C'est une des expériences les plus américaines qui existent: vivre en sororité ou en fraternité. Retranscrit mainte fois dans les livres et films, ce mode vie parait souvent venir d'un autre monde. Dans la culture populaire, la saga Americain Pie fait partie de ces films qui ont mis en scène (de manière parfois extrême) ces lieux👇
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette drôle de tradition: les élèves de campus américains peuvent rentrer dans des confréries d’étudiants. Elles portent généralement un nom grec et accueillent les élèves pour quelques années, leur permettant de vivre la Greek Life. C'est-à-dire, organiser des événements caritatifs, participer à des activités collectives entre établissements, avoir un soutien académique entre membres, et faire la fête entre eux.
Si l’expérience parait alléchante, ce mode de vie n’est pas pour tout le monde. Sabrina* l'a vécu il y a quatre ans. Malgré son obligation contractuelle à rester sous anonymat, elle a, tout de même, accepté de nous raconter une partie de son quotidien en sororité. Le bon comme le mauvais. C'est parti, embarquez pour une université de l'Ouest des Etats-Unis.
Comment une Suissesse a-t-elle atterri dans une sororité d’une université américaine?
Sabrina*: Eh bien, je suis née de l’autre côté de l’Atlantique, mais, vers mes six mois, on est rentré en Suisse avec ma famille. Une partie de moi a voulu y retourner et l’idée de faire mes études universitaires aux Etats-Unis m'a bien plu. Quant aux sororités, à force de visionner des vidéos YouTube ou des films sur le sujet avant mon départ, ma curiosité a été titillée.
Je suis donc partie en 2017 pour entreprendre un Bachelor de quatre ans en psychologie.
Quelles ont été les démarches pour intégrer une sororité?
Dès mon arrivée mi-août, je me suis inscrite à la rush week qui se déroule la première semaine de cours et sur trois jours. Le premier jour, j’ai couru de maison en maison, enchainant des interviews de quelques minutes avec trois filles différentes de chaque sororité. Elles m'ont accueilli avec leurs chants et de grands sourires. J’ai été directement projetée dans leur univers. À la fin de cette étape, j'ai dû sélectionner trois sororités en espérant qu'elles me choisiraient aussi. J'ai matché avec deux maisons et j'ai donc pu passer au deuxième jour.
Que s'est-il passé lors des deux journées restantes?
J'ai recommencé des entretiens, cette fois plus longs, durant lesquels les sœurs t’expliquent leur organisation, les exigences en matière de notes scolaires et leur philanthropie - obligatoire pour chaque sororité. S'ensuit la dernière étape s’il y a de nouveau un match entre ton choix et celui d'une sororité, tu visites la maison avant de devoir faire un choix final.
Un vrai parcours du combattant, ce processus! Comment l'avez-vous vécu?
Honnêtement, je n’ai vraiment pas aimé. Le chemin a été long et fastidieux.
Et, dans mon cas, je me suis arrêtée à la deuxième étape. Je n’ai pas accroché avec les sororités qui m’ont retenue. Mais, j’ai pu intégrer celle que je voulais au début de la rush week par des contacts à l’intérieur plus tard dans le semestre d'automne. Je n'ai pas lâché mon but de vivre cette expérience.
Donc par la force du destin, vous avez intégré une sororité. Avez-vous encore traversé certaines étapes?
Oui. Pendant un ou deux mois, j’ai été en période provisoire qu’on appelle le pledge. Durant ce laps de temps, j’ai dû apprendre les chants, les dictons, les règles de ma sororité. La cérémonie officielle d’intégration s'est déroulée un matin d'octobre et n'a fait l’objet d’aucun bizutage.
Dès ce moment, en quoi consistait la vie d'une sœur fraichement «baptisée»?
Après mon intégration définitive, une Big, une sœur ayant au moins un et demi d’ancienneté, m’a prise sous son aile. Ce lien a aussi fait l’objet d’une cérémonie où l’on devient une mini famille. Ne vivant pas au sein de la maison, j'ai été en contact avec mes camarades seulement lors des événements philanthropiques et académiques ainsi que les réunions, consommant beaucoup de temps. Mais, je n’ai pas eu le choix d’y aller au risque de prendre une amende.
Cet environnement semblait vraiment strict. Avez-vous fait attention à ne pas faire de pas de travers?
Oui, j’ai essayé de toujours faire attention. Au début, les bénéfices de faire partie d'une sororité en ont valu la peine. J’ai découvert l’événementiel, la philanthropie, les connexions sociales et la popularité d’une certaine manière.
Même si je me suis rendue compte de la toxicité de cette pratique après coup: ma sororité ne choisit que des belles filles pour entretenir leur statut de popularité et d'attractivité. Et, logiquement, après avoir été acceptée dans cette maison, ma confiance en moi a été boostée au maximum, un sentiment que je n'avais jamais expérimenté auparavant. Mais, au fil des mois, je ne me suis plus reconnue dans ce mode de vie.
Pourquoi?
Ce sentiment d’appartenance m’a dérangée de plus en plus. Je n’ai pas souhaité me définir exclusivement par ça.
Et puis, le fait d’être constamment contrôlée a fini par me peser. Oui, avoir une bonne réputation est essentiel pour les sororités. Mais, j’ai trouvé hypocrite de la part de nos supérieures de contrôler nos tenues pour les événements, nos posts Instagram et de nous répéter à longueur de temps: «Stay classy lady» (Reste classe mademoiselle) alors qu’elles n'ont aucun mal à aller se bourrer la gueule en soirée.
Les scènes des films comme «American Pie» ou «Undercover» collent-elles avec la réalité de votre vécu?
Non, en tout cas pas dans les sororités de notre campus. J'ai vu des gros clichés qu'on peut voir dans ces films dans ma sororité comme la fille populaire et superficielle. Mais ce n'était pas autant exagéré que dans ces long-métrages. Comme il fallait un certain niveau académique pour rentrer et rester dans une sororité, toutes les filles ont travaillé énormément.
C'était la même chose pour les fraternités?
À vrai dire, c'est totalement l'inverse. Si les garçons ont également du récolter des fonds pour une cause, ils n'ont pas eu autant de règles que nous. Ils ont eu le droit d'organiser des week-ends entiers de beuverie dans des chalets, de boire autant qu'ils veulent dans leurs maisons sans être surveillés. Comme s’il fallait vérifier le comportement des filles et laisser les garçons vivre tranquillement.
Leur liberté paraît plus agréable à vivre. Pourtant, ceci n'a-t-il pas provoqué des dérapages?
Effectivement, cela a des conséquences. À l'inverse de nos cérémonies, les bizutages étaient plus fréquents. Quelques années avant mon arrivée, j'ai appris l'existence de scandales de filles droguées à leur insu et des histoires sordides d’agressions sexuelles. Ces groupes ont bien sûr été dissous depuis.
Ce quotidien n'avait pas l'air toujours facile à vivre. Avez-vous tenu quatre ans d’études en sororité ?
Non. Après sept mois, j’ai refermé la porte de cette expérience. À force de me demander ce que je faisais dans ce milieu, je suis simplement partie.
Malgré les points positifs, ce monde étroit, contrôlé et élitiste n'a pas correspondu à ma personnalité et m'a pris trop de temps.
En prenant en compte les points positifs et négatifs, le referiez-vous?
Je pense que ma curiosité concernant cet univers m’aurait de toute façon emmenée sur ce chemin. Peut-être que je ne la conseillerais pas à tout le monde. Il faut avoir la personnalité pour ce genre de mode de vie.