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Taïwan: la phrase lourde de conséquences d'Emmanuel Macron

Un jet chinois lors d'un exercice au large de Taïwan: une menace de Pékin pour Taipei.
Un jet chinois lors d'un exercice au large de Taïwan: une menace de Pékin pour Taipei.image: ap
Analyse

A Taïwan, la menace pourrait très vite devenir «sérieuse et sanglante»

Avec des frappes de précision et des avions de combat, Pékin instaure une situation dangereuse qui menace Taïwan. De son côté, avec une petite phrase hautement symbolique glissée lors de sa visite d'Etat en Chine, Emmanuel Macron s'est démarqué des positions de Washington.
11.04.2023, 11:5911.04.2023, 18:10
Fabian Kretschmer, pékin / ch media
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Quelques heures seulement après qu'Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen aient pris l'avion pour rentrer en Europe, les dirigeants chinois ont annoncé leur action de représailles tardive contre Taiwan: samedi, l'Armée populaire de libération a entamé des exercices militaires de trois jours autour de l'île.

Depuis, des dizaines d'avions de combat chinois traversent la ligne médiane du détroit de Taïwan. Un porte-avions s'approche également dangereusement. Parallèlement, l'armée chinoise a également simulé des «frappes de précision» contre l'Etat démocratique. La télévision nationale a montré à quoi cela ressemblait dans une animation virtuelle diffusée au journal télévisé du soir: en Chine, la propagande de guerre ressemble à un jeu d'ordinateur patriotique.

Un décor de guerre: un porte-avions chinois au large de Taïwan.
Un décor de guerre: un porte-avions chinois au large de Taïwan.Image: Japanese Defense Ministry Joint S / EPA

Toutefois, le «combat de sabre» qui a eu lieu jusqu'à présent pourrait très vite devenir sérieux et sanglant. La démonstration de force de la Chine fait suite à un voyage aux Etats-Unis de la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, qui a rencontré mercredi le président de la Chambre des représentants américaine, Kevin McCarthy.

«Nous nous trouvons une fois de plus dans un monde où la démocratie est menacée»
La présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, faisant référence à la Chine.

Ses paroles pourraient s'avérer prophétiques.

Le conflit peut devenir incontrôlable

Jusqu'à présent, la réaction chinoise ne semble, toutefois, pas aussi importante qu'on aurait pu le craindre. En août dernier encore, l'Armée populaire de libération a finalement effectué un bouclage simulé de l'île après la visite de la démocrate américaine Nancy Pelosi à Taipei.

Deux raisons expliquent que Pékin agisse aujourd'hui avec un peu plus de retenue. D'une part, Xi Jinping tente de présenter la République populaire de Chine à l'extérieur comme une puissance pacifique mondiale. En même temps, les dirigeants chinois sont parfaitement conscients de ce dilemme: plus leurs menaces seront radicales, plus les Taïwanais voteront de manière critique à l'égard de Pékin lors des prochaines élections présidentielles de janvier.

L'armée de l'air taïwanaise fait également décoller des avions de combat ce week-end.
L'armée de l'air taïwanaise fait également décoller des avions de combat ce week-end.image: Ritchie B. Tongo / EPA

Pourtant, le conflit peut très bien dégénérer, ne serait-ce que par une mauvaise communication ou un acte délibéré. Les possibilités sont nombreuses: lundi, selon Pékin, le destroyer américain «USS Milius» a pénétré sans autorisation du gouvernement chinois dans les eaux proches de l'archipel des Spratleys, au nord de Taïwan. En réponse, l'Armée populaire de libération chinoise a envoyé des forces navales et aériennes à la poursuite du navire de guerre américain.

