Aloïs Gmür n'a jamais vu cela: «Il n'y a plus de bouteilles», déclare le patron de la brasserie Rosengarten dans le canton de Schwytz. Ou du moins presque plus. «Partout, il faut presque supplier à genoux les fournisseurs de verre et leur transmettre immédiatement l'ensemble des besoins annuels.» Les commandes de dernière minute ne sont plus possibles.
Alors qu'auparavant, les bouteilles à usage unique étaient livrées en l'espace d'une semaine, cela peut désormais en prendre plusieurs, souligne Aloïs Gmür. Les délais de livraison sont encore plus longs pour les bouteilles réutilisables et les verres, comme les chopes de bière ou les verres à pied.
En Valais, le viticulteur Jean-René Germanier connaît lui aussi les difficultés du secteur. Lui-même n'a pas de problèmes, du moins pas pour le moment. Il commande toujours ses bouteilles au moins un an à l'avance. «Nous avons besoin d'un million de pièces par an, il faut donc planifier», explique-t-il. Cela porte ses fruits aujourd'hui, les livraisons arrivant à temps. En revanche, elles coûtent plus cher.
Les conséquences devraient bientôt être visibles pour les consommateurs au rayon des bières et des vins. «Oui, il y aura des augmentations de prix dans un avenir proche», affirme Aloïs Gmür. Feldschlösschen ne veut pas s'exprimer à ce sujet: «Pour l'instant, nous observons les évolutions», déclare une porte-parole. Elle ajoute: «Nous ne voyons actuellement aucune tendance à une stabilisation de la situation.»
Le problème du verre trouve son origine dans la pandémie, explique Aloïs Gmür. Avec la fermeture des restaurants et des bars, la consommation à domicile a augmenté et, au lieu d'utiliser les fûts dans les bistrots, les gens ont bu leur bière dans des bouteilles jetables. La demande a augmenté rapidement, l'offre n'a pas pu suivre.
La situation, déjà tendue, a été accentuée par la reprise rapide après le premier confinement. Soudain, tout le monde voulait à nouveau du verre, et beaucoup de verre. «La situation est difficile», déclare David Naselli, porte-parole du fournisseur de verre Univerre. «Il y a une pénurie de verre dans toute l’Europe.» L'entreprise, dont le siège est à Sierre (VS), ne produit pas elle-même le matériau, mais achète la majeure partie de ses produits en Europe. «Notre large assortiment permet toutefois à Univerre de trouver des solutions individuelles pour ses clients.»
La situation s'est encore empirée avec la guerre en Ukraine, qui touche directement l'industrie du verre. Le fabricant suisse d'emballages en verre Vetropack, par exemple, possède une usine à Gostomel, près de Kiev, qui emploie 600 personnes. La production a été arrêtée dès le début de la guerre. Entre-temps, l'usine a été tellement endommagée par l'armée russe que Vetropack ne s'attend pas à pouvoir reprendre l'exploitation dans un avenir proche.
Vetropack confirme les hausses de prix: le fabricant de verre a déjà dû augmenter ses tarifs de 10% pour l'année 2022. En avril, une nouvelle hausse de prix de 15% en moyenne a suivi, explique Johann Reiter, le directeur de l'entreprise. Les clients reçoivent un prix fixe, mais une majoration s'ajoute désormais pour couvrir les coûts actuels de l'énergie et du transport.
Trois facteurs font actuellement grimper le prix du verre. Premièrement, le coût du gaz naturel a fortement augmenté. La production de verre, très gourmande en énergie, est touchée de plein fouet. Comme le dit David Naselli:
Deuxièmement, le transport et les matières premières pour la fusion du verre, comme la soude, coûtent plus cher. Et comme nous l'avons dit, la demande de bière, de vin et d'eau minérale en bouteilles de verre a fortement augmenté après les semi-confinements de l'année dernière – ce qui entraîne des pénuries.
Johann Reiter, explique qu'actuellement, 95 pour cent des clients en Suisse reçoivent encore les bouteilles en verre qu'ils ont commandées. Mais ceux qui commandent de petites quantités ou des produits spéciaux doivent attendre plus longtemps. Tous les clients ne parviennent pas à prendre leur mal en patience. Certains cherchent un autre fournisseur. Le directeur de Vetropack comprend cette frustration, mais déclare:
Le fait est que pour un brasseur suisse qui veut commander des bouteilles de bière, il n'y a pas beaucoup d'options. La situation est tendue dans l'ensemble de l'industrie européenne du verre. Il reste certes des fournisseurs d'Extrême-Orient, par exemple en Chine.
Mais la rentabilité de la vente du verre dépend en premier lieu du transport, qui occasionne une grande partie des coûts. «En général, il n'est pas rentable de transporter le verre à plus de 400 kilomètres du client», explique Reiter. C'est pourquoi, sur le marché européen, le verre provient le plus souvent de fournisseurs locaux – qui souffrent tous des mêmes hausses de prix.
La panne de l'usine Vetropack près de Kiev ne provoque pas seulement des goulots d'étranglement supplémentaires sur le marché du verre. Pour deux tiers des quelque 600 employés, la guerre signifie le licenciement. Le fabricant suisse tient certes à maintenir le site. Mais l'entreprise ne peut plus payer les salaires des centaines d'employés sans produire, selon ses propres indications.
Dans les années 1990, le groupe Vetropack s'est développé en République tchèque et en Croatie, puis en Slovaquie et en Ukraine. En 2020, une usine a également été ouverte en Moldavie.
L'Europe de l'Est a attiré l'industrie du verre pour différentes raisons. D'une part, ces pays ont une longue tradition dans la fabrication du matériau, et le savoir-faire qui va avec. D'autre part, les marchés émergents et les prix relativement bas du gaz promettent des affaires lucratives. Or, les turbulences actuelles sur le marché de l'énergie ont fortement mis à mal cette activité. L'industrie du verre doit d'autant plus s'affranchir du risque lié au gaz naturel. Mais il faudra sans doute encore des années avant que les fours de fusion puissent être chauffés sans gaz.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder