A l'âge de 11 ans, la petite Griselda flinguera un gosse de riche à bout portant, après l'avoir habilement kidnappé. Motif? La mère du gamin refusait de payer la rançon.
Enchanté, Griselda.
Douze ans après avoir ramassé deux balles dans la tête d'un type à moto, la baronne incontestée de la blanche colombienne continue de semer la terreur. A ceci près que les petites frappes, les mâles toxiques, les bandes rivales et la brigade des stups' ont été remplacés par les cols blancs du géant Netflix. Sous le soleil californien, la sueur perle même à grosses gouttes puisque, jeudi 25 janvier, la très prometteuse série Griselda est sortie sur la plateforme, mais tous les protagonistes (ou presque) sont en procès.
Et l'affaire est encore loin d'être classée. Netflix, mais aussi l'actrice et productrice qui incarne la «reine de la cocaïne» (Sofia Vergara), ont été traînées en justice par Michael Corleone Blanco, qui n'est autre que le fils et l'héritier de celle que l'on surnommait aussi la «veuve noire». Sur la table des négociations, on trouve pas mal d'egos blessés, de règlements de compte et de biftons. La routine, pour de puissants trafiquants colombiens.
Les cadavres le savent, c'est dangereux d'évoquer la madre d'un caïd de la drogue sans risquer l'expédition punitive. Pourtant, Michael n'a jamais été farouchement opposé à l'idée de voir la vie de sa mère adaptée au cinéma. Le fiston en rêvait même depuis 2009, à la condition que tout transite par sa validation, des négociations à la trame de l'histoire, jusqu'au choix des comédiens. On ne change pas une notable famille de criminels, surtout quand elle a régné deux décennies sur la malfamée Miami, depuis les années septante.
Pourtant, Griselda s'était déjà réincarnée sous les traits de Catherine Zeta-Jones (et sans grands accrocs), dans Cocaine Godmother en 2017. Avec Netflix, qui n'en fait souvent qu'à sa tête, ça coince. Si bien qu'en septembre dernier, au premier coup de pistolet promotionnel, les héritiers ont commencé à geindre en public.
Derrière cette froide communication d'avocats se cache en réalité une ardente rancoeur. Depuis la mort de maman, le fils enchaîne les interviews, les récits, les confessions et les anecdotes pour (dit-il) «perpétuer» son héritage. La bonne affaire. Son compte Instagram est littéralement dédié à Griselda et une biographie s'apprête à sortir, sobrement intitulée My Mother, The Godmother and the true story, que Michael Corleone (baptisé ainsi en hommage au Parrain) a mis «douze ans à terminer».
Quand il comprendra que le scénario de la série Netflix repose sur d'autres témoignages que les (nombreux) siens, il va méchamment déchanter.
Chez Netflix, on rase les murs. L'actrice Sofia Vergara, elle, s'en tient à l'hommage qu'elle veut rendre à une «femme forte et malmenée», qui a tué (ou fait assassiner) ses trois maris et «voulait protéger et prendre soin de sa famille». Détail qui a son importance, la star de The Modern Family, également colombienne, a perdu un frère dans la lutte sanglante contre les cartels colombiens.
Elle fut surtout la baronne la plus redoutée et redoutable de Miami, supervisant la livraison et le trafic de près de deux tonnse de cocaïne vers les États-Unis, chaque mois. Un boulot que l'on n'assume pas à 60%, en télé-travail depuis la moquette douillette de son salon. A la fin des années huitante, Griselda Blanco était l'une des femmes les plus riches du monde. Ces adversaires l'ont toujours considérée comme une interlocutrice charmeuse, manipulatrice et intraitable.
Une mainmise totale qui faisait évidemment des jaloux, au point que ses rivaux les plus crédibles lui proposaient régulièrement de raccrocher, moyennant des dizaines de millions de dollars pour nourrir une retraite anticipée. Son refus s'exprimait bien souvent par le sang, éliminant un à un les gêneurs. Aussi parce que le statut de bonne femme, dans l'environnement phallique et poilu de la drogue, ne permettait pas tant de négocier le flingue déchargé.
De plus en plus violente et cruelle, Griselda a par exemple profité d'une vague d'immigration en provenance de Cuba, pour garnir ses rangs et monter une succursale de redoutables tueurs à gages, les Pistoleros. Quand elle manquait de stock, elle chargeait des centaines de femmes colombiennes de passer la frontière américaine, le soutien-gorge et la culotte bourrés de coke.
La paranoïa meurtrière au ceinturon, elle a bourlingué sous cape et une brouette d'identités. La plupart des gens qui l'ont croisée jurent qu'elle a vécu «beaucoup plus longtemps que prévu». Un «caméléon qui pouvait changer d'apparence à volonté», selon Bob Palombo, l'agent de la DEA qui a dépensé onze longues années de sa vie à poursuivre la marraine de la cocaïne. D'un jour à l'autre, on pouvait la confondre avec une douce mère au foyer, une Betty Boop en vacances, une ouvrière qui rentre du boulot.
Insaisissable et omniprésente. Avec un instinct de survie réglé au maximum et une vigilance agile, qui allait finir par la trahir le 3 septembre 2012, à l'âge de 69 ans, dans une boucherie de Medellín, en Colombie. Une moto, deux balles à la hauteur du front. Là où elle a été élevée dans le crime et l'insalubrité, entre les passes d'une maman brutale et alcoolique et le courage branlant d'un père qui s'est tiré à sa naissance.
L'agent Bob Palombo a pu recommencer à dormir dès le 20 février 1985. Griselda ayant déménagé de Floride à Los Angeles, quelques mois plus tôt, elle cumulera une série d'erreurs d'inattention qui permettront à la DEA de la pincer chez elle, au petit matin. Libérée et expulsée du territoire américain en 2004, elle rapatriera ses trois premiers fils avec elle. Mauvaise idée: ils seront flingués à leur descente d'avion.
Le pouvoir et l'argent auront permis à Griselda Blanco de venger son enfance et protéger ses quatre enfants. Avant de la catapulter dans un déferlement de violences qui la perdra. Bien que les autorités lui attribuent 200 assassinats, elle échappera à la chaise électrique pour une histoire de vice de procédure qui ne s'invente pas: le témoin principal couchera avec l'une des secrétaires du Palais de justice.
«Le seul homme dont j'avais peur était une femme. Elle s'appelait Blanco», aurait déclaré un certain Pablo Escobar. Griselda, elle, savait qu'elle n'aurait jamais à s'incliner devant le parrain à qui elle a tout appris (ou presque).
«Griselda,» une série disponible sur Netflix depuis le 25 janvier