De simple bénévole, l'informaticien Oleksandr Dimitriev a grimpé les échelons jusqu'à devenir conseiller du ministre ukrainien de la Défense et commande aujourd'hui une armée de 6000 drones. Interview.
Vous venez de présenter pour la première fois en public le système de surveillance aérienne ukrainien «Otschi». Comment cela s'est-il passé?
Oleksandr Dimitriev: Dans le fond, je suis un informaticien ordinaire et je n'avais jamais travaillé auparavant pour l'administration publique. Je cherchais surtout des solutions dans le domaine de la santé, je m'occupais surtout de matériel informatique. En parallèle, depuis l'occupation partielle du Donbass par la Russie en 2014, je m'engage dans le soutien civil de notre armée. Comme beaucoup d'autres, j'étais simplement un activiste bénévole, ce qui m'a permis de me faire un peu connaître à Kiev.
Entre-temps, vous avez «pris du galon» jusqu'à devenir conseiller du ministre de la Défense. Une carrière étonnante.
Face à la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve l'Ukraine, je pense que toute personne ayant une bonne idée au bon moment peut «prendre du galon», comme vous le dites. Pour moi, mon projet «Otschi» vise simplement à protéger mon pays.
Vous avez donc commencé en tant que privé et vous gérez aujourd'hui des milliers de drones de l'armée?
Je ne veux pas entrer dans les détails des structures de commandement. Mais le fait est que pendant la défense chaotique de Kiev en février et mars 2022, même les citoyens ordinaires pouvaient supplanter les bureaucrates et les populistes avec de bonnes idées. Dans mon cas, il s'agissait de faire sauter un barrage de manière contrôlée à Irpin, au nord de la capitale.
Et comment êtes-vous passé de la destruction de barrages à l'armée de drones?
Je connais assez bien le nord, entre Kiev et Tchernobyl, et j'y ai de nombreuses connaissances en qui je peux avoir confiance. Après le démantèlement du barrage, j'ai cherché des amis qui possédaient des drones pour observer les mouvements des troupes russes. Nous avons commencé avec quatre drones privés. Mon prochain défi a été de convaincre notre armée d'adopter des hiérarchies plus plates et des processus de décision plus rapides. J'y suis également parvenu. Ensuite, il a fallu régler des questions techniques, car les normes de l'Otan pour la communication entre les drones et les troupes sont trop lentes pour nos besoins; surtout lorsqu'il s'agit de systèmes d'alerte précoce. Là aussi, nous sommes en bonne voie.
Toutefois, l'armée ukrainienne semble perdre beaucoup de drones, on parle de 10 000 unités par mois.
Il s'agit d'un problème majeur, mais il concerne également l'ennemi russe. Nos drones échouent pour cinq raisons: certains sont abattus par l'ennemi, d'autres se perdent à cause du mauvais temps ou de soucis techniques. Les Russes perturbent également le pilotage avec des signaux électroniques. Enfin, il y a le problème particulièrement dommageable pour moi des tirs fratricides; c'est-à-dire que nos propres soldats abattent nos drones.
Comment est-ce possible?
Il faut comprendre que tant les Ukrainiens que les Russes utilisent des drones de toutes sortes le long de la ligne de front. Ce sont en partie les mêmes modèles, qui sont librement disponibles sur le marché civil. Pour nous spécialistes, il est plutôt facile de différencier les engins, mais dans les tranchées sur le front, il n'y a pas d'experts.
Et on ne peut rien faire là-contre?
Nous sommes proches d'une solution, mais je ne peux pas donner davantage de détails. Je pense toutefois que nous pourrons bientôt exclure plus de 90% des tirs par nos propres troupes.
Qu'en est-il de la production ukrainienne de drones?
Nous y travaillons également avec acharnement. Nous avons déjà réussi de nombreuses frappes contre les forces d'occupation russes et l'armée de Poutine. Notre production reste faible pour l'heure, mais je peux vous assurer que nous exploiterons prochainement tout notre potentiel. Là encore, je ne peux pas en dire plus pour des raisons évidentes de confidentialité. Restez à l'affût et vous pourrez mesurer notre succès.
Traduit et adapté par Valentine Zenker