Le chef d'Etat chinois Xi Jinping fait régulièrement savoir que l'on se réserve également des moyens militaires pour une «réunification» de Taïwan. Pas plus tard que jeudi dernier, Xi a réaffirmé sa volonté de pouvoir lors d'une rencontre avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à Pékin:

«Attendre de la Chine qu'elle soit prête à faire des compromis sur la question de Taiwan n'est qu'un vœu pieux. Celui qui agirait ainsi ne ferait que se tirer une balle dans le pied.»
Xi Jinping

La «réunification», le rêve de Xi

Certains généraux américains estiment déjà qu'une invasion chinoise est possible d'ici 2027, date à laquelle les principaux programmes de modernisation de l'armée chinoise seront achevés. De nombreux diplomates européens à Pékin continuent de penser qu'un conflit militaire est improbable dans les années à venir, mais ils prennent les menaces de la Chine très au sérieux.

Le fait que Xi Jinping mette en œuvre ses processus de transformation politique à un rythme aussi rapide est interprété comme le signe que l'homme de 69 ans souhaite encore vivre personnellement sa vision historique d'une Chine «réunifiée». Cela suggère un horizon de 10 à 15 ans maximum.

La présidente de Taiwan Tsai Ing-wen (à droite) lors de sa rencontre avec le député américain Michael McCaul: la Chine voit dans cette visite une provocation.
La présidente de Taiwan Tsai Ing-wen (à droite) lors de sa rencontre avec le député américain Michael McCaul: la Chine voit dans cette visite une provocation.image: Wang Yu Ching/Taiwan Presidentia / EPA

La position de l'Occident est en effet à mi-chemin: on reconnaît en principe Pékin comme seul gouvernement chinois et on ne maintient pas d'ambassades officielles à Taipei, mais on refuse en même temps tout changement forcé du statu quo. En d'autres termes, les 23 millions d'habitants de l'île doivent pouvoir décider eux-mêmes de leur avenir.

La petite phrase d'Emmanuel Macron

Les experts estiment que Taïwan est la source la plus probable d'un conflit militaire entre Pékin et Washington. En effet, cet Etat insulaire relativement petit revêt une importance centrale pour les deux puissances mondiales: la Chine argumente sa revendication de puissance territoriale sur une base historique, tandis que les Etats-Unis veulent soutenir un partenaire démocratique.

Même si l'Europe est plutôt un spectateur dans ce conflit, le continent a un rôle important à jouer pour dissuader la Chine d'envahir son territoire. Une stratégie que le président français Emmanuel Macron a justement mise à mal lors de sa récente visite d'Etat en Chine.

Le président français Emmanuel Macron avec le président chinois Xi Jinping à Guangzhou, le 8 avril.
Le président français Emmanuel Macron avec le président chinois Xi Jinping à Guangzhou, le 8 avril.image: Xinhua / Yue Yuewei / EPA

Alors qu'il se trouvait dans l'avion reliant Pékin à Guangzhou, Macron a déclaré à un journaliste du magazine Politico:

«La question que nous, Européens, devons nous poser est la suivante: est-il dans notre intérêt de précipiter une crise à Taïwan? Non. Le pire serait de penser que nous, Européens, devons devenir des suiveurs sur ce sujet et nous laisser guider par l'agenda américain et une réaction chinoise excessive.»

Sa déclaration est surtout controversée parce qu'elle présente le conflit qui s'envenime avant tout comme la conséquence d'un «agenda américain», alors que les menaces militaires contre l'Etat insulaire proviennent de l'Armée populaire de libération chinoise.

Comme le commente sur Twitter l'historien François Godement de l'Institut Montaigne:

«La confusion entre cause et conséquence est la propagande habituelle de la République populaire de Chine et de Poutine, et le fait que Macron s'y laisse prendre témoigne soit de son ignorance, soit d'un hochement de tête cynique à l'égard de la Chine.»
François Godement

Antoine Bondaz, du groupe de réflexion parisien FRS, estime lui aussi que les propos de Macron sont une «erreur d'analyse totale» aux conséquences graves:

«Macron fait le jeu de Pékin en donnant l'impression que la France resterait neutre et à l'écart en cas de crise à Taïwan. La Chine n'a donc pas à s'inquiéter d'une réaction de la France, ce qui au final réduit la dissuasion et augmente le risque de conflit.»
Antoine Bondaz

(aargauerzeitung.ch) / Traduit de l'allemand (nva)

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