Un chiffre, pour commencer: le quart des trente-six prisons du pays sont contrôlées par les narcotrafiquants.
Des bâtisses surpeuplées, insalubres et gangrénées par le crime, qui font office d'open-space pour les patrons de cartels. Il faut dire que depuis le fond de leur cellule, plusieurs dizaines de gros bonnets coordonnent toujours leurs armées. En fin de semaine dernière, pour tenter de circonscrire le fléau, le gouvernement a ordonné le transfert d'une grande louche de chef de gangs, dans des unités à sécurité maximale. Bonne idée, mais mauvaise mise en pratique, puisque les plus malins en profiteront pour se faire la malle.
Parmi eux, le plus dangereux, le plus influent et, désormais, le plus recherché d'Equateur: José Adolfo Macías Villama.
Alias «Fito».
Histoire de situer le potentiel de nuisance de cet ours imposant de 44 ans, sachez qu’à sa disparition, le président équatorien Daniel Noboa a déclaré l'état d'urgence et instauré un couvre-feu. C'est simple, depuis dimanche, le pays est littéralement à feu et à sang. Mutinerie dans les pénitenciers, violences inouïes dans les rues et, mardi, tel un bouquet qui ne semble pas avoir de fin, une spectaculaire prise d'otages qui a figé la population devant son écran de télévision.
Nous sommes à Guayaquil, dans le sud-ouest de l’Équateur. L'attaque est d'une extrême violence et les séquences font froid dans le dos. Au beau milieu de l'après-midi, alors que les journalistes sont en direct, une vingtaine de malfrats planqués sous des cagoules, des masques, des casquettes ou des capuches, font irruption sur le plateau de la chaîne publique TC. Les employés sont terrorisés, des cris s'échappent et les assaillants sont lourdement armés. Sur les images, on reconnaît des pistolets, des fusils à pompe, des grenades artisanales.
Masked gunmen storm live TV show #Ecuador 👀
— HumanDilemma (@HumanDilemma_) January 9, 2024
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Les plus nerveux dégaineront poings et pieds pour contraindre hommes et femmes à se mettre à terre, dans une panique générale et sous les yeux de millions de téléspectateurs.
La prise d'otages va durer de longues minutes. L'un des journalistes retenus contre leur gré parviendra malgré tout à envoyer un message sur WhatsApp, à l'un de ses confrères, correspondant en Equateur pour l'agence AFP.
Par chance, personne ne sera blessé ou tué sur le plateau. La police, qui a rapidement déboulé sur les lieux, parviendra à interpeller «une dizaine d'assaillants». Une belle prise, mais qui paraît totalement dérisoire face au chaos qui règne actuellement dans le pays. L'évasion de «Fito» a fait office de puissant détonateur, provoquant notamment la capture «d'au moins 140 gardiens de prison», dans les cinq plus grands pénitenciers du pays. Des vidéos insoutenables, publiées quelques minutes sur les réseaux sociaux avant d'être supprimées, dévoilent des séances de torture et des exécutions sommaires, au cran d'arrêt, par des détenus au visage cagoulé.
Malgré le déploiement rapide de plus de 3000 soldats, dimanche, José Adolfo Macías Villama est introuvable. Dramatique, dans ce véritable centre névralgique du trafic mondial qu’est l’Equateur, qui joue un rôle majeur dans la livraison de drogue aux Etats-Unis, comme en Europe. Et c'est peu dire que les cartels ont la main sur ce territoire encerclé par l'Océan pacifique, le Brésil, le Pérou et, bien sûr, la Colombie. Le couvre-feu nocturne, d'une durée initiale de soixante jours, est censé permettre à l'armée de déambuler facilement dans les rues du pays et de (re)prendre le contrôle des établissements pénitentiaires. Mission impossible, face à Fito le caïd?
Crime organisé, trafic de drogue, meurtres. Adolfo Macías purgeait une peine de 34 ans, depuis 2011, quand il s'est évadé de la prison Litoral, dans la ville côtière de Guayaquil. Un établissement contrôlé par son gang, les Los Choneros. Alors que les soldats fouillent la ville des «toits aux égouts», les autorités n'excluent toujours pas que l'homme le plus dangereux d'Equateur se soit simplement planqué dans un recoin de Litoral. Au moment de son transfert dimanche, le criminel a feint l'évanouissement, créant une confusion suffisante pour aboutir à une impressionnante mutinerie.
