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Interview

Attentat à Moscou: «Daesh a une dette de sang avec les Russes»

Attentat, Moscou, 22 mars 2024. Médaillon: Wassim Nasr.
Attentat, Moscou, 22 mars 2024. Médaillon: Wassim Nasr.image: keystone
Interview

Attentat à Moscou: «L’Etat islamique a une dette de sang vis-à-vis des Russes»

Spécialiste du djihadisme, journaliste à France 24, le Français Wassim Nasr livre son expertise après l'attentat meurtrier de vendredi soir à Moscou, acte revendiqué par l'Etat islamique.
23.03.2024, 11:3025.03.2024, 08:07
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L’Etat islamique (EI) a revendiqué l’attentat de Moscou sur le canal Telegram Amaq. Amaq est la signature de l’EI?
Wassim Nasr: Amaq est le canal officiel et habituel de l’EI. A côté du canal officiel, il y a ce qu’on appelle des canaux miroirs, qui appartiennent aussi à l’EI. Dans le cas de l’attentat de Moscou, c’est le canal officiel qui revendique. Il n’y a aucun doute sur la source et son authenticité. J’ai déjà eu affaire à de faux communiqués. Avec l’expérience acquise, je les débusque très rapidement. Là, il n’y a aucun doute. La revendication émane bien de l’EI.

Pourquoi l’EI s’en prend-il à la Russie?
Ce n’est pas la première fois que l’EI s’en prend à la Russie. Plusieurs attentats perpétrés ces dernières années sur le territoire russe ont été revendiqués par l’EI. Et j’exclus ici les actions armées qui ont lieu à l’occasion dans le Caucase. Deux attentats ont été revendiqués en 2016, trois en 2017, deux en 2018 et un en 2019. Il n’est donc pas exceptionnel que l’EI s’en prenne à la Russie. Ce qui est exceptionnel dans l’attentat de vendredi, c’est la capacité de l’EI de s’infiltrer dans la banlieue de Moscou pour y perpétrer un tel carnage. Début mars, les services russes ont annoncé avoir déjoué une tentative d’attentat qui visait une synagogue à Moscou. En février, un Russe de l’EI a été arrêté en Pologne.

Quel est le contentieux entre l'EI et la Russie?

«La Russie a un contentieux avec l’EI qui remonte à plusieurs années. Durant la guerre en Syrie, c’est la Russie qui était opposée à l’EI. Au Sahel, les Russes de Wagner font face à l’EI et Al-Qaïda. Les contentieux ne manquent pas»

La chose exceptionnelle, encore une fois, c’est que l’EI ait réussi à ouvrir une brèche dans la périphérie de Moscou pour commettre un attentat dans un lieu public. Il faut donc bien comprendre que la Russie est une cible désignée depuis plusieurs années par l’EI, au même titre que la France, les Etats-Unis, l’Iran ou Israël.

La revendication émane de l’Etat islamique Khorasan. De quoi s’agit-il?
C’est la branche de l’EI domiciliée en Afghanistan et qui a dans ses rangs beaucoup de recrues originaires des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan.

Les Russes gênent-ils l'EI dans cette région-là?
C’est surtout que l’EI a une dette de sang vis-à-vis des Russes. Ils veulent se venger des Russes par rapport aux conflits que j’ai cités plus haut. Et en Afghanistan, les Russes ont aidé les talibans contre l’EI. Même là, il y a un contentieux. Jeudi à Kandahar, un attentat-suicide a été revendiqué par l’EI. Les prisons russes sont pleines de sympathisants de l’EI.

A Moscou, est-on certain de ne pas avoir affaire à un «false flag», un attentat commis sous faux pavillon, par des gens sans lien avec l’EI?

«Mais non, on ne fait pas un "false flag" avec cinq tireurs, apparemment le nombre de terroristes impliqués dans l’attentat de vendredi. On fait un "false flag" avec une bombe. S’ils sont arrêtés, les auteurs présumés seront identifiés et parleront»

On parle à ce stade d'une nationalité tadjike pour les auteurs présumés.
C’est une supposition ou une rumeur. On ne sait pas. On évoque cette origine en raison des recrutements de l’EI en Asie centrale. Mais n’oublions pas que des Russes ont rejoint l’EI et que les Russes forment ou ont formé l’un des plus gros contingents de l’EI. Parmi les commandants de l’EI en Irak, on trouvait beaucoup de Russes, parmi eux, beaucoup de Tchétchènes.

Les Etats-Unis avaient prévenu les Russes début mars d’un risque d’attentat, notamment dans des lieux de loisirs. Ces avertissements sont-ils fréquents même entre ennemis?

«Oui et c’est tout à fait normal. A ce niveau-là de contre-terrorisme contre l’EI et Al-Qaïda, les services se préviennent les uns les autres, faisant fi des autres conflits»

De même, les Américains avaient prévenu les Iraniens contre un risque d’attentat avant le double attentat qui a frappé la ville de Kerman début janvier, faisant 89 tués. Les Américains et les «Five Eyes», leurs alliés anglo-saxons, ont des capteurs techniques qui peuvent déceler des menaces. Ils préviennent les pays concernés, mais il n’est pas dit que ces derniers puissent déjouer tous les attentats.

A propos de l'attentat du 2 mars à Zurich

Le 2 mars à Zurich, un attentat a été commis par une jeune Tuniso-Suisse de 15 ans sur un juif. Une tentative d’assassinat au couteau. Le jeune voulait tuer «tous les juifs». Il avait prêté allégeance à l’EI dans une vidéo avant de passer à l’acte. Il n’est pas mort.
S’il n’est pas mort, autrement dit s'il n'est pas mort en «martyr», alors l’EI n’a pas revendiqué son acte. L’EI ne prend pas à son compte les actes commis par des individus se revendiquant de lui lorsque ces derniers restent vivants. L’EI n’a ainsi pas revendiqué les attentats d’Arras et de la tour Eiffel des 13 octobre et 2 décembre. Mais il a revendiqué celui de Bruxelles, tuant deux Suédois le 16 octobre, parce que son auteur a été tué par les forces de l’ordre. En revanche, l’EI revendique les attentats qu’il organise et commet lui-même.

L'attentat contre le Crocus City Hall à Moscou
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L'attentat contre le Crocus City Hall à Moscou
L'attaque contre le Crocus City Hall, à Moscou, a fait 137 morts.
source: sda / dmitry serebryakov
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Peter Magyar, «le premier clou du cercueil» d'Orban
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