernière chance depuis le deuxième épisode de la saison.
La dernière chance porte sur le poireau, et l'assiette très simple et chiche de Charline ne fait vraiment pas le poids face aux réalisations impressionnantes de Thomas et Baptiste. C'est donc sans surprise que la jeune femme quitte l'émission, les yeux pleins de larmes.
«Top Chef» vient donc de perdre une candidate impressionnante de talent et de maturité - moi si à 18 ans on m'avait demandé de sublimer le poireau, j'aurais répondu «c'est quoi un poireau?». Et si on m'avait éliminée, j'aurais insulté tout le monde avant de partir. Donc bon, si elle en est là à son âge, à 25 ans, elle sera clairement reine du monde.
Etchebest et Pairet pendant les épreuves, on dirait vraiment deux oncles bourrés un soir de Noël:
La carotte de Glenn Viel, ça a quand même l'air d'être la meilleure carotte qui ait jamais été créée.
Où l'on découvre enfin l'outil qui permet de faire tourner les plats pour la production: la tournette!!!
Comment on imagine Matthias quand il dit «j'ai une bibliothèque plus grande que le mur»:
«Faut juste pas que je me foire au démoulage quoi»: quand il te reste plus que quatre feuilles de PQ.
«On aurait dit un match des Brooklyn Nets.» ON A COMPRIS THOMAS, tu as grandi à Brooklyn.
Les dîners à l'ère de la distanciation physique:
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original