Ilena Markmann ne suit plus l'actualité. «C'est trop dur à encaisser», confie la chirurgienne des urgences de l'hôpital Barzilai d'Ashkelon, à une dizaine de kilomètres de la bande de Gaza.
A quelques minutes de route vers le sud, des dizaines de milliers de soldats israéliens se tiennent prêts à envahir la côte. Les blessés arriveront ensuite ici à l'hôpital. La chirurgienne se tient prête. «Nous suivons toujours scrupuleusement les procédures pour savoir quoi faire avec quels types de blessures», lance-t-elle.
Cette fois-ci, les choses devraient se passer mieux que samedi matin il y a environ deux semaines. Ce jour-là, elle venait de passer le relais à un collègue après son horaire de nuit quand soudain, les sirènes ont retenti. Rapidement, les ambulances ont défilé les unes après les autres, acheminant des blessés et toutes les horreurs qui allaient avec: balles dans la tête, dans les poumons, le foie ou encore la rate, blessures béantes et membres arrachés.
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Une «mer de blessés», comme le décrit Ilena Markmann. «Tout le monde était en panique», dit-elle, la mine fatiguée. Après chaque intervention, tout tourne en boucle dans la tête de la chirurgienne: «Ai-je fait le bon choix?»
«Nous avons tous vécu des scènes traumatisantes», déclare Ilena Markmann. Les roquettes en provenance de Gaza se livrent à un ballet incessant. Difficile de penser, voire de respirer pour les équipes de l'hôpital. Les sirènes hurlent, l'armée de l'air israélienne bombarde. Au total, 360 000 réservistes ont été mobilisés. Elle semble déterminée à détruire les points stratégiques du Hamas à Gaza par une offensive terrestre. Plus de 200 Israéliens sont retenus en otages par le groupe islamiste radical et ses alliés.
Si le conflit s'envenime, cela pourrait donner lieu à une escalade de la violence avec le Hezbollah au Liban, voire au-delà. «Je suis sous le choc, dit la chirurgienne. Je ne comprends toujours pas dans quoi nous nous sommes embarqués». Y a-t-il des psychologues pour vous à l'hôpital? «Beaucoup, mais personne n'a de temps, sourit-elle, comme résignée. Je sais que ce n'est pas le moment d'y penser.»
Son collègue et médecin assistant Assaf Osan se tient à ses côtés dans le hall d’entrée des urgences. Il a élu domicile à l'hôpital depuis qu’il a vu des combattants armés du Hamas à la fenêtre de son appartement à proximité de Sderot. C'était il y a deux semaines. Il a également entendu des coups de feu. Il s'est donc calfeutré chez lui avec sa famille pendant deux jours. Aujourd'hui, sa femme et ses trois enfants vivent dans le nord, à Haïfa.
Cela fait presque deux semaines depuis l'attaque, mais les scènes des urgences le hantent. «J'ai été ambulancier pendant douze ans avant de devenir médecin. J’ai vu beaucoup d’attentats terroristes, dit-il. Mais jamais une telle brutalité.»
L'hôpital a été la cible de tirs de roquettes à deux reprises. Un service est complètement détruit, un autre partiellement. Il y a des décombres et des jouets dans la cour. Les murs sont marqués de cratères et de trous.
De jeunes soldats sont assis sur les canapés de l’entrée, leurs armes à la main. Assaf Osan dit qu'il espère que l'armée se rendra à Gaza. Il doit y avoir une solution pour cet endroit. Ses enfants de six et dix ans savent exactement quoi faire en cas de raid aérien. «Il est impossible de continuer à vivre ainsi». Quelle solution imagine-t-il? Le soignant hausse les épaules.
A l'écart des ambulances, des bénévoles ont mis en place un buffet pour le personnel. Ils distribuent gratuitement des déjeuners, des sandwichs et du café. Son équipe se mobilise pour toute la population de l'hôpital, qu'il s'agisse des patients ou du personnel.
De nombreuses personnes ont perdu leur logement, des proches ou sont paralysées par la peur. Tal Ovadia et ses collègues ont créé un bureau pour recenser les personnes disparues. «Ce n’est pas le nombre de personnes qui nous dérange, mais plutôt ce qu’ils nous disent», explique-t-il. On dirait des films d'horreur.
Tous les membres de son équipe sont touchés de près ou de loin. Dernièrement, ils ont assisté ensemble aux funérailles du fils d'un employé. Un autre, qui vit dans un kibboutz près de Gaza, a entendu des terroristes du Hamas tirer sur une famille entière dans la maison voisine. «Et pourtant, tout le monde continue de travailler.»
L'offensive sur Gaza le rend nerveux, notamment parce que cela signifiera encore plus de travail. De nombreux collègues ont des enfants et des proches dans l’armée et beaucoup ont peur et ne savent pas ce qu’ils peuvent faire.
De nombreux Arabes israéliens en Israël ont également peur en ce moment. Ils représentent environ 18% de la population. Beaucoup se considèrent comme Palestiniens. Certains parlent d'un nouvel Holocauste face à la terreur du Hamas. D'autres évoquent une nouvelle Nakba - expulsion massive qui a suivi la fondation de l'Etat d'Israël - suite à la réaction israélienne à Gaza.
Pour Mohammed Abu Hammed, étudiant en médecine arabo-israélien et interne anesthésiste à l’hôpital Barzilai, les attaques du Hamas pourraient changer la façon dont certaines personnes percevront les Arabes à l’avenir.
Dimanche après l'attaque, contre la volonté de ses parents, le jeune homme de 26 ans a pris le volant pour parcourir les 90 kilomètres qui séparent Arad et Ashkelon. Il s'est rendu au travail, peu importe ce qu'il rencontrerait sur son chemin.
Il est assis avec deux collègues arabes sur la terrasse du premier étage de l'hôpital, près de la porte donnant sur l'intérieur. La tension est palpable. Les sirènes continuent de hurler, et parfois les explosions de roquettes précèdent même l'alarme. Que pensez-vous de l’offensive terrestre?
«C'est terrible, soupire Mohammed Abu Hammed, mais c'est aussi une réaction à ce qui s'est passé auparavant. J'aurais aimé que nous puissions tout empêcher plus tôt.Il n'y a plus aucun moyen de revenir en arrière.»
Deux étages plus bas, Ilena Markmann applique les protocoles de triage aux urgences. Il n'y a pas assez de personnel disponible pour tout le monde. «Nous devons soigner tout le monde, nous n’avons pas le choix», dit la médecin. Avant la guerre, ces règles s'appliquaient aux Palestiniens de Gaza qui avaient reçu un rare permis spécial pour quitter la zone bouclée par Israël en raison de maladies graves.
A l'avenir, ce sera toujours le cas? «Nous devons être dans le moment présent et faire de notre mieux». Ce qui est sûr, c'est qu'Ilena Markmann souhaite que tout cela s'arrête, que ses enfants ne subissent plus la guerre. «Je ferai tout pour qu'ils ne découvrent jamais combien de morts nous avons vu.»