On avait presque l'impression qu'il ne s'était rien passé. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a été accueillie, lundi, par le premier ministre britannique Rishi Sunak à Windsor, une petite ville pittoresque non loin de Londres et de son imposant château. C'est là que von der Leyen a ensuite rencontré le roi Charles pour le «Tea Time».
On a presque oublié le divorce difficile, parfois amère, que le Royaume-Uni et l'Union européenne se sont livrés après le vote sur le Brexit, en juin 2016. Un accord de libre-échange négocié par le premier ministre de l'époque, Boris Johnson, est ensuite entré en vigueur, avec une règle spéciale pour l'Irlande du Nord.
Afin d'éviter les contrôles à la frontière avec la République d'Irlande, qui auraient mis en péril la paix fragile qui règne depuis 25 ans dans la province britannique, l'Irlande du Nord est restée de facto dans le marché intérieur de l'UE. En revanche, une frontière douanière a été créée en mer d'Irlande, c'est-à-dire à l'intérieur du royaume, ce qui a provoqué l'ire des loyalistes pro-irlandais.
Son plus grand parti, le Democratic Unionist Party (DUP), bloque depuis des mois la formation d'un gouvernement régional à Belfast. Il a exigé l'abrogation du protocole d'Irlande du Nord. Le premier ministre Johnson a proposé une loi qui aurait permis une modification unilatérale du traité, ce qui aurait constitué une violation du droit international.
L'actuel chef du gouvernement britannique, Rishi Sunak, avait voté en faveur du Brexit en 2016. Mais contrairement à Johnson et à sa prédécesseure de courte durée, Liz Truss, il est pragmatique et a négocié avec l'UE un nouvel accord présenté lundi avec von der Leyen. Il porte le nom de «Windsor Framework», c'est-à-dire de contrat-cadre de Windsor.
Ce terme de contrat-cadre devrait faire dresser l'oreille aux Helvètes. Il rappelle l'accord-cadre institutionnel négocié avec l'UE au terme d'une lutte acharnée et enterré par le Conseil fédéral, il y a bientôt deux ans, après des consultations tout aussi acharnées à l'intérieur du pays, de manière unilatérale et sans consultation du Parlement et des cantons.
Depuis, la Suisse et l'UE luttent pour un nouveau départ. Les discussions se déroulent, disons difficilement. Les nouvelles négociations ne sont pas prêtes. La principale raison de l'échec de l'accord a été le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) à Luxembourg. Bruxelles a exigé qu'elle ait le dernier mot dans les litiges concernant l'application du droit européen.
Les partis politiques, à l'exception des Verts libéraux, ont donc combattu l'accord-cadre. Les syndicats craignaient pour les mesures d'accompagnement contre le dumping salarial, le camp bourgeois pour la souveraineté de la Suisse. Mais pour l'UE, c'était une question de principe. Pour elle, la CJUE est l'instance suprême en matière d'interprétation du droit européen.
Les Britanniques n'ont pas pu échapper à cette réalité. Certes, le Royaume-Uni et la Suisse ne sont pas comparables. «Les Britanniques veulent divorcer, alors que nous visons un partenariat enregistré avec la Suisse», a résumé la porte-parole de l'ancien chef de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.
Mais en principe, il s'agit dans les deux cas d'appliquer le droit de l'UE, que ce soit en Irlande du Nord ou dans le cadre des accords bilatéraux avec la Suisse. Certes, l'UE a fait des concessions aux Britanniques dans certains domaines. L'accord-cadre prévoit même un droit de veto pour les gouvernements nord-irlandais et britannique sur l'application de nouvelles lois de l'UE.
Ce frein d'urgence, appelé «Stormont Brake» en référence au siège du gouvernement nord-irlandais, ne doit, toutefois, être tiré que dans certaines conditions et «dans des circonstances tout à fait exceptionnelles». Et Ursula von der Leyen a souligné, lundi, que la Cour de justice européenne restait «le seul et ultime arbitre des litiges lorsqu'il s'agit du droit de l'UE».
Cela pourrait donner lieu à des discussions, mais correspond assez bien à la réglementation de l'accord-cadre avec la Suisse. La plupart des partis, à l'exception de l'UDC, reconnaissent qu'il n'est pas possible d'exclure complètement la Cour dans le règlement des litiges, comme le souhaitaient en fait les partisans d'un Brexit dur et le DUP pour l'Irlande du Nord.
Mais l'accord-cadre de Windsor constitue un précédent auquel la Suisse ne pourra que difficilement se soustraire, en dépit de toutes les différences. Mardi, à Belfast, Rishi Sunak a tenté de minimiser les conséquences. Seuls trois pour cent environ du droit européen seraient appliqués en Irlande du Nord. Son rôle serait «petit et limité».
Dans le même temps, le premier ministre a dû admettre qu'il y aurait toujours des contrôles douaniers entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne (autrement dit qu'à l'île principale), bien que dans une mesure nettement réduite. Néanmoins, les premières réactions, même dans les journaux de droite hostiles à l'UE, ont été tendanciellement positives.
Rishi Sunak veut faire passer le traité à la Chambre des communes avec une forte majorité de ses conservateurs. Les observateurs ont interprété sa prestation avec Ursula von der Leyen comme un indice qu'il l'a en main. Boris Johnson, qui intrigue en coulisses contre son successeur réputé pour son manque de leadership, ne s'est pas encore exprimé.
Certains eurosceptiques en Suisse espèrent secrètement que le traité de Windsor finira par échouer. Cependant, la pression économique au sein du Royaume-Uni, qui souffre déjà des conséquences du Brexit, est en train de s'accentuer en faveur d'un accord. Autre avantage, ce pays aura un accès complet au programme de recherche Horizon Europe, dont la Suisse reste exclue.
Le 15 mars, Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne, tiendra une conférence à l'Université de Fribourg. Le Slovaque est responsable des relations avec la Suisse et rencontrera à cette occasion le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis. Dans le meilleur des cas, les deux parties pourraient convenir de lancer des négociations officielles.
C'est l'UE qui a fait pression pour une rencontre, tandis que la Suisse a freiné des quatre fers. Elle ne pourra toujours pas espérer de grandes concessions de la part de Bruxelles. Car Maroš Šefčovič était également le négociateur en chef de l'UE pour le «contrat-cadre de Windsor».