Il a gagné. Même Greta Thunberg, en guerre contre les mines de charbon en Allemagne, amène de l’eau à son moulin nucléaire. Dans un prochain classement, le magazine américain Time placera peut-être le Français Jean-Marc Jancovici dans le top 100 des personnes les plus influentes du monde. Une tête à faire les 400 coups, l’ingénieur en a dans la tronche. Polytechnicien (venant tout de suite après Dieu), «Janco» est un super-vulgarisateur de l’atome, fort en formules et en bons mots. Embobiné, c’est pesé, pestent ses détracteurs, qui s’avoueraient presque vaincus.
Habile DJ des platines climatiques, il mixe deux peurs: celle des énergies fossiles, qu’il vomit, et celle du manque, provoqué par l'inéluctable décroissance. Il assure qu’elle peut être contenue par le maintien et le développement du nucléaire civil, associé aux renouvelables, qu'ils voient comme des sources d'appoint.
Janco, l’écolo de l’atome, est-il un homme comblé? Il est en tout cas à la fête. Sa BD sur ce vaste et terrible sujet qu'est le devenir de la Terre, «Le Monde sans fin» (Christophe Blain aux dessins), parue en octobre 2021 chez Dargaud, fait déborder la baignoire à bulles de l’édition. En France, elle s’est écoulée à 514 000 exemplaires en 2022, meilleure vente tous ouvrages confondus. Elle n’a pas fait aussi bien en Suisse: sixième l’année dernière (tout en haut Joël Dicker avec «L’Affaire Alaska Sanders»), mais première devant «Blake et Mortimer» dans la catégorie BD, du moins chez Payot. L’année 2023 démarre sur les mêmes bases élevées, confirme le libraire romand, qui salue l’exploit pour un produit proposé depuis plus d’un an.
Après le succès d’édition, l’heure de la consécration parlementaire. Le Sénat (la Chambre haute) examine cette semaine le projet de loi devant accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France. Le gouvernement table sur quatorze EPR d’ici 2050. L’EPR est cette technologie pour l’heure encore à l’état de prototype chez nos voisins, à Flamanville, dans le département de la Manche (lancé en 2007, le chantier devant durer cinq ans et coûter trois milliards d’euros; la mise en service ne devrait pas avoir lieu avant 2024 et le budget dépassera les 13 milliards).
Refroidie par la guerre en Ukraine, échaudée par la hausse des prix du gaz et de l’électricité mettant en péril des secteurs économiques et grevant le portemonnaie des ménages, la France ne se pose plus de questions sur le bienfondé de l’énergie nucléaire, elle fonce. Fukushima? Connaît pas, connaît plus. Le nom de la ville japonaise détruite par un tsunami en 2011, dont le sort de la centrale nucléaire, entrée en surchauffe suite à la catastrophe naturelle, avait tenu en haleine le monde entier, est devenu tabou.
Fukushima avait été pour beaucoup dans la décision prise sous le mandat présidentiel de François Hollande de démanteler une partie du parc nucléaire français. La fermeture de la centrale de Fessenheim s’inscrivait dans cette émotion, devenue conviction.
Tout cela paraît, aujourd’hui, comme effacé des mémoires. Il est à présent question non seulement d’ériger de nouvelles centrales, mais de prolonger jusqu’à 60 ans l’âge d’exploitation des installations existantes, 20 au-delà de la limite jusque-là convenue.
Jancovici, en phase avec la conjoncture des craintes, n’est pas pour rien dans ce complet retournement. Combien de morts causés par le nucléaire à Fukushima? Zéro, répète-t-il. En 1986 à Tchernobyl? Quarante-trois, ose-t-il, citant un rapport du Comité scientifique de l'ONU – un article du quotidien Le Monde datant de 2006 évaluait le nombre de victimes indirectes (la plupart par cancer) entre 4000 et 15 000. Il ne nie pas les dangers du nucléaire, il les relativise, parlant «des milliers de morts» que font les barrages lorsqu’ils cèdent, des «quatre millions de décès» imputés annuellement dans le monde à l’«obésité», etc.
Nucléaire : « Il y a des sujets qu'on met en exergue en disant que c'est monstrueusement dangereux et puis d'autres anodins comme si donner un Kinder Bueno à son gamin était anodin.» @JMJancovici
— C Politique (@CPolF5) September 11, 2022
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Comme en Allemagne et comme en Suisse, les écologistes en France sont historiquement anti-nucléaires. Le soudain retour en grâce de cette énergie produisant des déchets radioactifs jugés à moyen terme moins dangereux pour la planète que les émanations fossiles des centrales à charbon, les prend de court. Interrogée par la radio France Inter, Marine Tondelier, la nouvelle présidente des Verts, affirme que Jean-Marc Jancovici «ment beaucoup», ajoutant que:
L’ingénieur Jean-Marc Jancovici "ment beaucoup", clame Marine Tondelier, d’EELV, à propos du nucléaire. "Il y a beaucoup d’articles qui ont été fait sur la base de sa BD qui déconstruisent argument par arguement ce qu’il raconte". pic.twitter.com/o6WeXhSc26
— France Inter (@franceinter) January 8, 2023
On ne les mettra sans doute pas d’accord. Les antinucléaires reconnaissent au moins une vertu à Jancovici: son aversion pour les énergies fossiles. Quant à Jancovici lui-même, prenant congé du pétrole, du charbon et du gaz qui nous ont été bien utiles pour arriver au stade de développement qui est le nôtre, rend-il hommage, il estime que la paix civile, reposant pour beaucoup sur le niveau de développement atteint, ne résisterait pas, en l’état actuel des connaissances, à l’abandon du nucléaire, énergie disponible «en continu».