Icône de la résistance au machisme islamiste, Mila aurait-elle viré du côté obscur de la lutte? Ceux qui avaient perdu de vue la jeune femme insultée et menacée de mort par une armée de trolls en 2020, la retrouvent cette semaine sous la plume de Caroline Fourest à l’enseigne de Franc-Tireur. La directrice éditoriale de cet hebdomadaire français engagé dans la défense de l’universalisme et de la laïcité, se désole de l’évolution idéologique de celle qui aujourd'hui a 20 ans.
Telle une marraine affligée par le comportement de sa filleule, Caroline Fourest écrit:
La journaliste et essayiste a fait du cas Mila un combat contre l’intolérance religieuse.
Rappel des événements. Le 19 janvier 2020, dans un live sur Instagram, Mila, 16 ans, lesbienne ou qui du moins le laisse entendre, confie ses goûts en matière de filles. Elle dit ne pas être attirée par le type «rebeu» et «noir». Intervenant dans le live, un garçon qui pensait peut-être pouvoir la draguer la traite de «sale pute», «sale lesbienne» et «sale raciste», mêlant l’islam à ses insultes. Elle répond que l’islam est une «religion de haine». Le live prend fin. S’ensuivent de premières menaces à son encontre.
Piquée, Mila réplique aussitôt dans une vidéo. Elle y dit tout le mal qu’elle pense de l’islam. «Votre religion, c'est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul. Merci, au revoir», termine-t-elle son propos, qui provoque un emballement généralisé.
Aurait-elle parlé en ces termes de la religion chrétienne que les choses se seraient sûrement tassées rapidement. Mais elle s'en prend à l’islam, le «trésor» identitaire d’une part non négligeable de la jeunesse musulmane. Sur la Toile, les discours rigoristes, où la mort et l’enfer tiennent lieu de messages d’amour, ont façonné un islam irascible. Le «blasphème», notion non reconnue par le droit français, vaut sentence mortelle. Les frères Kouachi l’ont appliquée en janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo. Mila, désormais, fait face à un torrent de haine et de menaces en ligne. Résultat: déscolarisation, déménagement, protection policière.
En juin 2021 s’ouvrait à Paris le procès de treize de ses cyberharceleurs. Onze écopaient de peines comprises entre 4 et 6 mois de prison avec sursis. L’adolescente, pas vraiment lassée des réseaux sociaux, en constante affirmation de soi, son look changeant et toujours audacieux en témoigne, est devenue un enjeu politique. Le Rassemblement national prend sa défense avec des arrière-pensées évidentes. La gauche, qui s’est de plus en plus déportée vers les «quartiers», où vivent de nombreux musulmans, est dans l’embarras. Au tout début de l'affaire, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, qui vient d'être nommée à l'Education dans le gouvernement de Gabriel Attal, avait hésité à défendre Mila avant de s'y résoudre sous la pression de l'opinion publique.
Reste la «gauche laïque», qui s’oppose au grignotage de la société par le religieux, l’islam sous sa forme politico-identitaire étant particulièrement actif dans ce registre. Caroline Fourest et l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, devenu le défenseur de Mila, ont pris très tôt la jeune femme sous leur aile, insistant sur le droit de chacun de croire en Dieu tout en plaidant pour le droit à l’irrévérence en ce domaine.
Patatras! A en croire Caroline Fourest dans la dernière livraison de Franc-Tireur, Mila aurait succombé au chant des sirènes de l’extrême droite. Elle serait à bout. Caroline Fourest rapporte que Mila trouve insupportables les lenteurs de la justice, alors qu’«un Tchétchène qui l’a menacée, et qui est inculpé pour une autre affaire d’apologie du terrorisme, devrait être mis hors d’état de nuire depuis belle lurette».
En choisissant de se ranger derrière le leader du Rassemblement national Jordan Bardella et du côté des féministes de Némésis, qui ont fait de l'«Arabe» une figure repoussoir, Mila aurait fait son «coming-out identitaire».
Dans son article, Caroline Fourest fait allusion à une conversation téléphonique, au cours de laquelle elle aurait essayé de convaincre Mila de garder sa protection policière – c’était peu de temps avant la dernière élection présidentielle en France, Mila demeurait une cible, le pire pouvait se produire dans une telle période.
Mila a peu goûté au recadrage de sa «marraine». Mercredi, jour de la sortie de Franc-Tireur, elle a écrit sur X (ex-Twitter):
Je viens d’apprendre que je considérais que tous les arabes sans exception seraient homophobes et violents, et apparement je serais copine avec Thais d’Escufon. Encore une qui tente de se rendre crédible en diffamant comme elle respire. J’ai l’habitude… pic.twitter.com/YqweRGqVlu
— Mila ✨ (@milafique) February 7, 2024
Mila semble ici démentir tout lien avec Némésis. Mais le 4 février, Alice Cordier, porte-parole du groupe féministe identitaire, postait une photographie où elle apparait en compagnie de Mila.
Le père de Mila a également répliqué à l’article de Caroline Fourest. Sur X, il lui reproche son appel téléphonique de 2022, dans lequel elle aurait donc dit à la jeune femme de conserver sa «protection policière jusqu'aux élections et qu'après elle pourrait s'en passer».
@CarolineFourest je suis le papa de Mila, vous avez appelé Mila pour lui demander de garder sa protection policière jusqu'aux élections et qu'après elle pourrait s'en passer, c'est une honte d'avoir dit cela à notre fille (on a l'enregistrement audio de votre message) 😡
— Wally 38 🇲🇫🇺🇦🇮🇱🏳️🌈🇦🇲 (@WallyWally38) February 7, 2024
A quoi Caroline Fourest a répondu:
Monsieur, puisque vous enregistrez vos alliés, vous savez donc que #Mila avait arrêté sa protection à un moment risqué, où l’on reparlait d’elle. Et que j’ai appelé pour la convaincre de la reprendre, au moins le temps de l’élection (zone rouge), car elle ne voulait rien savoir. https://t.co/mkamzCalhU
— Caroline Fourest (@CarolineFourest) February 8, 2024
Lors de cette conversation téléphonique, Caroline Fourest aurait-elle mis en garde Mila contre une adhésion aux thèses du Rassemblement national? La démarche de la journaliste et militante laïque dans les colonnes de Franc-Tireur passe mal auprès des proches de Mila, sinon de son père – watson a tenté sans succès de le joindre via X.
Qu’a cherché à faire Caroline Fourest en écrivant ce qui ressemble beaucoup à une lettre ouverte à Mila? A l’amener à réfléchir à ses choix politiques? A empêcher que le Rassemblement national ne dépouille la «gauche Charlie» d’un combat qu’elle a mené seule, prenant tous les coups? A se dédouaner de toute responsabilité dans le cheminement idéologique de Mila au cas où celle-ci annoncerait son ralliement à Marine Le Pen? A sauver ce qui peut l’être encore? Pour l’heure et à notre connaissance, Richard Malka est toujours l’avocat de Mila.