«Comprenez-vous les chefs d'accusation?»
«Oui.»
«Vous reconnaissez-vous coupable?»
«Oui.»
«Vous plaidez entièrement coupable?»
«Oui.»
L'échange est glacial. Comme si chaque syllabe se gravait simultanément dans les bouquins d'histoire. Les visages sont tirés, tendus, immobiles. Vadim Chichimarine, 21 ans, CV de brute et gueule de poupon, poignets menottés, cheveux ras et corps fin, noyé dans un sweat gris et bleu électrique à capuche, a avoué durant les premières minutes de son procès avoir tué un civil de 62 ans, le 28 février dernier, près de Soumy, dans le nord du pays. Un aveu aussi précoce que l'accusé lui-même. Et qui fait office de première surprise.
Dans le petit tribunal de quartier à Kiev, il est 13h30. La salle d'audience, minuscule, déborde autour de la cage de verre dans laquelle se tient, debout, le bébé soldat, mais déjà sous-officier. Il a le regard planté dans ses chaussures. Au mur, une petite télévision avec un paysage idyllique en fond d’écran. Sur le rebord de la fenêtre, une plante verte. Un décor qui jure avec l'importance de l'instant. L’avocat du jeune sergent, commis d'office, est ukrainien. Il s'appelle Viktor Ovsiannikov. Il ne veut pas dévoiler sa ligne de défense, mais annonce déjà qu'il a déniché «des erreurs». «Vadim ne nie pas le meurtre, mais en tant que juriste, j’ai certains doutes concernant la qualification de ces crimes.» Dans la salle, notamment, de nombreux journalistes. Venus du monde entier. Et pour cause: ce soldat est le premier visage des crimes de guerre perpétrés par les troupes russes en Ukraine.
Vadim Chichimarine, qui s'était rendu de lui-même aux autorités, a donc plaidé coupable pour tous les chefs d'accusation. Il risque la prison à perpétuité pour crime de guerre et meurtre par préméditation. Pour l'heure, il y a un «mais». Un «mais» qui vient se planter dans la chair de ce qu'on appelle communément la sinueuse chaîne de commandement. Qui a ordonné quoi? A qui? Quand? Car l'accusé et son avocat déclarent qu'il aurait agi sur l'ordre d'un supérieur. Un commandant présent à ses côtés dans cette voiture depuis laquelle il aurait abattu le sexagénaire ukrainien avec son AK-47. «Il était en train de fuir et n'était pas sous l'ordre d'un commandant», insiste de son côté le représentant du parquet.
Au début de l'agression russe, le sous-officier Chichimarine, originaire d’Irkoutsk en Sibérie, mène une petite unité au sein d'une division de chars. Dans la région de Soumy. Le 28 février, en fin de matinée, son convoi est pris d'assaut par l'armée ukrainienne. Accompagné de quatre autres soldats, il vole une voiture pour se rendre au village de Choupakhivka. Sur sa route, il croise un civil de 62 ans, sans arme, qui circule à vélo. Une vitre du véhicule se baisse. Un tir retentit.
Pour rappel, c'est grâce à un autre civil qui a aperçu l'accusé monter à bord que les autorités ont pu officiellement identifier Vadim.
La première session n'aura duré qu'une heure, mercredi. Viendront ensuite l'examen des preuves, les résultats balistiques. Plusieurs témoignages sont attendus, dont celui d'un militaire russe. Pour le compte de l'accusation. «Nous aurons peut-être besoin de deux sessions pour cela.» Ce fameux 28 février, un des soldats de Poutine est décédé durant l'affrontement. Les autres ont tous été arrêtés en même temps que Vadim. Mercredi, l’Ukraine tenait vraisemblablement à démontrer que rien n’est planqué. «Ce qu'a dit l'accusé aujourd'hui, le monde entier a pu l'entendre. Ce procès est un procès ouvert, tous les droits de l'accusé sont respectés», a martelé le représentant du parquet, à l'issue de cette première journée.
La maman de Vadim Chichimarine n'assistera pas au procès. «C'est physiquement impossible pour elle de quitter la Russie pour rejoindre l'Ukraine. Traverser la frontière... non», précise l'avocat, envahit par les médias. Devant le tribunal, c'est la cohue. Les journalistes se pressent aux lèvres du représentant du parquet et de Viktor Ovsiannikov. La tension est palpable.
On raconte que douze mille dossiers sont déjà sur le bureau de la procureure générale Iryna Venediktova. Quarante-deux enquêteurs, réquisitionnés par la Cour Pénale Internationale, prêteront main-forte aux autorités ukrainiennes. La volonté du pays de Zelensky de précipiter la fin de la guerre par l'intermédiaire des tribunaux est claire. Jeudi, deux militaires russes doivent être jugés pour avoir tiré des roquettes sur des bâtiments civils à Kharkiv.
Jeudi également, le procès de Vadim Chichimarine reprendra. A midi. Dans une autre salle. Plus grande. Et autrement plus symbolique. La Cour d'appel de Kiev. «Pour que tous les médias puissent entrer», a annoncé le parquet en fin de journée. Comme une métaphore pour ce procès qui va prendre, heure par heure, davantage de place dans le tribunal, dans cette guerre. Et dans l'Histoire.