C'est le télescope spatial le plus puissant jamais construit. James Webb a décollé ce 25 décembre et après plus de 30 ans d'attente, il est en orbite. Bijou d'ingénierie, le télescope de la Nasa explorera l'Univers en remontant dans le temps environ 13 milliards d'années. Tour d'horizon en six questions pour comprendre en quoi cet objet pourrait nous en apprendre énormément sur l'origine de l'univers.
La tension est palpable alors que la Nasa démarre sa vidéo en direct sur le lancement. La première surprise est d'entendre le compte à rebours en français, un rappel que ce projet est une collaboration internationale et que le tir a lieu depuis la base de Kourou, en Guyane française.
Au zéro, les réacteurs de la fusée Ariane 5 crachent leurs flammes et l'air se bloque dans les poumons du centre de contrôle. Peu après le décollage, une voix résonne:
La tension est palpable, à ce moment, dans la salle de contrôle. Les gens sont concentrés... Deux autres phrases résonnent, quelques minutes plus tard: «la trajectoire est nominale», «le pilotage est calme». Si l'on ne saisit pas tout à fait le sens de la première, la seconde est explicite. Un bon signe alors que la fusée va commencer une phase critique.
L'objectif est maintenant de placer le télescope sur orbite. Arrive après d'interminables minutes la phase critique: la séparation de James Webb de sa fusée. Tout le monde retient son souffle lors de cette ultime étape, quand, soudain, la voix de Jean-Luc Voyer résonne, cette fois en anglais:
Soulagement, explosion d'applaudissements et d'émotions. James Webb est sur orbite. Le télescope mettra environ un mois pour rejoindre sa position finale à 1,5 million de km de la Terre. Lisez la suite pour savoir en quoi c'est une bonne nouvelle pour l'humanité et notre connaissance de l'univers.
Sa pièce maîtresse est son immense miroir principal, mesurant 6,6 mètres de diamètre et formé de 18 miroirs plus petits, de forme hexagonale. Ils sont faits de béryllium et recouverts d'or pour mieux réfléchir la lumière captée des confins de l'Univers.
L'observatoire comporte également quatre instruments scientifiques. Des imageurs permettant de faire des photos du cosmos, et des spectromètres, qui décomposent la lumière pour étudier les propriétés chimiques et physiques des objets observés.
Le miroir et les instruments sont protégés par un énorme pare-soleil, composé de cinq couches superposées. Grandes comme un terrain de tennis, elles sont aussi fines qu'un cheveu, et faites de kapton, un matériau choisi pour sa résistance à des températures extrêmes: une face sera à plus de 110°C et l'autre à -235°C.
Également à bord: un module de service contenant le système de propulsion, de communication... Au total, l'observatoire pèse l'équivalent d'un bus scolaire.
Le télescope James Webb sera placé en orbite à 1,5 million de kilomètres de la Terre, soit quatre fois la distance de notre planète avec la Lune.
Contrairement au télescope Hubble qui tourne autour de la Terre, James Webb sera lui en orbite autour du Soleil. Il évoluera en constant alignement avec le Soleil et la Terre, «derrière» celle-ci. Son miroir fera constamment dos à notre étoile.
Il mettra environ un mois à atteindre cette position, appelée point de Lagrange L2. A cette distance, aucune mission habitée de réparation ne peut être envisagée, comme cela avait été le cas pour Hubble.
Le télescope étant trop grand pour entrer dans une fusée, il a été plié sur lui-même. Une contrainte technique qui engendre la partie la plus compliquée de la mission: son déploiement dans l'espace, le plus périlleux jamais tenté par la Nasa.
Environ 30 minutes après le décollage, l'antenne de communication et les panneaux solaires l'alimentant en énergie seront déployés.
Puis le déploiement du pare-soleil, jusqu'ici plié comme un accordéon, commencera au sixième jour, bien après avoir dépassé la Lune. Ses fines membranes seront guidées par un mécanisme complexe impliquant 400 poulies et 400 mètres de câble.
Durant la deuxième semaine, viendra enfin le tour du miroir.
Une fois dans sa configuration finale, les instruments devront refroidir et être calibrés, et les miroirs très précisément ajustés. Au bout de six mois, le télescope sera prêt.
James Webb a deux grandes missions scientifiques représentant plus de 50% du temps d'observation.
Dans ces deux tweets, ces astrophysiciens illustrent la différence entre le télescope Hubble (actif depuis 1990) et le petit nouveau: Webb 👇.
En pointant une région du ciel plus petite que le chas d'une aiguille tenue à bout de bras, le télescope Hubble a vu ~10000 galaxies, certaines à plus de 13 milliards d'années-lumière. L'image de gauche est ainsi devenue iconique. Voici ce que pourrait voir le JWST! 🤩🤩 https://t.co/nCUDqcoXXZ
— Eric Lagadec (@EricLagadec) December 26, 2021
La grande nouveauté de James Webb est qu'il opérera uniquement dans l'infrarouge proche et moyen. Il pourra ainsi voir à travers des nuages de poussière impénétrables pour Hubble, qui a une petite capacité infrarouge mais opère surtout dans la lumière visible et les ultraviolets.
Sont aussi prévues des observations plus proches, dans notre système solaire, de Mars ou encore Europe, une lune de Jupiter.
Le projet a été lancé dans les années 1990, et sa construction a commencé en 2004. Son décollage a maintes fois été repoussé, initialement en 2007, puis 2018... Notamment à cause de la complexité de son développement.
L'observatoire est issu d'une immense collaboration internationale, et intègre des instruments canadiens et européens. Plus de 10 000 personnes ont travaillé sur le projet, dont le budget a explosé, pour un coût avoisinant finalement quelque 10 milliards de dollars.
Il opérera durant au moins 5 ans, et potentiellement jusqu'à plus de 10 ans.
Le télescope tire son nom de l'ancien patron de la Nasa: James Webb. Cet homme fut le deuxième administrateur de la prestigieuse agence américaine. Nommé en 1961 par le président Johnson, il l'a dirigée jusqu’en 1968. Il a joué un rôle de premier plan dans la réussite du programme Apollo.
Il a toutefois été accusé, au printemps dernier, d'avoir participé à des persécutions homophobes menées par le gouvernement américain au tournant des années 1950. Plus d'un millier d'astronomes ont alors demandé à la Nasa de renommer le télescope. Mais l'agence spatiale américaine, après avoir mené une enquête, a estimé qu'il n'existait aucune preuve incriminant l'ex-administrateur de la Nasa. (jah/ats)