Quelle analyse faites-vous de l’attaque antisémite perpétrée samedi soir à Zurich contre un juif au nom de l’Etat islamique?
Frédéric Esposito: Je ne m’attarderai pas sur le mode opératoire, à savoir l’attaque au couteau. C’est quelque chose qui s’inscrit dans la pratique des groupes terroristes en Europe. Plus significative est la revendication de l’attentat, au nom de l’Etat islamique. Il s’agira de voir si l’on a affaire à une revendication opportuniste de la part de l’auteur, ou si un lien le rattache à l’Etat islamique.
C’est-à-dire?
L'action du Hamas s'inscrit peut-être moins dans une logique de défense des intérêts palestiniens, qu'elle ne participe d'un islamisme globalisé, où la composante palestinienne en tant que telle est faible. Dans le cas zurichois, on a, semble-t-il, affaire à un jeune Suisse d’origine tunisienne, naturalisé en 2015, qui s’en est pris à un membre de la communauté juive au nom de l’Etat islamique et non pas prioritairement au nom de la cause palestinienne. En ce sens, l'attentat de Zurich pourrait être lié au terrorisme islamiste globalisé.
Quelle différence entre cause palestinienne proprement dite et une action purement islamiste?
Dans l’histoire du peuple palestinien, l’OLP de Yasser Arafat s’est toujours attachée à la promotion d’un Etat palestinien. L’OLP avait abandonné en 1988 l’idée du recours au terrorisme. D’ailleurs, lorsque Yasser Arafat est revenu dans les territoires palestiniens en 1994 au terme de son exil tunisien, une marée humaine était là pour l’acclamer. Mais dans la foule, on trouvait aussi des opposants cagoulés au leader palestinien, parmi eux des membres du Hamas, qui appelaient à sa mort. Cela pose la question de l’horizon politique du Hamas. Le Hamas a certes gagné les élections à Gaza, mais avec quel projet? Aucun. Cela donne du poids à la thèse selon laquelle le Hamas se range plutôt dans un mouvement de terrorisme international.
D’après la Neue Zürcher Zeitung citant des membres de la famille de la victime présents samedi soir sur les lieux du drame, l’auteur de la tentative d’assassinat aurait revendiqué son appartenance aux brigades al-Aqsa, l’une des milices armées palestiniennes.
Cela dit, que ce soit al-Aqsa ou l’Etat islamique comme mentionné dans la vidéo enregistrée par l'auteur de l'attaque au couteau, on est très loin d’une revendication mettant en avant un projet politique. C’est en tant que «musulman» menant «un combat mondial contre les juifs», selon ses termes, qu’il a agi.
La référence aux brigades al-Aqsa, si l’adolescent l'a effectivement faite, peut faire écho à l’appel lancé cinq jours après l’attaque du 7 octobre par l’ancien chef du Hamas, Khaled Mechaal. Il invitait les communautés islamiques à une journée de mobilisation générale surnommée «vendredi du déluge Al-Aqsa». Le gouvernement israélien craignait alors que des violences visent non seulement des Israéliens, mais des juifs partout dans le monde.
La revendication du jeune de 15 ans est une revendication à laquelle on est confronté en Europe depuis plus de dix ans, que ce soit avec al-Qaïda ou l'Etat islamique.
Contrairement à ce qu’on dit ou pense parfois, il n’y a pas que le conflit israélo-palestinien qui alimente l’antisémitisme islamiste. On trouve dans la rhétorique islamiste, ou parmi les musulmans, des stéréotypes antisémites qui recoupent ceux qui furent longtemps en vigueur et qui le sont parfois encore chez les chrétiens. S’appuyant sur la tradition islamique, ces stéréotypes peuvent à l’occasion nourrir un antisémitisme virulent, non?
On l’a vu avec l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, il y a chez ces groupes d’extrême droite une défiance envers l’Etat occidental dans ses principes et sa composition. En ciblant des juifs, on cible les autorités, l’Etat fédéral américain, en opposition à l’Amérique qui existait avant la Guerre de Sécession avec ses Etats du Sud.
Voici qu’un fait nouveau surgit: une opposition radicale à l’Etat d’Israël au sein de la gauche universitaire. Cette gauche-là a été en partie happée par l’antisémitisme. Si bien qu’on a désormais un antisémitisme d’extrême droite, un antisémitisme islamiste et, bien que ce ne soit pas tout à fait neuf non plus, un antisémitisme à gauche. Comment voyez-vous cela?
La radicalité de gauche, qui impacte les juifs au point qu’ils sont sommés de se désolidariser d’Israël sous peine d'être traités de complices de Tsahal, rappelle, là aussi, l’opposition dans les années 60-70 entre l’OLP de Yasser Arafat et le Front populaire de libération de la Palestine, le FPLP de George Habache. Celui-ci partageait avec les groupes terroristes d’extrême gauche européens, la Fraction armée rouge en Allemagne et les Brigades rouges en Italie, la vision d'un Etat marxiste-léniniste.
Qu'en est-il aujourd'hui?
On le constate si l'on se réfère, entre autres, à la justification, au nom d'une cause révolutionnaire, des attentats terroristes du 7 octobre, qui visaient certes des Israéliens, mais aussi des juifs en tant que juifs. On est entré dans quelque chose de nouveau, qui fait qu’en France par exemple, ce qu'on ne voyait pas auparavant, des personnalités juives refusent que des élus issus de la gauche assistent à des commémorations ou hommages. Ces changements sont pour le moins troublants.