Depuis près d'une semaine, les Syriens observent des missiles iraniens survolant leur territoire, parfois interceptés par Israël, spectateurs cette fois-ci d'une guerre que leur gouvernement s'est gardé de condamner et dont ils veulent rester à l'écart. «Depuis mon balcon, je vois la nuit les missiles filer vers Israël, les tirs de riposte, les explosions dans le ciel», déclare Mohammad Khair al-Jiroudi.
Depuis un café de Damas, le regard rivé sur son téléphone où défilent les alertes, ce chirurgien ajoute:
Après une guerre civile de près de 14 ans où la Syrie a été le théâtre d’affrontements de parties étrangères dont l’Iran qui soutenait Bachar al-Assad, une large partie de la population syrienne semble, à l’unisson avec les nouvelles autorités islamistes, adopter une posture d’observation. Selon Jiroudi, «en tant que Syriens, nous sommes contre la guerre. On ne veut plus de missiles dans notre ciel (..) Ce qu’on veut maintenant, c’est reconstruire notre pays».
Depuis la nuit du 12 au 13 juin, Israël mène une attaque sans précédent contre l’Iran, affirmant vouloir empêcher la République islamique d’acquérir l’arme nucléaire. Téhéran, de son côté, défend son droit à un programme civil. Les échanges de tirs spectaculaires entre les deux puissances, en dépit du millier de kilomètres qui les sépare, alimentent la crainte d’un embrasement régional.
Des missiles iraniens ont été repérés au-dessus de l’Irak, du Liban et de la Syrie, en route vers Israël. Certains sont interceptés, d’autres atteignent leurs cibles.
«En tant que Syrien, j’ai de la compassion pour le peuple iranien, et bien sûr pour le peuple palestinien, c'est notre cause depuis toujours», déclare depuis le célèbre café Rawda à Damas l’acteur syrien Ahmad Malas, 42 ans, aux côtés de sa femme.
L’Iran a joué un rôle central dans le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad, réprimant dès 2011 les manifestations pacifiques à l’aide de milices alliées, notamment le Hezbollah libanais.
Après la chute d’Assad le 8 décembre dernier, l’ambassade d’Iran à Damas a été saccagée et des milliers d'Iraniens ont fui la Syrie. Sur les murs du bâtiment gardé par les forces de sécurité syriennes, on lit toujours, tagué à la bombe bleue : «Maudit soit l’Iran» ou encore, en anglais, «Free Iran».
Le président intérimaire Ahmad al-Chareh a plusieurs fois critiqué le rôle de Téhéran dans la guerre syrienne, affirmant que toute reprise des relations devrait reposer sur le respect de la souveraineté syrienne et la fin des ingérences.
Alors que de nombreuses capitales arabes ont dénoncé les frappes israéliennes contre l’Iran, le nouveau pouvoir syrien, lui-même visé par des frappes israéliennes depuis des mois, est resté silencieux, malgré les nouvelles violations de son espace aérien. Le ministère syrien des Affaires étrangères n'a pas répondu aux sollicitations à ce sujet.
Depuis le début de l’escalade, des débris de missiles ou de drones ont provoqué la mort d’une civile et fait plusieurs blessés, notamment dans le sud du pays, proche de la frontière israélienne.
«Damas applique une politique de neutralité», explique Bassam al-Suleiman, analyste politique proche du pouvoir. Selon lui, ce silence reflète la volonté de «s’éloigner totalement de la guerre et même de toute mention à son sujet. La Syrie n’a aucun intérêt à s’impliquer».
A l'heure où le pouvoir tente de relancer une économie exsangue et de reconstruire un pays dévasté, il abonde:
Mardi soir encore, sur le toit d’un immeuble dominant la capitale, dans une boîte de nuit rythmée par une musique électro assourdissante, Sarah, 27 ans, regardait les éclairs des missiles percer le ciel. «On essaie d’oublier la guerre en sortant entre amis», confie la jeune médecin.