Lors d'une rencontre avec son homologue américain Joe Biden, le président chinois Xi Jinping a été clair: une «réunification» avec Taïwan, que Pékin considère comme une province sécessionniste, est «inéluctable». En visite à Washington cette semaine, des généraux chinois ont renchéri:
Les élections de ce samedi à Taïwan sont donc principalement placées sous le signe de la menace chinoise. Simona A. Grano, spécialiste de la Chine à l'université de Zurich, explique et analyse les principaux enjeux du moment.
Quelle est l'ampleur de la menace que représente la Chine pour Taiwan?
Simona A. Grano: Le président Xi Jinping attache beaucoup plus d'importance à la «réunification» avec Taïwan que d'autres gouvernements dans le passé. C'est l'objectif ultime pour la Chine. La tonalité et les manoeuvres militaires le montrent.
Lesquels?
Le premier facteur est l'évolution des relations entre la Chine et les Etats-Unis, qui a un effet beaucoup plus important sur la stabilité entre la Chine et Taïwan. Un deuxième facteur est la situation économique en Chine: le pays est confronté à une récession et les données réelles sont probablement pires que celles publiées. Xi Jinping intervient également de plus en plus fortement auprès de l'armée. Ces dernières semaines, nous avons entendu parler à plusieurs reprises de purges au sein de l'Armée populaire de libération.
Est-ce qu'il y a un risque de guerre à Taiwan?
Non. Du moins, pas dans les deux prochaines années. Sur le long terme, il est difficile de faire des prévisions, mais pour l'instant je ne pense pas qu'il y ait un risque. Surtout pas après les élections. Si le DPP, le parti actuellement au pouvoir, conserve le pouvoir, la Chine exprimera certainement son mécontentement à ce sujet. Mais Pékin regardera surtout les élections américaines de novembre.
Je pense qu'il est donc peu probable que nous assistions à des changements de stratégie majeurs de la part de la Chine avant les élections américaines.
Pourquoi Donald Trump serait-il un avantage pour la Chine?
Durant sa présidence, l'ancien président des Etats-Unis a certes établi plusieurs mesures anti-chinoises et déclenché des guerres commerciales. Si Donald Trump revenait au pouvoir, nous aurions affaire à une Amérique plutôt tournée vers l'intérieur. Pour nous Européens, cela signifierait par exemple moins d'aide pour l'Ukraine. Cependant, son éventuelle réélection ne joue pas un grand rôle dans le soutien à Taiwan, car il y a un consensus entre les démocrates et les républicains.
Et donc?
Les alliances que Joe Biden a forgées avec l'Europe face à la Chine seraient affaiblies sous Donald Trump, s'il se comporte à nouveau comme il l'a fait durant sa présidence. Les Chinois le savent. Ces deux dernières années, ils ont déjà tenté de briser l'unité transatlantique qui s'était formée après l'invasion russe de l'Ukraine.
Notamment parce que cela permettrait à Pékin d'établir son rôle de leader du Sud mondial.
Dans un tel contexte, quel rôle joueront les élections à Taïwan?
Si le DPP de William Lai gagne – et les sondages vont dans ce sens – ce sera un problème pour la Chine.
Pourquoi?
Cela va de pair avec la tendance à l'identité taïwanaise. Au cours des cinq à dix dernières années, le nombre de jeunes qui se considèrent uniquement comme taïwanais a fortement augmenté. Ceci affaiblit le lien avec la Chine. Il y a dix ans, de nombreux Chinois étaient convaincus que Taïwan finirait par être à nouveau à eux, même sans guerre, simplement en raison des liens économiques forts. Soudain, on réalise que ce ne sera peut-être plus le cas.
Comment est-ce que la Chine pourrait-elle réagir aux élections taïwanaises?
Tout dépend de qui gagne. Si le Kuomintang, favorable à la Chine, gagne, je m'attends à des réactions moins vives et peut-être plus tard à une tentative de renforcer les relations politiques et économiques. Toutefois, même le Kuomintang est récemment devenu plus prudent.
Que pourrait-il se passer si le DPP gagne, comme les tendances semblent le montrer?
Nous pourrions être confrontés à de brèves manœuvres militaires, comme nous l'avons vu par exemple après la visite à Taiwan de la politicienne américaine Nancy Pelosi.
En Occident, quelle serait l'issue souhaitable des élections?
Mais cela signifierait également que l'attention du monde resterait focalisée sur Taïwan. En revanche, si le parti pro-chinois l'emporte, l'Europe pourrait penser que les tensions dans la région ont diminué. Et on cessera donc d'y regarder de plus près – ce qui serait, toutefois, beaucoup plus dangereux. Il serait donc plus souhaitable que le DPP gagne, car cela illustrerait un degré de stabilité et la poursuite de la politique actuelle.
La situation reste donc tendue, d'une manière ou d'une autre. Avec quelle influence sur la Suisse?
Mais la question de Taiwan doit toujours être considérée dans le contexte de la concurrence entre la Chine et les Etats-Unis. Notre pays ne peut pas s'y soustraire. La neutralité suisse sera soumise à une pression de plus en plus forte. Cette année encore, nous aurons probablement une nouvelle stratégie pour la Chine, ou du moins un renouvellement de celle-ci. Dans ce cadre, il faudra se pencher sur la question de Taïwan. La situation reste donc tendue pour la Suisse.
L'année dernière, une délégation suisse s'est rendue à Taiwan. La Suisse met-elle en péril ses relations avec la Chine avec de telles actions ou s'agit-il, au contraire, d'actes symboliques importants pour soutenir Taïwan, qui est menacé?
Difficile à dire. Pékin continuera d'être agacée.
Quant à savoir si cela apportera quelque chose à Taiwan, j'en doute. On pourrait mieux soutenir Taiwan en Suisse avec moins de mesures visibles et plus de faits. Il existe par exemple toute une série d'organisations internationales dont Taïwan est exclue. Toutes n'exigent pas que leurs membres soient des Etats reconnus. En raison de la pression politique exercée par la Chine, Taïwan se voit toutefois refuser l'accès à ces organisations.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)