Dans le New York Times, Thomas Friedman résume ainsi la situation: «Israël n'avait encore jamais connu trois intifadas en même temps: une des Palestiniens, une des colons israéliens et une de ses citoyens. C'est pourtant ce qui se passe depuis que le gouvernement d'extrême droite de Netanyahou est au pouvoir».
Le soulèvement des Palestiniens et celui des colons sont liés. Après que les soldats israéliens ont tué plusieurs personnes lors d'une action contre des Palestiniens soupçonnés de terrorisme, les Palestiniens ont rendu la pareille en tuant deux Juifs dans les colonies. Cela a entraîné, lundi dernier, une campagne de «nettoyage» par les colons, au cours de laquelle des maisons ont été brûlées et des magasins détruits dans des villages palestiniens.
Benyamin Netanyahou a condamné verbalement ces actions à la Knesset, le Parlement israélien. Mais le premier ministre n'a pas été suivi. Les membres d'extrême droite de sa coalition gouvernementale n'en ont eu cure et n'ont même pas assisté à la séance. «Les choses autour de lui sont en train d'imploser», explique Anshel Pfeffer, un biographe du politicien, dans le New York Times. «Netanyahou a complètement perdu son meilleur atout - être la main calme, stable et ferme sur le volant».
Alors que les soulèvements des Palestiniens et des colons sont devenus une triste routine en Israël, l'intifada de la société civile est quelque chose de nouveau et d'incendiaire. Voilà de quoi il s'agit.
Israël n'a pas de constitution et ne dispose que d'une seule chambre au Parlement. La Cour suprême joue donc un rôle clé dans la politique et la société. Or, le gouvernement de Netanyahou veut désormais limiter le pouvoir de la Cour. Il veut faire passer une loi à la Knesset qui autorise le gouvernement à nommer les membres de la Cour suprême et à passer outre les décisions qui lui déplaisent.
La politicienne vétérane Tzipi Livni, elle-même membre du parti politique de Netanyahou, le Likoud, commente ainsi dans le Financial Times:
Le projet de réforme de la justice a provoqué un soulèvement de la société civile, notamment dans les milieux dits «libéraux». 160 000 personnes – dont des hauts fonctionnaires, des banquiers centraux à la retraite, des médecins, des architectes et des universitaires – sont descendues dans la rue le week-end dernier pour protester contre le projet de réforme de la justice. La résistance s'accroît également dans le secteur des hautes technologies. On craint que l'afflux d'argent étranger ne se tarisse et que la scène florissante des start-up ne se dessèche.
Même plusieurs anciens chefs des services secrets israéliens, le Mossad, ont exprimé leur opposition. Plus de deux cents officiers de la division des opérations militaires spéciales ont quant à eux annoncé dans une lettre publique qu'ils refuseraient de servir si la réforme judiciaire prévue devenait effective.
Le cœur de cette réforme n'est pas de nature juridique, il s'agit plutôt d'une lutte de pouvoir qui fait rage depuis des décennies entre les fondamentalistes religieux et les libéraux. Ivo Spiegel, un neurologue qui a émigré de Suisse en Israël il y a 30 ans, et qui se déclare sioniste, explique ainsi dans le Financial Times: «Il s'agit d'une campagne planifiée pour persécuter tous ceux qui ne sont pas d'accord avec la vision du monde d'extrême droite, presque fasciste».
De leur côté, les fondamentalistes voient dans la Cour suprême une arme des progressistes qui empêche la création d'un Etat juif selon leurs idées. Simcha Rothman, un député du parti sioniste religieux dirigé par Bezalel Smotrich, d'extrême droite, déclare dans le Financial Times:
Rothman continue d'argumenter comme le font tous les populistes de droite du monde entier. Il s'insurge contre une prétendue élite libérale et invoque la volonté du peuple. «Le temps est venu où nous devons décider si nous voulons que notre pays soit gouverné par le peuple ou par ses juges», dit-il.
Les libéraux, quant à eux, voient dans le projet de réforme de la justice le prélude à l'établissement d'un Etat juif de droit divin, où règnent les codes vestimentaires et où les femmes sont opprimées. L'héritage du fondateur de l'Etat israélien, David Ben-Gourion, serait ainsi trahi. Ce socialiste laïc voulait créer en Israël une société tolérante et libérale.
Pendant longtemps, Israël a été soutenu par la gauche laïque. Mais sous Netanyahou, la droite s'est imposée de plus en plus clairement. Aujourd'hui, plus de 60% des juifs en Israël se considèrent de droite. Cette proportion devrait encore augmenter, car les familles des fondamentalistes religieux ont nettement plus d'enfants que celles des libéraux.
La proportion croissante de fondamentalistes devient, toutefois, un problème pour Israël. Leurs nombreux enfants reçoivent, en effet, dans les écoles religieuses un enseignement sur la Torah, mais pas dans les sciences. Après l'école, ils ne font pas de service militaire et ont rarement un travail rémunéré. Actuellement, les fondamentalistes représentent environ 12% de la population. D'ici 2065, cela pourrait atteindre un tiers. Il faudra voir comment Israël pourra supporter économiquement qu'une partie croissante de la population vive de facto de l'aide sociale.
Les Israéliens libéraux craignent que Netanyahou ne conduise leur pays vers une autocratie similaire à celle que Viktor Orban a instaurée en Hongrie. L'historien de renommée mondiale Noah Harari craint même pire. Dans une tribune publiée dans le Washington Post, il constate que la Hongrie – contrairement à Israël – est limitée par son appartenance à l'Union européenne et que ce pays souffre d'une population vieillissante. Par contre, en Israël, une jeunesse d'extrême droite émerge progressivement, constate Harari:
Cela vaut également pour l'historien lui-même, qui vit en Israël: «Je doute que je puisse continuer à vivre et à travailler dans un endroit où les minorités et la liberté d'expression ne sont plus protégées», écrit-il.