Une déconfiture. Une baffe. Un camouflet. Bref, une totale humiliation. Depuis dimanche soir, les mots ne sont pas tendres pour qualifier la déconvenue d'Anne Hidalgo au premier tour de l'élection présidentielle. Il faut dire que les chiffres font mal, très mal:
France, Presidential election (first round):
— Europe Elects (@EuropeElects) April 11, 2022
As 99% of the vote is counted, Anne Hidalgo has received 1.7% of the vote. This is the lowest result a presidential candidate for the centre-left Socialist Party (PS-S&D) has ever received in the first round. #presidentielles2022 pic.twitter.com/R30I4CLopm
Bref, en un mot: le score le plus misérable de l'histoire du PS à une élection présidentielle. «Une défaite historique», a concédé le porte-parole national du Parti socialiste, Pierre Jouvet, au Point.
Ce résultat, quoique déprimant, n'est pas si surprenant. La campagne de la socialiste n'a jamais décollé. Malgré un optimisme et une assurance affichées comme un sourire (forcé?) manquant de naturel, Hidalgo a ramé. Ente 2 et 6% d'intentions de vote depuis le début de sa campagne, pour être précis. Des sondages de (très) mauvais augure contre lesquels elle n'a eu de cesser de pester.
Ces prises de température dans l'opinion publique sont pourtant révélatrices. Auprès des socialistes, la candidature d'Anne Hidalgo à la présidentielle a échoué à convaincre. C'est du moins ce qu'affirmait un sondage effectué en octobre 2021 pour La Dépêche: «Pour les trois quarts des Français, Anne Hidalgo est une mauvaise candidate pour le PS. C’est aussi le sentiment d’un sympathisant de gauche sur deux (49% contre 50 %)».
«C'est assez inédit pour un candidat du PS de démarrer une campagne aussi bas, confirme Gaël Sliman, président de l’entreprise de sondage Odoxa, auprès de Ouest-France. Ce n’est pas par manque de notoriété/visibilité, c’est bien parce que les Français qui la détestent sont presque trois fois plus nombreux que ceux qui l’aiment.»
La candidate hérisse le poil de bien des Français. Et c'est quasiment personnel: fait rare pour une personnalité politique, ils ne lui prêtent majoritairement que des défauts et aucune qualité.
Dans un sondage pour La Dépêche, ils ne la jugent ni compétente (69%), ni proche des gens (71%) et ne la voient pas comme une femme d’Etat (69%). Les trois-quarts des Français (74%) disent qu’elle ne leur inspire pas confiance et qu’elle n’est pas sincère. Et ils sont plus d'un sur deux à ne la juger ni dynamique, ni sympathique.
«Sectaire, rigide, démagogue, mauvaise gestionnaire: aux yeux d’une partie des électeurs, la maire de Paris constitue une catastrophe vivante», achevait pour sa part Le Monde en 2020. Aïe, ça pique.
Au milieu de ces avis implacables, une chose est sûre: Anne Hidalgo «polarise», affirme Adélaïde Zulfikarpasic, interrogée par Europe1.
Souffrant d'une image de candidate très parisienne, bobo, et loin des préoccupations du peuple, elle demeure finalement assez peu connue des Français. «Certes, elle est maire de la plus grande ville de France, mais elle n’est pas une personnalité de premier plan de la vie quotidienne française. Elle n’a jamais été ministre», rappelle le politologue Rémi Lefebvre à Ouest-France.
par contre c’est une dinguerie d’être parti voter anne hidalgo de son plein gré
— $$$ (@ashtnknw) April 10, 2022
Ce désamour est d'autant plus flagrant que, d'ordinaire, en France, les maires jouissent d'une bonne réputation - plus volontiers associés à l'image d'un élu local actif, dévoué, proche des gens et de leurs préoccupations. On est à des kilomètres du sentiment des Parisiens vis-à-vis de leur édile. En 2020, seuls 40% d'entre eux sont satisfaits de son bilan, «soit 30 points en dessous de la satisfaction que l'on mesure globalement chez les Français à l'égard de leur maire», estime alors Europe1.
Pourtant, Anne Hidalgo n’a pas toujours suscité un courroux aussi virulent. Au contraire, au début de son mandat, en 2014, elle raflait même une majorité d’avis favorables. Mais cette bonne réputation s'est délitée à mesure de ses décisions impopulaires sur des sujets hautement clivants: piétonisation des voies sur berges, trottinettes, propreté, sécurité, lutte contre la place de la voiture… Sans compter un endettement explosif, des projets faramineux et dispendieux et un climat social délétère, analyse L'Express.
