Sa base chrétienne évangélique est en pétard. Lundi, Donald Trump s'est infiltré dans le délicat débat sur l'interruption volontaire de grossesse, mais en se mouillant longuement la nuque. Un geste politique qui, dans les faits, ne dit pas grand-chose, sinon qu'il a compris que le sujet peut lui péter à la gueule.
Sa retenue, planquée derrière une phrase trop compliquée pour être totalement franche, a fait hoqueter une brouette de conservateurs qui se sont sentis trahis. Anthony Pro-Life America, un féroce mouvement pro-vie du clan républicain, s'est dit «profondément déçu» d'entendre Donald Trump «céder le débat national aux démocrates». Même le sénateur Lindsey Graham, un lèche-botte pourtant endurant, a dû se résoudre à s'afficher «respectueusement en désaccord avec la déclaration du président Trump».
C'est dire à quel point l'équation politique du candidat MAGA a fait sortir les calculettes, jusqu'à ses plus proches alliés. Car il s'agit bien d'une entourloupe électorale, dans laquelle Trump risque d'étouffer.
Depuis que la Cour suprême de Floride a autorisé, le 1er avril dernier, l'entrée en vigueur d'une loi interdisant l'IVG après six semaines, tous les yeux se sont tournés vers un Trump qui a toujours «détesté» l'idée d'interrompre une grossesse. Mais jamais avec la même poigne. En octobre 1999, le magnat new-yorkais affirmait dans l'émission Meet the press qu'il était «très pro-choix. Je crois juste au choix, pour tous. Mais je déteste le concept de l'avortement».
En 2016, campagne présidentielle oblige, les coutures explosent au point d'envisager «une sorte de punition» pour les femmes qui décideraient d'avorter. Conscient de son statut de girouette de l'IVG, il expliquera ne pas avoir réfléchi aux conséquences politiques, quinze ans plus tôt, lorsqu'il n'était «qu'un simple homme d’affaires». Alors qu'en septembre 2023, le candidat se disait ouvert à un compromis «en bonne intelligence», cinq mois plus tard, le New York Times fera voler toutes ces belles promesses en dévoilant qu'en privé, le candidat républicain «soutient en réalité l'idée d'une interdiction nationale de 16 semaines avec exceptions». Quel souk!
Là où le milliardaire est le plus à l'aise, c'est quand il peut lustrer son propre bilan. A savoir le retrait du droit à l'avortement de la Constitution américaine, en juin 2022, grâce aux trois juges de la Cour suprême qu'il avait précisément nommé pour faire tomber l'arrêt «Roe v. Wade» de 1973. Pas sûr que ça rassasie les conservateurs les plus extrémistes du pays.
Sa mollesse volontaire n'a toutefois pas froissé tous les républicains à tendance MAGA. Pour certains, comme le sénateur Josh Hawley, c'est même une «bonne approche». Ted Cruz, pourtant farouche opposant à l'IVG, s'est aussi rangé du côté de Trump parce que «c'est aux électeurs de décider, pas à la Cour suprême». Même les anti-Trump se rendent à l'évidence qu'il marque un point et que «c'est une approche judicieuse», confessera son ancienne directrice des communications stratégiques, Alyssa Farah Griffin, au Daily Beast.
Bien sûr, Trump fait du Trump en avançant masqué sur les sujets sensibles. Et, au fil des semaines, il devra sauter dans le grand bain sans se mouiller la nuque. Mais ce flou profite à sa campagne et lègue les décisions radicales aux gouverneurs. Non seulement les pro-vie savent pertinemment que c'est un calcul politique, mais Joe Biden a perdu son argument majeur contre un adversaire qu'il ne peut plus se contenter d'épingler comme le diable qui veut interdire l'IVG sur tout le territoire.
Si c'est plutôt futé de la part d'un pompier pyromane qui n'a sans doute pas d'avis réellement tranché sur la question, cette contrainte politique est aussi une bonne nouvelle pour la joute démocratique: l'issue de cette élection ne dépendra pas uniquement de ses nombreux tracas judiciaires.
Depuis son discours offensif sur l'état de l'union, en mars dernier, le candidat démocrate n'a pas arrêté de grignoter l'avance de son ennemi dans les sondages, jusqu'à le dépasser d'un petit point, ce mardi 9 avril, annonce The Economist. Non seulement Trump en est conscient, mais c'est l'énième preuve qu'en novembre prochain, cette course politico-judiciaire a de grandes chances de se terminer dans un mouchoir de poche.