Los Choneros, pour faire court, c'est le gang le plus dense et le plus méchant du pays, né dans les années nonante, dans la province de Manabí, un coin stratégique pour l'exportation de cocaïne tout autour du globe. On estime le vivier à près de 8000 hommes. On raconte que cette bande est désormais cul et chemise avec le tentaculaire cartel mexicain de Sinaloa.
Malgré sa renommée, Fito n'est de loin pas le premier caïd des Los Choneros. Et dans la grande famille des narcotrafiquants, il est rare de voir le patron prendre paisiblement sa retraite pour s'occuper de son potager.
Nommé en 2020, Fito a succédé au lieutenant Zambrano, assassiné dans la cafétéria d'un centre commercial. Zambrano a lui-même gradé après le meurtre du fondateur, Jorge Véliz, en 2007. Pour ne rien arranger, au sein de Los Choneros, l'ambiance n'est plus tellement au beau fixe. Au point que le gang a vécu récemment une violente scission, donnant naissance à deux nouvelles factions. Si Fito gère Los Fatales, Júnior Roldán, alias «JR», se chargeait de motiver les troupes de Las Águilas... avant d'être massacré, en mai 2023, par une bande rivale. Son cadavre sera d'ailleurs volé, en septembre dernier, dans un cimetière des environs de Medelliín, en Colombie.
Si tout s'est méchamment envenimé en début d'année, c'est que Fito a promis qu'il fera «tout ce qui est en son pouvoir» pour éliminer le désormais ancien président équatorien Guillermo Lasso Mendoza. Le chef d'Etat parle d'un «conflit armé» contre «l'ennemi public numéro un». Les gangs, eux, sont littéralement entrés dans une guerre sanglante contre le gouvernement.
La raison à cela se nomme Metastasis. Fin 2023, cette vaste opération policière déployait ses premières stratégies, pour endiguer un trafic de drogue qui «s'étend comme un cancer», jusqu'aux petits mondes du showbiz, du journalisme, du politique et du football. Et Fito mène le bal, depuis longtemps, avec un charisme qui donne des sueurs froides aux autorités.
L’homme de 44 ans est un roi qui a transformé la prison de Guayaquil en un royaume où il fait régner ses propres règles. Entre les différents et terribles règlements de comptes, il s'adonne à des extorsions qui s'organisent sur plusieurs niveaux. Par exemple? En facturant aux autres prisonniers entre 9 et 18 francs par jour, le patron de Los Choneros génère «plus de 65 000 francs par semaine et par cellule», en comptant la vente de drogue, dont il a bien sûr le contrôle total.
Selon El Confidential, Adolfo Macías pèse aujourd’hui 23 millions de francs, «entre hommes de paille, sociétés fantômes, la drogue et des activités secrètes». C'est pas mal, considérant la sédentarité d'un taulard.
Contre toute attente, juste avant son évasion, Fito se considérait comme «réhabilité». Ces deux dernières années, le criminel aurait suivi un cursus universitaire, depuis sa cellule. Fin 2023, il aurait même été diplômé en... droit. Oui, le criminel le plus dangereux et le plus recherché du pays est sur le point de devenir avocat. On n'est jamais mieux servi que par soi-même.
Ces prochaines semaines, l'Equateur joue son avenir. Depuis 2021, le trafic de drogue s'est intensifié, les gangs prennent leurs aises et les massacres (parfois par décapitation) dans les prisons ont fait au moins 460 morts en même pas 24 mois.
A 36 ans, Daniel Noboa est le plus jeune président de l’histoire de l'Equateur. Alors qu'il assure vouloir «nettoyer le pays des gangs», les observateurs sont particulièrement sceptiques.
C'est notamment le cas de l'anthropologue Jorge Núñez, qui étudie le système pénitentiaire équatorien depuis de longues années: «Nous avons affaire à un leader qui improvise, sort de grandes phrases, mais, fondamentalement, fait la même chose que ses prédécesseurs», disait-il lundi au New York Times.
De quoi réfréner toute idée d'optimisme, trois jours après l'évasion d'un criminel qui, où qu'il se trouve, est en mesure d'embraser des dizaines de villes et de gérer des livraisons de drogues dans le monde entier.