Mercredi 8 septembre, à 12h30, Jean-Louis Périès, président d’une cour d’assises composée de magistrats professionnels, ouvrira le procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. Dans son champ de vision, quatorze accusés (onze dans le box, trois qui comparaissent libres). Six autres, déclarés «sans domicile connu», sauf un, actuellement détenu en Syrie pour une cause différente, manqueront à l’appel. Faisant l’objet d’un mandat d’arrêt, ces absents sont présumés en fuite ou plus probablement morts en Syrie, dans les rangs de l’Etat islamique qu’ils avaient rejoint.
Quatre autres individus qui auraient pu comparaître, sont, eux, bel et bien morts. Des «Belges». Parmi eux, les frères El Bakraoui, auteurs des attentats de Bruxelles du 22 mars 2016. Recherchés pour leur implication dans les tueries de masse du 13 novembre, cinq mois plus tôt, ils s’étaient fait exploser à l'aéroport et dans le métro de la capitale belge, alors qu'ils projetaient, semble-t-il, d'autres attentats en France. Un troisième qui avait renoncé ce jour-là à son plan meurtrier, Mohamed Abrini, figurera, lui, sur les banc des accusés à Paris pour avoir convoyé les terroristes du 13 novembre.
En tout, 20 individus seront donc jugés à Paris durant neuf mois dans le cadre de ce dossier gigantesque. La plupart encourent les plus lourdes peines, à commencer par Salah Abdeslam, seul des commandos qui ont ensanglanté Paris à avoir survécu. Les principaux chefs d’accusation à leur encontre sont la complicité de meurtres en bandes organisées et la participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle. En matière de terrorisme, la justice accorde rarement des circonstances atténuantes.
Les attentats du 13 novembre sont indissociables de la Belgique. C’est de ce pays, notamment du quartier bruxellois de Molenbeek, que sont partis les terroristes pour gagner ce que le ministère public français nommera des «appartements conspiratifs», situés en banlieue parisienne, à partir desquels les djihadistes fonderont sur Paris et Saint-Denis.
Sur les 20 mis en cause, et sur les quatorze présents au procès, un seul est à proprement parler accusé de meurtre: Salah Abdeslam, l’un des onze participants aux attentats du 13 novembre, l’unique survivant, donc, des attaques qui ont fait 131 morts et des centaines de blessés.
On relèvera 90 morts au Bataclan, attaqué pendant un concert du groupe américain Eagles of Death Metal; 40 sur les terrasses parisiennes; 1 sur le parvis du Stade de France où se joue alors une rencontre amicale de football entre la France et l’Allemagne.
Trois commandos équipés de gilets explosifs – et de fusils mitrailleurs aux terrasses et au Bataclan – ont commis ce carnage. Leur chef opérationnel présumé est Abdelhamid Abaaoud. Ce djihadiste s’était filmé rigolard au volant d’un pick-up tirant des cadavres en Syrie. Il mourra en compagnie d’un autre terroriste, en plus d’une jeune femme de leur contact, dans l’assaut donné cinq jours plus tard par les forces de l’ordre à Saint-Denis, où ils s’étaient planqués.
Parmi les six accusés absents au procès, les frères Clain. Des Français convertis à la branche salafiste. Leurs voix ont été identifiées comme étant celles revendiquant, en paroles et en chant, les attentats du 13 novembre. Ils s’étaient pareillement réjouis du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, la même année, début janvier.
Chaque jour de procès, les audiences devraient commencer à 12h30 et se terminer vers 20h00. Pour éviter l’interruption de midi et la corvée, qui plus est risquée, consistant à escorter chacun des quatorze accusés présents en cellule.
Qui sont les accusés? D’où viennent-ils?
La plupart sont belges et d’origine marocaine, nés dans des familles relativement nombreuses. La majorité d’entre eux avait un casier judiciaire avant d’embrasser un islam mythifié, rigoriste, intransigeant, intolérant, ayant pignon sur rue ces années-là. Un islam qui les plaçait dans des dilemmes harassants, entre pureté et péché.
Certains penseront s’extraire de ces incessants cas de conscience en intégrant l’Etat islamique en Syrie. Puis, en commettant des attentats en «Occident», prétendument en représailles de bombardements de «femmes et d'enfants», ou encore pour venger les Palestiniens. D’autres, parmi les Molenbeekois cités au procès, ne seront pas partis faire le djihad, mais leur islam de type salafiste ne s'en voulait pas moins au plus près de «l'islam des origines», celui des premiers califes.
Salah Abdeslam, lui, est non seulement le seul membre des commandos du 13 novembre à avoir survécu aux attaques, mais le seul de la bande meurtrière à n’être pas parti en Syrie. Avant de verser dans le djihad en arme, son casier judiciaire belge mentionnait une dizaine de condamnations, dont une à un an d’emprisonnement avec sursis pour une tentative de vol avec effraction commise en décembre 2010 avec Abdelhamid Abaaoud, l’un des trois terroristes des terrasses, de sinistre réputation.
Salah et son frère aîné Brahim (qui actionnera son gilet explosif au Comptoir Voltaire après avoir «arrosé» les terrasses), avaient un jour cessé de «boire». Auparavant, le cadet était connu de certains de Molenbeek pour aller fréquemment en boîte, consommer de l’alcool, fumer du cannabis.
Le 13 novembre au soir, c’est lui qui conduisait la Clio véhiculant le commando du Stade de France. Il était prévu qu’il s’y fasse exploser avec ses trois acolytes. Ce qui ne s’était pas produit. Il avait ensuite un brin erré dans Paris, avant de regagner Bruxelles. Avait-il renoncé à sa mission suicide, comme il l’avait dit dans un premier temps aux enquêteurs, avant de se murer dans le silence?
Dans un écrit retrouvé dans un ordinateur, il affirmait l’inverse (le détonateur aurait été défectueux): «Je suis Abou Abderrahman (réd: sa kunya, son nom de combattant) celui qui a participer a la première attaque bien que j’aurai voulu être parmi les shahid (martyrs), Allah en a décider autrement al hamoulillah Allah ma sauver de ces koffar (mécréants) et j’ai réussi à rejoindre le reste des frères car il y avait un défaut dans ma ceinture (explosive)».
La plupart des accusés présents au procès sont soupçonnés d’avoir prêté main forte comme «logisticiens» aux terroristes du 13 novembre 2015. Qui en convoyant les tueurs à Paris et Saint-Denis; qui en leur louant des planques en région parisienne; qui en les logeant en Belgique avant leur passage à l’acte (ou après, dans le cas du «survivant» Salah Abdeslam); qui en les aidant à trouver des armes; qui en allant les chercher en Grèce, en Hongrie ou en Allemagne, à leur retour de Syrie, via la Turquie, sous de fausses identités.
Ils ne pouvaient ignorer à qui ils avaient affaire, ni ce qu'il se tramait. C’est ce que l’accusation tentera de démontrer. La tâche des 30 avocats de la défense s’annonce difficile. D’autres accusés, à l’image de Salah Abdeslam jusqu’ici, pourraient décider de garder le silence.