«Je me suis complètement effacée derrière Dieu et je l’ai laissé piloter, tout piloter.» Les confidences de Christine Kelly, la présentatrice vedette de Face à l’info, l’émission de CNews qui contribua à mettre Eric Zemmour sur orbite présidentielle, provoque un tollé en France.
Passe-plat des idées d’extrême droite pour ses détracteurs, louée par ses admirateurs pour sa zénitude complice à l’antenne, la journaliste originaire de la Guadeloupe, ex-membre du CSA, l’ancien nom du gendarme de l’audiovisuel français, a fait plus qu’un coming out chrétien. Celle qui a été embauchée en 2019 par la chaîne du milliardaire Vincent Bolloré, un catholique conservateur également propriétaire de Canal+, a déclaré être professionnellement portée par une «mission» divine.
Remontés début juillet à la surface des réseaux sociaux, les propos de Christine Kelly datent du 27 mars. Ce jour-là, à Créteil, en banlieue parisienne, dans un auditorium de 1000 places géré par la communauté évangélique, face à un public conquis, Christine Kelly s’est confiée sur sa foi en Dieu, en relation avec son travail de journaliste. Où l’on comprend que si Eric Zemmour a pu quotidiennement dérouler face à elle son idéologie de droite identitaire, c’est parce que Dieu le voulait.
«Une chose est sûre, c’est que, lorsqu’il est arrivé dans l’émission, [Eric Zemmour] était l’homme le plus détesté en France, et après il a pu être candidat à la présidentielle», observe-t-elle face à l’assistance, qui apprendra en outre que Christine Kelly, visiblement pour conjurer son trac, parfois s’agenouille pour une prière dans les toilettes ou dans le studio avant l'émission.
Christine Kelly serait une Jeanne d’Arc il y a peu encore guidée par Dieu vers Eric Zemmour, ce nouveau Charles VII sommé de bouter hors de France, non plus l’Anglais, mais d’autres étrangers – l’ex-éditorialiste du Figaro n’a-t-il pas fait campagne pour la «remigration»?
Les propos exaltés de Christine Kelly, mêlant foi et politique, ont tour à tour surpris et indigné. D’autant plus dans le contexte du retour en force de la droite chrétienne aux Etats-Unis, suite la révocation du droit fédéral à l’avortement par la Cour suprême.
Raphaëlle Bacqué, l’une de grandes plumes du journal Le Monde (centre gauche), les associe à l'extrême droite:
Quand Christine Kelly, partenaire d’Eric Zemmour et journaliste préférée de Vincent Bolloré parle comme une évangélique et présente son engagement politique (à l’extrême-droite) comme le résultat d’une demande divine… https://t.co/0Txq7jGUvK
— Raphaelle Bacqué (@RaphaelleBacque) July 3, 2022
Pour le premier secrétaire du Parti socialiste affilié à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes, coalition de gauche), Olivier Faure, «cette [interview] est tout simplement hallucinante»:
Cette itw est tout simplement hallucinante. Il y a donc une journaliste qui pense être la médiatrice entre Dieu et les hommes pour les guider vers l’extrême-droite ? 😱 https://t.co/K6zyim0R8M
— Olivier Faure (@faureolivier) July 3, 2022
Issu d'une valeureuse famille protestante huguenote, Nicolas Cadène, le candidat battu de la Nupes aux dernières élections législatives dans le sud de la France, reproche à la journaliste de CNews de «justifier la promotion d’un xénophobe (...) par "la volonté de Dieu"»:
Justifier la promotion d’un xénophobe (sur la TNT gratuite) par «la volonté de Dieu»
— Nicolas Cadène (@ncadene) July 3, 2022
D.Trump a fait la même déclaration pour justifier la décision de la Cour suprême à propos de l’IVG
Une justification aussi ancienne que la religion et l’humanité,qui a maintes fois abouti au pire https://t.co/IpgryViCXL
Les critiques les plus dures sont pour beaucoup le fait de cette partie de la gauche qui d’ordinaire reste silencieuse lorsque le prosélytisme dont fait preuve Christine Kelly côté chrétien, émane de personnalités musulmanes. Un peu comme certains s’insurgent contre la progression du christianisme identitaire aux Etats-Unis, mais se taisent, voire approuvent le port du burkini dans les piscines publiques européennes.
La gauche laïque, qui ne cautionne aucun prosélytisme, avait ainsi jugé complaisante l’interview, par un journaliste de la radio France Inter, diffusée le 26 mai sur la chaîne Brut, de Mélanie Diam’s, l’ex-rappeuse convertie à une forme rigoriste de l’islam, toujours vêtue en public d’une abaya, un large voile couvrant. C’était à l’occasion de la sortie en avant-première au Festival de Cannes de Salam, un documentaire qui lui est consacré.
Certains s’amusent de cette forme d’engouement pour la religion, comme ici:
On ne s'attendait pas à cette connivence spirituelle entre Diams et Christine Kelly. Les voies du Seigneur sont impénétrables. https://t.co/njNgsVReiZ
— Chantal de Gournay (@CdGournay) July 2, 2022
D’autres dénoncent un «deux poids, deux mesures» à l’avantage de Mélanie Diam’s:
Quand @christine_kelly parle de sa foi chrétienne, elle subit un torrent de critiques. Quand @melanie_diams parle de sa foi musulmane, elle est encensée dans la sphère médiatique. Un deux poids deux mesures symbole de la déchéance française. https://t.co/Tb8h3hJQ58
— Cedric ⓩ (@cedricGZ84) July 4, 2022
Et puis, il y a ceux qui choisissent clairement leur camp: Christine Kelly n’aurait témoigné que de sa «piété»:
Ils portent aux nues le salafisme et l'islam intégriste de Diams qui veut voiler les femmes pour les rendre respectables, et descendent en flamme la simple piété de Christine Kelly, qui veut émanciper les femmes et les mettre en valeur
— 🇫🇷 Pierre Alexandre Martin (@AlxMartinFrance) July 4, 2022
Ils aiment ce qui détruit notre civilisation https://t.co/3xRbEEMy2F
L’expression en public de la foi en Dieu deviendrait-elle tendance dans un pays de tradition laïque comme la France? Alors que les catholiques donnent relativement peu dans le prosélytisme, s'estimant chez eux de tout temps en France, ce n’est pas le cas des protestants évangéliques ni d’un certain islam, en compétition sur «le marché de la foi», notamment en banlieue parisienne, où les premiers progressent à grands pas.
Dans l’auditorium de Créteil, Christine Kelly a eu ces mots chargés de sous-entendus, mais pas forcément porteurs de conflit: