En Chine, l'année du dragon commence le 10 février. Cette créature mythologique, considérée de manière plutôt négative en Occident, jouit en Extrême-Orient de la plus grande vénération. Le dragon est considéré comme un garant de succès et un porte-bonheur. Il est toutefois peu probable que tous les espoirs de la République populaire se concrétisent. Ces derniers temps, les choses ne se sont pas passées comme prévu.
En décembre 2022, le gouvernement a mis fin du jour au lendemain à la politique «zéro Covid», après avoir imposé un confinement sévère et isolé le pays du monde extérieur pendant près de trois ans. Le virus a alors déferlé comme un tsunami sur la population, faisant un million de morts selon les estimations (la propagande officielle parle de quelques dizaines de milliers de morts).
Auparavant, des manifestations ont eu lieu dans certaines villes – un événement sans précédent dans l'Etat de Xi Jinping. Mais la raison principale de la fin abrupte de la politique «zéro Covid» était sans doute l'état de l'économie chinoise. Le boom post-Covid attendu par les experts et les dirigeants économiques n'a été tout au plus qu'un petit rebond.
Le retour à la normale a ainsi mis à nu les faiblesses de ce pays supposé être un modèle économique: un endettement public et privé élevé, un taux de chômage des jeunes en hausse (aucun chiffre ne peut être publié depuis mi-2023) et une crise immobilière contre laquelle aucun remède n'a encore été trouvé.
Même le chef d'Etat Xi Jinping a dû reconnaître des problèmes, dans son discours de Nouvel An – prononcé le 31 décembre en accord avec le calendrier occidental. «Sur notre chemin, nous avons senti des vents contraires», a-t-il déclaré – un euphémisme typique du Parti communiste. Xi Jinping a également évoqué Taïwan. Il a qualifié la réunification d'«inévitable».
Des élections présidentielles et législatives auront lieu le 13 janvier dans la république insulaire de 23 millions d'habitants qui, du point de vue de Pékin, a fait sécession. Elles marquent le début de la «super année électorale» 2024, au cours de laquelle des élections auront lieu entre autres dans l'Union européenne, en Inde et aux Etats-Unis.
Taïwan connaîtra les premières élections de cette série. La présidente Tsai Ing-wen, du Parti démocrate progressiste (PDP), qui souhaite préserver l'autonomie de facto, ne se représente pas après deux mandats. L'actuel vice-président Lai Ching-te, également connu sous le nom de William Lai, a de bonnes chances de lui succéder.
Dans les derniers sondages (depuis mercredi, plus aucun ne peut être publié), il devançait plus ou moins nettement son plus grand rival, Hou Yu-ih, du Kuomintang, parti conservateur et plutôt favorable à la Chine. Selon l'agence Reuters, la campagne électorale s'est déroulée de manière de plus en plus haineuse, la relation avec la Chine étant au centre des débats.
Lai a ainsi traité son opposant Hou de «larbin de Pékin». Une attaque qui n'a pas passé et ce dernier s'est plaint lors d'un débat télévisé samedi dernier:
Hou Yu-ih touche ainsi un point sensible, car les provocations militaires de l'Armée populaire de libération chinoise sont devenues presque quotidiennes. Xi Jinping ne fait pas mystère de son intention de ramener Taïwan «à la maison» par la force. Il considère la réunification comme une sorte de projet de prestige personnel.
Comme il y a quatre ans, la Chine tente d'influencer les élections à Taïwan avec des fake news et des faux profils sur les réseaux sociaux. Les conséquences devraient néanmoins être limitées. Selon les derniers sondages, seuls un peu plus de 10% des Taïwanais soutiennent une «fusion» avec la Chine.
Pour Xi, un succès du PDP, critique envers la Chine, serait une provocation. Les experts ne s'attendent toutefois pas à ce qu'une invasion militaire ait lieu prochainement. Le risque d'une confrontation avec les Etats-Unis est trop important. Il existe également des doutes sur la force de frappe de l'armée. Peu avant la fin de l'année, certains officiers de haut rang ont été écartés sans explication.
Ceux-ci auraient abusé de leur position pour s'enrichir. Les cas les plus récents indiquent que «après dix ans, la corruption dans l'armée n'est toujours pas éradiquée», écrit la Neue Zürcher Zeitung (NZZ). Il y a quelques mois, le ministre de la Défense Li Shangfu a déjà disparu de la scène. Peu avant le Nouvel An, il a été remplacé par l'amiral Dong Jun.
Le ministre des Affaires étrangères Qin Gang a lui aussi été démis de ses fonctions l'année dernière après quelques mois d'exercice, prétendument en raison d'une affaire extra-conjugale. De tels événements ont fait naître des rumeurs de lutte de pouvoir au sein de la direction, d'autant plus que le «troisième plénum» du comité central prévu pour l'automne 2023 n'a toujours pas eu lieu.
Xi Jinping n'est peut-être pas aussi solidement assis qu'il n'y paraît. Le marasme économique y contribue. La Banque mondiale prévoit une croissance de 4,5% pour 2024. Les pays occidentaux en seraient plus que satisfaits, mais cela ne suffit pas pour tenir la promesse du Parti communiste d'une prospérité croissante.
Selon la NZZ am Sonntag, des expressions telles que «dernière génération» et «s'allonger à plat», sans désir ni revendication, ont le vent en poupe parmi la jeune génération chinoise. Elles illustrent l'état de la jeunesse: un profond pessimisme, un manque d'espoir, une absence totale d'avenir.
La démographie devient ainsi un autre des nombreux défis auxquels les dirigeants chinois sont confrontés. Tout porte à croire que l'économie est prioritaire par rapport à la «conquête» de Taïwan. Le fait que, selon The Economist, la Chine veuille envoyer une «délégation inhabituellement importante» au World Economic Forum (WEF) va dans ce sens.
Le premier ministre Li Qiang en sera le chef de file. Il serait le dirigeant chinois le plus haut placé à Davos depuis que Xi Jinping s'y est personnellement rendu il y a sept ans. C'était juste avant l'investiture de Donald Trump en tant que président des Etats-Unis, et Xi avait été acclamé comme défenseur du libre-échange. Aujourd'hui, l'Occident considère plutôt la Chine comme une menace.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder