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Ukraine: le général français Yakovleff admire l'armée suisse

Ukraine: le général français Yakovleff admire l'armée suisse
Le général Michel Yakovleff sur le plateau de LCI.image: montage saïnath bovay

Expert du conflit en Ukraine, ce général français «admire l'armée suisse»

Le général français Michel Yakovleff n'est jamais avare en punchlines quand il décrypte la guerre en Ukraine sur LCI. Au point qu'un compte Twitter les regroupant a été créé. Dans une interview à watson, il explique pourquoi la France devrait s'inspirer du système de milice helvétique.
12.12.2022, 18:3013.12.2022, 12:30
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Ancien légionnaire, petit-fils d'un militaire russe parti de Russie en 1918, le général de corps d'armée Michel Yakovleff, aujourd'hui à la retraite, intervient sur la chaîne LCI comme expert de la guerre en Ukraine. Sa langue jamais dans sa poche, ce haut gradé français a inspiré la création d'un compte Twitter, qui, dit-il, n'est pas le sien: «La Punchline de Yakovleff.»

Admiratif du passé «héroïque» de l'armée suisse, observant les gros besoins en hommes de l'armée ukrainienne face à l'agresseur russe, il aimerait importer en France le modèle «école de recrues / cours de répétition». Le général Yakovleff est membre de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), rattaché au premier ministre.

Que représente pour vous l’armée suisse?
Général Michel Yakovleff: Pour moi, c’est le souvenir de la période héroïque, celle de l’armée suisse mobilisée durant la Seconde Guerre mondiale. La crainte de s’engager dans quelque chose de plus complexe a dissuadé Hitler d’envahir la Suisse.

«D’une certaine façon, l’armée suisse, c’est le premier exemple de dissuasion. On a su après qu’il y avait eu de l’intox dans cette posture, mais il y avait aussi beaucoup de fond. C’est un bel exemple»

Qui vous a inspiré?
J’ai été appelé dans l’armée française en 1976, puis je me suis engagé comme professionnel. C’est à partir de là que j’ai rencontré des camarades suisses. Dans ces années de guerre froide, la défense suisse était une très grosse armée, bien entraînée, bien encadrée.

Etes-vous allé sur le terrain militaire suisse?
Oui. Moi qui suis issu de la cavalerie, le nom en France des troupes blindées, j’ai visité en 1995 la place d’armes de Thoune, qui abrite le centre d’instruction des troupes mécanisées. La formation sur les chars, en l’occurrence les Leopard 2, était comparable à celle qu’on faisait en France et, dans le cas suisse, en coopération avec l’armée suédoise, neutre à l’époque et également équipée du char allemand.

Avez-vous un autre lien avec la Suisse?
J’ai une tante qui a vécu en Suisse et qui y est morte. Quand j’étais gamin, j’allais chez elle. J’ouvrais un bouquin qui s’appelait Défense civile et qui, je m’en souviens, était remis aux mariés en même temps que le livret de famille. Ce manuel, pensé pour la guerre froide, contenait plein d’explications: comment se protéger d’une explosion nucléaire; comment faire face aux eaux polluées par les radiations; comment gérer les stocks de nourriture pour la famille; comment faire tourner les provisions, sachant que les pâtes, ce n’est pas plus de douze mois de conservation; comment faire des pansements et des brancards de fortune, etc. C’était vraiment un bouquin complet, qui a dû disparaître avec la fin de la guerre froide.

A la télévision, sur la chaîne LCI, où vous intervenez comme consultant sur la guerre en Ukraine, vous avez rendu hommage à l’armée suisse en disant que l’armée française pourrait s’en inspirer. Dans quelle mesure?
Il est question actuellement en France de donner plus de profondeur, en d’autres termes plus de capacités, de masse, à l’armée française. Avec notre armée de terre professionnelle de 106 000 hommes, notre ressource en soldats est finalement assez limitée. Même si les gens qui quittent l’armée restent rappelables pendant cinq ans.

Quels sont les effectifs globaux de l’armée française?
En tout, les forces armées françaises, terre, air, mer, c’est 250 000 hommes. L’armée de terre, elle, a donc un effectif de 106 000 hommes, à peu près le même que celui de l’armée suisse après mobilisation. Un nombre auquel il faut ajouter environ 20 000 civils. Or, dans l’armée de terre toujours, il est question de passer de 40 000 à 80 000 réservistes. Aujourd’hui, les réservistes sont les gens rappelables évoqués plus haut, plus des civils faisant une formation et constituant une réserve opérationnelle.

Ces civils en formation sont-ils comparables aux soldats de milice suisses?
Non. C’est justement ce qu’il faudrait changer.

Préconisez-vous le rétablissement du service militaire en France, supprimé en 1996 par le président Jacques Chirac?
A titre personnel, oui. Il faudrait que ça reste dans des effectifs raisonnables, ni trop élevés, ni trop bas.

«Nous pourrions nous inspirer du modèle qui est le vôtre, avec une école de recrues de trois mois, suivie de cours de répétition, soit tous les ans, soit tous les deux ans, à voir»

L’armée professionnelle demeurerait?
Oui, cette armée de conscription, conçue comme une réserve, s’ajouterait à l’armée professionnelle. Ce qui permettrait de donner à l’armée française plus de profondeur, plus de masse.

Au-delà des aspects militaires, que trouvez-vous de positif dans l’armée suisse?

«Ce que j’admire dans votre modèle, c’est le lien armée-nation»

Ce sont des civils qui viennent faire leur formation militaire et qui retournent dans le civil tout en gardant un lien avec l’armée. Sur vos curriculums, vous pouvez faire figurer votre grade, celui d’officier par exemple si vous l’êtes devenu. Il y a une reconnaissance sociale de votre investissement militaire. Vos lois forcent les entreprises à libérer les citoyens devant effectuer un cours de répétition. Et puis c’est accepté par la société.

Mais tout le monde en Suisse ne veut pas faire l’armée. C’est pourquoi il y a un service civil.
Oui, et votre modèle de service civil est très performant. J’ai tendance à penser que le vôtre est plus efficace que le nôtre, parce que mieux pensé dans son organisation. (Réd: le service civil suisse est rattaché au Département fédéral de l'Economie, de la Formation et de la Recherche.)

Pensez-vous que le modèle d’armée suisse soit transposable en France?
Ça pose la question du retour à la conscription, au service militaire. Ça serait compliqué. En même temps, il y a en France un regret de la conscription.

«Nombre de gens disent: "Ah là là! On n’en serait pas là si on avait encore le service militaire"»

«On n’en serait pas là», c’est-à-dire ?
Je pense aux problèmes qui fragilisent le lien social en France, les incivilités, les polémiques sur les origines, etc. Le service militaire permettait le brassage social, que j’ai vécu et qui était très réel. Les soldats français étaient quand même attachés à leur armée. Il y avait tout un humour à l’époque, les blagues de Coluche sur les militaires, les films comme «Mais où est donc passée la 7e compagnie» ou «Les bidasses en vadrouille» qui brocardaient l’armée, il y avait le personnage récurrent de l’adjudant alcoolique. Tout ça, c’était bon enfant, et quand on rigole de quelqu’un, ce n’est pas forcément qu’on le déteste.

Comme militaire, quelle unité avez-vous commandée?
Devenu officier d’active (lieutenant), j’ai rejoint la Légion étrangère. J’y suis allé pour le mythe extrême que cela représentait. Vingt ans plus tard, j’ai commandé le 1er régiment étranger de cavalerie à Orange, dans le Vaucluse.

Etes-vous allé sur des terrains de guerre?
Comme terrain, j’ai fait la guerre du Golfe en 1991. Pour nous, Français, ce n’était pas une grosse guerre. Un peu plus tard, j’ai passé un an et demi de ma vie dans les Balkans, lors des guerres d’ex-Yougoslavie, période Otan, en Bosnie et au Kosovo.

Quel regard portez-vous sur la guerre en Ukraine?
J’y vois un peuple qui se bat pour sa liberté. Il est prêt à le faire beaucoup plus que les tyrans ne le comprennent, ou même que nous ne l’avons compris.

«En 2014, les Ukrainiens ont été sincèrement surpris et vexés que les Russes annexent la Crimée et jettent leur dévolu sur le Donbass. Entre Russes et Ukrainiens, c’est quand même la famille»

Ils s’étaient séparés en 1991, mais séparés bons amis. A partir de 2014, le Donbass est devenu, par la rotation des soldats ukrainiens qui y allaient, l’école de l’armée actuelle. Cela, Poutine ne l’avait pas vu. Il est tombé sur une armée qui a pu mobiliser très rapidement, qui avait un effectif insoupçonné. En dehors du modèle suisse, c’est au modèle ukrainien que je pense pour la France: un noyau dur, l’armée pro, et un noyau mobilisable qui apporte des effectifs à l’armée pro.

Dans une guerre comparable à celle d’Ukraine, combien de temps l’armée française pourrait tenir?

«Au taux de consommation actuel de l’armée ukrainienne, l’armée française, je le crains, ne tiendrait pas très longtemps»

Quel est votre statut aujourd'hui?
Je suis à la retraite depuis 2017. J’ai un emploi à mi-temps pour l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), rattaché au premier ministre.

Un grand-père militaire parti de Russie en 1918

Votre nom de famille a une consonance est-européenne. Quelles est son origine?
Mon grand-père s’appelait Ivan Yakovleff, issu d’une famille de longue tradition militaire. Il est devenu opposant au régime tsariste, il a démissionné de l’armée et a rejoint les Socialistes-Révolutionnaires, les célèbres SR. Dans des circonstances scabreuses, il a fui la Russie en 1905. Il est revenu en 1917, a soutenu le gouvernement Kerensky , SR lui-même, chef du gouvernement provisoire, chassé par les bolcheviks lors de la révolution d'Octobre. Il est reparti en 1918, pour finalement échouer en France en 1925. Ni Russe blanc, ni rouge. Un Russe rose, comme je me plais à le dire.

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