Non, Amnesty international n'intime pas à Zelensky de tendre l'autre joue. L'ONG ne dit pas non plus que l'Ukraine et la Russie portent les mêmes maillots sur le terrain déséquilibré de la guerre. Personne n'a «amnistié la Russie», comme le suggère le président. Et, jamais, il n'est fait mention d'un quelconque crime de guerre.
Dans leur rapport qui a «indigné» Kiev, les enquêteurs constatent que «les forces ukrainiennes mettaient systématiquement en danger la population et violent les lois de la guerre lorsqu’elles opèrent dans des zones peuplées».
Les hommes de Poutine ne seraient donc pas les seuls à balancer des coups de canif dans les règles du jeu.
Forcément, quand on se ramasse des missiles sur le coin de la tronche depuis six mois, ça peut faire mal aux viscères de s'entendre dire qu'on n'a pas tout fait juste. Mais voilà, Amnesty a rappelé, durement et par une enquête de quatre mois sur le terrain, que les lois sont les lois. Et qu'importe si, une fois prisonnier dans le treillis de l'assailli, celles de la guerre peuvent paraître «injustes», comme s'est défendu le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba.
Un rapport hautement impopulaire et dont le timing n'est, certes, pas le plus opportun. La bombe a tout de même été lâchée en pleine remise en question estivale de la «formule Zelensky».
Mais un rapport, c'est toujours aussi froid et rigide qu'un cadavre.
Quand Amnesty affirme que des bases militaires ont été déployées dans des écoles, des habitations et des hôpitaux d'au moins dix-neuf villages, elle pense aux civils.
Quand Amnesty dit que des tirs de roquettes ont été effectués à proximité de logements, elle pense aux civils.
Quand Amnesty considère qu'il «existait des solutions alternatives viables qui n’auraient pas mis en danger la population», elle pense aux civils.
Quand Amnesty déplore que les forces ukrainiennes n'aient pas toujours pris la peine d'inciter les habitants à évacuer les bâtiments voisins, elle pense aux civils.
Bien sûr, la secrétaire générale Agnès Callamard a profité de la bombe pour marteler qu'elle condamnait l'agression russe «aveugle». Que les bavures de l'un ne viendront jamais excuser la barbarie de l'autre.
Mais l'effort fut vain. Pour bon nombre d'observateurs pris par surprise, Amnesty s'est contenté, jeudi, d'enguirlander injustement l'Ukraine.
Et si rien n'était vrai dans ces rapports? Et si Amnesty avait tout inventé en produisant des «rapports manipulateurs», comme le hurle Zelensky? L'avenir le dira peut-être un jour. Mais le président ukrainien fait un peu «son Poutine» quand il accuse violemment Amnesty de «manipulation». Insinuer publiquement que l'ONG pourrait être à la botte du Kremlin ne semble pas très heureux en termes de communication de guerre.
Au lieu de montrer Vladimir du doigt en jurant que c'est lui qui a commencé, le gouvernement ukrainien aurait peut-être dû assumer ses responsabilités et décrocher le téléphone quand les enquêteurs d'Amnesty ont tenté d'offrir des explications à leurs constatations, en amont de la publication du rapport.
Car Mykhaïlo Podoliak qui accuse l'ONG de «participer à une campagne de désinformation», c'est un conseiller de la présidence qui a fait deux bourdes inédites depuis le début du conflit: utiliser les tactiques du Kremlin en accusant l'Occident de désinformation. Et, l'espace d'un instant, ne plus penser aux civils.