BeReal. Une injonction, au ton condescendant, qui n'est autre que le nom de la nouvelle application à la mode.
Lancée début 2020 et développée par le Français Alexis Barreyat, elle cartonne auprès de la génération Z: En mai 2022, elle compte déjà 10,7 millions d'utilisateurs dans le monde et la société aurait été évaluée à 600 millions de dollars. Appâtée par cet engouement, je me suis laissée séduire.
BeReal, que l'on pourrait traduire par «sois vrai» en français, se prend pour l'anti-Instagram et garantit un retour à la réalité (sans filtre) et avec la promesse suivante: «Montrer à tes ami(e)s qui tu es vraiment, pour une fois.» D'emblée, je suis sceptique. Si mes photos sur Instagram sont soigneusement sélectionnées, elles me ressemblent.
Pour être «authentique» sur BeReal il faut suivre le rythme (incessant) des notifications de l'application. Le système fonctionne par l'envoi de push, vous donnant l'ordre «d'être vrai» immédiatement.
Je dois alors poster une photo de ce que je fais sur le moment. Pas le temps de réfléchir non plus, puisque l'on n'a que deux minutes pour être créatifs (et présentables). Un stress intense, renforcé par ce système de notifications alarmantes et un sentiment d'urgence perpétuelle, soi-disant conçus pour éliminer tout risque d'artifices.
Ce qui est surprenant (surtout la première fois) c'est que l'application prend simultanément deux photos. Une première avec la caméra avant, une deuxième avec la position selfie.
Résultat, on n'a le temps de contrôler que l'une ou l'autre des caméras. Il faut aussi préciser qu'on ne peut pas jeter un oeil sur le BeReal d'autrui, tant qu'on n'a pas posté le sien. Contrairement à Instagram, on est donc obligé de poster sur BeReal.
Après avoir posté ma photo, j'ai donc pu avoir accès au contenu de l'application. Comme je n'ai que deux amis (sur cette application), je suis rapidement arrivée au bout de mon fil. Un premier constat: ils n'ont pas l'air plus «vrais» qu'ailleurs.
J'ai aussi pu me balader dans l'onglet «découverte» qui, comme sur Instagram, présente un fil d'images partagées par d'autres utilisateurs. Sauf qu'ici, rien de très glamour: c'est un flux sans fin de personnes allongées sur leur lit, assises en classe ou dans le bus, en train de travailler ou d'attendre le train.
Entre les paysages mal cadrés, les flous involontaires et les sujets anodins de la vie de tous les jours, ce fil ne ressemble vraiment à rien.
S'il est vrai que scroller sur son téléphone au lit fait désormais partie de nos vies aujourd'hui, ça ne veut pas forcément dire que le dévoiler représente forcément du contenu plus «vrai».
En fait, comme l'application est dictée par les notifications, on ne peut pas décider nous-même quand poster quoi. Bon, d'accord, c'est le but de l'exercice, mais c'est surtout une logique qui ne fonctionne pas. Car elle exclut pas mal d'activités (plus intéressantes) et qui nous ressemblent davantage que notre corps avachi sur un lit.
Si le problème d'Instagram c'est sa superficialité, le problème de BeReal, c'est son ennui extrême.
Surtout, on a la désagréable impression d'ennuyer les autres à force de poster des photos sans intérêt. Personnellement, je pars du principe que la vie peut être à la fois belle et authentique. Et même si mes publications sur Instagram sont triées sur le volet plutôt que dévoilées sous la contrainte, elles sont plus intéressantes qu'une image mal cadrée de mes collègues de bureau.