Par contre Jean Lassalle qui fait plus qu’Anne Hidalgo mdrr fallait pas enlever les voitures dans Paris madame #presidentielles2022
— Dieu (@_dieuoff) April 10, 2022
Sur le plan politique, le tableau ne se révèle guère plus reluisant: réélue en 2020, portée par une plateforme associant socialistes, communistes, élus de Générations, et personnalités de la société civile, la maire finit deux ans plus tard par être lâchée par une partie de ses soutiens. Une posture quelque peu fragile pour faire face aux attaques de l'opposition.
Avec les années, les critiques ont carrément pris un tour passionnel, si ce n'est personnel. Au point qu'un terme ait été inventé pour désigner ce phénomène: le «Hidalgo bashing».
Etonnamment, les avis les plus critiques ne se font pas entendre chez ses opposants politiques. Les médias et plusieurs figures du spectacle ne cachent pas non plus leur agacement. Au rang des ennemis proclamés de la maire de Paris, citons des visages bien connus, comme le comédien Fabrice Luchini (qui a scandé que «Paris n'est absolument plus habitable»), le chanteur Patrick Sébastien, qui affirme haut et fort «ne pas la supporter») ou encore Alain Souchon (qui veut quitter la capitale, devenue, selon lui, «sale et violente»).
Pour l'ensemble de son oeuvre à #Paris, Anne #Hidalgo méritait bien la Une du @Le_Figaro magazine, non ? pic.twitter.com/jMx9AN1sBb
— J-Christophe Buisson (@jchribuisson) August 25, 2017
En outre, on ne compte plus les unes de magazines ou les ouvrages, très à charge, qui lui ont été consacrés. Emmanuel Grégoire, son adjoint à la mairie de Paris, a confirmé à Franceinfo: «Cette politique anti-bagnole a clairement créé un stress chez les faiseurs d'opinion. Il n'y a pas un éditorialiste qui ne nous ait pas cassé la tête avec ça, car il avait vécu cela dans sa chair».
Une campagne virale a achevé d'enfoncer le clou. Le 1er avril 2021, le hashtag #SaccageParis fait son irruption sur Twitter. Sous cette bannière, des milliers de messages agacés déferlent.
On dénonce à grands cris la saleté et l’enlaidissement de la capitale, à grand renfort de photos de poubelles éventrées, de chaussées défoncées, de chantiers délaissées ou de mobilier urbain abîmé. Quand ce n'est pas, carrément, de rats qui se promènent dans les rues...
Les rats sur les Grands Boulevards #saccageparis pic.twitter.com/5iHr1LEi0q
— Joanna Crettenand (@JCrettenand) March 25, 2022
Interrogé par Le Parisien, l’ex-propriétaire du Stade Français Max Guazzini affirme alors: «Ils ont raison de dire que la capitale est dégueulasse, mal gérée, congestionnée. La mairie a tout fait pour le diaboliser, mais c’est un mouvement salutaire. Il a l’immense mérite de libérer la colère d’amoureux de Paris comme moi, qui n’en peuvent plus de la voir se dégrader.»
Bien plus qu’un buzz éphémère, cette tendance a pesé lourdement sur l'image de la socialiste, qui n'a pas su imposer ses idées pour l'élection présidentielle. Dans une campagne dominée par une succession de crises (Covid, Ukraine...), Anne Hidalgo est restée inaudible, sans parvenir à susciter de l’intérêt pour ses propositions sur l’éducation, la santé ou les inégalités.
Ce n'est pas tout. La détermination de la maire de Paris ne peut occulter une certaine improvisation, voire impréparation. Son équipe a mis trop de temps à trouver son rythme de croisière.
Et c'est sans compter, finalement, l'état dans lequel se trouve le Parti socialiste français, en constante perte de vitesse depuis plusieurs élections.
Avant-même le flop de l'élection, Frédéric Sawicki, professeur de sciences politiques à l’Université Paris-I analysait déjà: «Anne Hidalgo pâtit incontestablement de la mauvaise image, voire du discrédit, qui pèse encore sur le PS qui ne s’est pas encore remis de sa débâcle de 2017» à Ouest-France.
D'autant que la campagne a été mal engagée. Bien qu'investie officiellement en octobre 2021 pour se lancer ensemble dans la course, Anne Hildago ne suscitait pas non plus l'engouement au sein de son propre parti. «On a l’impression que, dans les rangs du PS, c’est un peu une candidature faute de mieux», souligne Frédéric Sawicki.
Il faut désormais assumer. Déjà surnommée «la fossoyeuse du Parti socialiste», Anne Hidalgo va devoir prendre la mesure de son échec - en même temps que celui de tout un parti. Car il est certain que le 10 avril 2022, la candidate malheureuse a (aussi) fait les frais d'un PS essoufflé et empoussiéré.
Pour le président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner, interrogé par le Point, le constat est clair: «Nous avons échoué et cet échec nous oblige à un travail de fond et à une stratégie d'alliance.»
Il tient, toutefois, à rester optimiste: «Mais ce n'est pas la fin du PS, même s'il faut rebâtir la maison socialiste de la cave au plafond».