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«Sans de nouvelles troupes fraîches, les Russes ne vont pas gagner»

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«Sans de nouvelles troupes fraîches, les Russes ne vont pas gagner»

epa09936358 Ukrainian servicemen prepare to fire from their position near Kharkiv, Ukraine, 09 May 2022. On 24 February, Russian troops invaded Ukrainian territory starting a conflict that has provoke ...
Image: sda
Après deux mois de combats dans l'Est de l'Ukraine, la Russie n'a toujours pas réussi à s'imposer nettement sur ses adversaires, qui ne cessent de monter en puissance. A tel point qu'une victoire militaire de Kiev n'apparaît plus si inconcevable, estime Julien Grand, rédacteur en chef adjoint de la «Revue militaire suisse». Interview.
23.05.2022, 12:00
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Cela fait bientôt deux mois que les Russes ont redéfini leurs objectifs militaires, en se concentrant sur l'Est de l'Ukraine. Qu'est-ce qui a changé dans le rapport de force entre les deux camps?
Julien Grand
: On a assisté à une montée en puissance de l'armée ukrainienne et, parallèlement, à un affaiblissement des forces russes. Cela amène à une situation à peu près égalitaire sur le champ de bataille, ou du moins à une porte ouverte que les forces de Kiev peuvent utiliser pour prendre encore plus l'initiative.

Comment expliquer cette montée en puissance ukrainienne?
Elle est principalement due à l'afflux d'armes occidentales. De ce point de vue, on assiste à un crescendo dans l'aide internationale. On peut distinguer trois phases. Au début du conflit, entre février et mars, les Ukrainiens ont surtout reçu des armes anti-char légères. Elles permettent de mener une guerre de chasse, ce qui correspond à faire entrer les Russes dans son territoire et leur infliger un maximum de pertes, sans pouvoir faire beaucoup plus. Ensuite, les Occidentaux ont envoyé des moyens plus lourds, qui ont permis de mettre en place une stratégie de défense plus efficace et de garder le terrain.

epa09931795 A Ukrainian serviceman looks on from a self-propelled howitzer, at an undisclosed area of Kharkiv, Ukraine, 07 May 2022. Russian troops entered Ukraine on 24 February, resulting in fightin ...
Les Ukrainiens disposent maintenant d'armes lourdes, envoyées par les Occidentaux.Image: sda

En ce moment, on entre gentiment dans une troisième phase, liée à un gigantesque paquet d'aide de 40 milliards de dollars approuvé par le Congrès américain. Pour avoir une idée, cela correspond à 10 budgets annuels de l'armée suisse. Cette aide permettra de renforcer encore plus les capacités ukrainiennes, relancer l'offensive et gagner du terrain. C'est du moins ce que Washington et Kiev espèrent.

Cela veut dire qu'une victoire ukrainienne est en vue?
D'un point de vue purement militaire, c'est encore trop tôt pour le dire. Il faut clairement distinguer la défense et la contre-attaque. Comme il faut un ratio de un à trois hommes pour mener une attaque, les Ukrainiens ont l'avantage en ce moment. Ils ont montré qu'ils savent se défendre. Pourtant, passer à l'offensive requiert de gros préparatifs.

Dans ce contexte, qu'est-ce que la traversée ratée du fleuve Severski Donets, où un bataillon russe a été neutralisé, nous dit sur le sujet?
Il faut commencer par dire que la traversée d'une rivière est l'une des actions militaires les plus difficiles et dangereuses qu'on peut mener. Cela dit, la perte d'un bataillon n'est pas tragique sur l'ensemble du théâtre des combats, mais cet événement met au grand jour les grandes capacités des Ukrainiens. Ces derniers ont réussi à mettre en place ce qu'on appelle dans le milieu un réseau capteur-récepteur. Autrement dit, ils ont été capables de localiser les troupes russes, de faire l'inventaire de leurs forces et de sélectionner l'armement adéquat pour passer à l'action.

«Symboliquement, c'est important. Cela montre que les Russes ne peuvent pas se promener comme ils le pensaient dans cette zone»

En parlant des Russes, pourquoi sont-ils affaiblis?
Les premières estimations sur les pertes russes commencent à arriver. Même s'il faut être prudent, il en ressort que 30% du potentiel de combat russe, matériel et personnel confondus, a été détruit ou mis hors d'état de nuire. Moscou doit donc faire des choix: soit réduire l'ampleur de son avancée, soit se mettre dans une position défensive. Ce qui est sûr, c'est que, sur le terrain, les Russes sont essoufflés. Sans de nouvelles troupes fraîches, ils ne vont pas réussir.

L'armée russe peut-elle se retrouver bientôt à court d'hommes et de matériel?
Je ne crois pas, la Russie dispose d'un réservoir immense d'hommes et de matériel. Historiquement, le pays a toujours montré une forte capacité de résilience. Pour moi, le plus grand écueil est de nature politique: continuer à déployer des soldats et des équipements nécessiterait une sorte de mobilisation générale, ce qui serait délicat vis-à-vis des pays occidentaux.

Et qu'en est-il des armes modernes vantées par Poutine?
Il est difficile de dire ce qui se passe du côté russe. Avant le début du conflit, Poutine avait annoncé une quinzaine de projets d'armes présentées comme révolutionnaires, comme par exemple, le char T-14. De ces projets, on n'a pas vu grand-chose sur le champ de bataille. Cela soulève la question de savoir si la Moscou est vraiment capable de produire ce type d'armement, ou s'il s'agit d'un bluff. Les sanctions occidentales pourraient également jouer un rôle: comme tout autre pays, la Russie ne maîtrise pas totalement les chaînes de montage, et ne peut donc pas construire des véhicules de A à Z en totale autarcie.

Qu'est-ce que tout cela nous dit sur la suite?
A l'heure actuelle, deux scénarios se dessinent. Le premier, le plus conservateur, prévoit une situation inchangée: deux armées qui se font face, qui gagnent et perdent du terrain chaque jour, sans qu'aucune arrive à s'imposer. C'est à peu près ce qui dure depuis 2014.

Et l'autre?
Le deuxième scénario prévoit une réelle montée en puissance de l'armée ukrainienne, notamment grâce aux 40 milliards américains, ce qui pourrait permettre aux Ukrainiens de mettre en place une force offensive vraiment efficace, capable de déborder les forces russes et de les chasser du Donbass et de la Crimée. Dès que l'Ukraine aura réussi à rétablir sa souveraineté sur les frontières reconnues internationalement, elle peut être considérée comme le vainqueur du conflit, militairement parlant.

Plus d'images de véhicules russes détruits en Ukraine
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Plus d'images de véhicules russes détruits en Ukraine
Une partie d'un char russe endommagé dans le village de Mala Rohan, près de Kharkiv, en Ukraine, le 13 mai 2022.
source: sda / sergey kozlov
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