Comment expliquer à la jeunesse qu'une grosse biture n'esquinte pas uniquement la ligne éditoriale de son compte Instagram quelques heures? Que l'alcool, c'est nocif? Que c'est une drogue, dont il est difficile de se défaire, malgré la poésie des vendanges et la douce success-story des distilleries locales de gin aux pétales d'hibiscus?
Après un petit tour sur le site d'Addiction Suisse, on apprend notamment que «la prévention en matière d’alcool vise à empêcher un début de consommation précoce chez les adolescent-e-s». En pensant très fort au précepte de la fondation basée à Lausanne, on est en droit de rester circonspect face à la nouvelle campagne de prévention de Santé publique France.
La forme? On y découvre notamment un verbiage faussement cool, un émoji goutte d'eau, le croquis d'un petit godet fraîchouille qu'on pourrait retrouver en tatouage sur le biceps d'un hipster. Les photos, elles, n'ont rien à envier aux instantanés de fiesta qu'on collectionne dans l'euphorie et qu'on supprime discrètement le lendemain. Le fond? Des conseils qui n'évoquent pas les dangers de la banalisation de l'alcool.
Un premier coup de fil à Addiction Suisse suffira pour se rendre compte que capter l'attention de «la jeunesse», ce n'est pas une sinécure.
Le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, semblait d'ailleurs peu sûr de lui au moment de promouvoir le boulot de ses équipes, allant jusqu'à prévenir les critiques sur X:
Les internautes se disent notamment scandalisés par l'absence de messages dissuasifs. Mais la critique qui revient le plus souvent se résume à condamner un ton qui inciterait plus volontiers à boire que... l'inverse. Et qu'importe si le ministre s'efforce à décrire une «campagne contre la banalisation de l'alcool».
De son côté, le gouvernement assure que cette «campagne a montré un bon accueil de la part des jeunes, tant sur le fond que sur le ton employé», si l'on en croit Le Parisien. Or, Addiction France, interrogé notamment par FranceInfo, juge cette campagne «ambigüe», car «elle ne parle pas des dangers de l'alcool, ne dit pas qu'il faut réduire sa consommation... Elle parle de précautions».
Si on osait une explication de texte de comptoir, on pourrait effectivement vouloir comprendre que «la base», ce n'est pas tant de faire gaffe à l'abus d'alcool, mais à l'environnement dans lequel la biture se déroule.
Mais est-ce tant raté que cela?
Le ton et le fond ne sont pas les seules casseroles des récentes campagnes de prévention françaises. Et, cette fois, le puissant lobby du vin est tout autant en ligne de mire que le gouvernement. Comme le révélait FranceInfo au début du mois, la Coupe du monde de rugby devait accueillir une campagne de sensibilisation aux dangers de l'abus d'alcool. Pour la direction générale de la Santé, des supporters, des saucisses et des bières pendant un mois dans des stades, c'était l'occasion rêvée. Les créatifs avaient même le scénario: un «coach de supporters» devait rappeler aux spectateurs d’éviter «les abus d’alcool».
Cette campagne ne verra jamais le jour. Idem en juillet dernier, révèle cette fois le Canard Enchaîné, quand une série de visuels, autrement plus durs qu'un conseil de boire de l'eau entre deux vodkas, fut enterrée par le cabinet du ministre de la Santé.
Les associations de prévention françaises s'étaient alors montrées peu surprises, fustigeant comme toujours les producteurs d'alcool qui «n'aiment pas» quand on martèle que leurs produits sont dangereux pour la santé. Logique, ce sont les consommateurs adultes qui remplissent véritablement le tiroir-caisse.
Et «les pressions effectuées par les alcooliers sur les pouvoirs publics, et en particulier l’Élysée» sont très puissantes, selon Myriam Savy, d'Addiction France. Rappelons que le lobby en question, baptisé Vin et Société, regroupe quelque 500 000 acteurs.
C'est donc peu surprenant qu'une poignée d'affiches pour les ados de l'Hexagone aient pu se faufiler entre les mailles d'un poids lourd, car «les campagnes à destination des jeunes ou des femmes enceintes ne dérangent pas les alcooliers, elles sont ciblées». En l'occurrence, une bonne partie des Français se demandent si la publicité lancée lundi ne manque pas simplement sa cible. A confirmer dans quelques semaines, mais «en principe, il est important que les messages de réduction des risques ne soient diffusés que dans les lieux où se trouve ce groupe cible très spécifique, afin d'éviter des effets contre-productifs», nous dit Addiction Suisse.