Florie, 23 ans, a découvert Eric Zemmour «le samedi soir», lorsque le candidat de Reconquête tenait le rôle de chroniqueur dans l’émission «On n’est pas couché» de Laurent Ruquier. A l’époque, elle entrait dans l’adolescence. Puis elle a lu ses livres. «Il avait une certaine vision de la France que j’appréciais. J'avais déjà un fort intérêt pour l'histoire. La façon dont il la racontait, qui différait de mes cours à l'école, m'a conquise.»
Florie est la responsable pour la Haute-Savoie et la Savoie des Jeunes avec Zemmour, la branche jeunesse du parti fondé par l’ancien journaliste du Figaro, à présent candidat à l’élection présidentielle. Nous la rencontrons à La Roche-sur-Foron, une commune de 11 000 habitants située sur la ligne du Léman Express, entre Genève et Annecy. Adrian et Charbel, 23 et 25 ans, l’accompagnent. Comme elle, ils militent au sein des Jeunes avec Zemmour.
C’est une chance, le Café de la Poste est ouvert ce lundi soir 27 décembre. Ambiance animée d’apéro qui s’étire. Nous nous asseyons à l'écart, collés à la vitrine, réchauffés par un radiateur au maximum de sa puissance. Commande des consommations et contrôle des passes sanitaires. Dans même pas deux heures, le premier ministre Jean Castex annoncera un durcissement des mesures anti-Covid.
Dehors, sous une lumière violette, des jeunes patinent à l’abri d’un vieux marché couvert cerné par la pluie. Jeudi, Florie y fera son premier tractage au bénéfice du candidat d’extrême-droite. Appréhende-t-elle ce rendez-vous avec la rue ? «Non», dit-elle, comme investie d’une mission supérieure.
On parlait de l'histoire contée par Zemmour. «Il donne l’amour de la France, de la belle France. C’est agréable d’avoir quelqu’un qui aime la France, sa terre d’accueil», poursuit Charbel, d’origine libanaise, algérienne pour Eric Zemmour, du temps où l’Algérie ne formait pas encore un Etat proprement dit. Le jeune homme aimait ces morceaux d’histoire de France distillés dans «Face à l’info», sur CNews, en présence, alors, de l’essayiste et polémiste: «Il allait au fond des sujets, sans chercher à polariser.»
«Là où Mélenchon (réd: le candidat de la France insoumise, gauche radicale) veut faire table rase du passé, Zemmour a une vision réconciliatrice de l’histoire. Il n’est ni dans le rejet de la monarchie, ni dans le rejet de la République. Il les réunit», se félicite Adrian. C’est bien pourquoi, selon Florie, lui et son parti ne peuvent être qualifiés d’extrême-droite:
Chez ces trois jeunes perce une envie de faire bloc, pointe un goût pour l’absolu, comme en réponse et à l'inverse des démarches «déconstructionnistes», en vogue dans une partie de la gauche.
«C’est l’entendre parler qui m’a fait franchir le pas», raconte Florie. En juin, avec Adrian, qu’elle connaissait, elle a adhéré à Génération Z, l’autre nom des Jeunes avec Zemmour. «Il y avait beaucoup de Français derrière lui. On attendait qu’il se présente», ajoute-t-elle.
«On a là un candidat poussé par le peuple», renchérit Charbel, lequel a rejoint le mouvement cet automne et dépensé ses «économies d’un mois» pour aller écouter le chef de Reconquête lors de son premier grand meeting de campagne, le 5 décembre à Villepinte, en banlieue parisienne. Adrian et Florie l’auront vu dix jours plus tôt à Genève en assistant au dîner-débat organisé en son honneur et sous la menace d'antifas à l’hôtel Hilton de l’aéroport.
Les profils respectifs des trois jeunes zemmouristes hauts-savoyards ne collent, ni n’échappent totalement aux stéréotypes de l’engagement identitaire qui est le leur. Et qui, à les en croire, n'est pas spécialement motivé par des démêlés personnels avec de jeunes Français d'origine maghrébine ou subsaharienne.
Charbel, style vestimentaire mainstream politiquement inclassable, est issu d’un «milieu modeste». Lui, sa sœur et son frère ont été élevés «dans les valeurs de la foi chrétienne» par leur mère, cogérante d'une crèche. Pour ses études de commerce, dont trois ans passés à l’Université de Lausanne, il a contracté un prêt étudiant, qu’il a remboursé, seul. Il est aujourd’hui consultant en stratégie dans une entreprise.
Sur un plan idéologique, sa famille est plutôt à droite, «la droite Sarko», précise-t-il, renvoyant ici à l’ancien président français Nicolas Sarkozy, en poste de 2007 à 2012.
Un air d’Eugénie Bastié, la journaliste du Figaro aux positions conservatrices, souvent présente sur les plateaux-télés, Florie, voix douce, bout de ferveur sous son manteau bleu-marine. Issue d’un «milieu aisé», père cadre, mère au foyer, cette enfant unique, qui travaille actuellement chez un créateur de parfums, a voté Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017, après qu'elle eut donné sa voix à François Fillon, le candidat de la droite, au premier. Elle avait 18 ans, c’était son initiation à la vie politique.
Catholiques, ses parents ne l’ont pas baptisée à sa naissance, préférant lui laisser le choix pour plus tard. Elle souhaite désormais se faire baptiser, bien que la foi ne soit pas encore tout à fait là. «Ne la cherche-t-on pas au cours de sa vie?», fait-elle observer. En janvier, elle intégrera l’ISSEP, l’Institut de sciences sociales, économiques et politiques, une école créée par Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen, réputée plus proche d’Eric Zemmour que de sa tante.
Salarié dans un hypermarché, Adrian, cette année, s’est converti au christianisme orthodoxe – en témoigne sa petite croix portée autour du cou. Des trois, il est sans doute le plus original. Venant d’une famille athée, de gauche, ayant pâti d'un père absent, il a cheminé vers la foi. Tant qu’à faire, il est allé directement «aux origines», comme il dit.
Des orthodoxes, il porte les habits noirs, le collier de barbe et cultive un mysticisme teinté de catastrophisme. «Si Zemmour est élu, on évitera l’iceberg, mais on ne coupera pas au pire», prédit-il en pensant au mal que constitue, entre autres, selon lui, le consumérisme, qu’il oppose à la spiritualité.
Il n’est pas loin de considérer que sa vie d’avant, «à gauche», était celle d’un vaurien. Il vit en ce moment en colocation à Lyon. Sa conversion et son adhésion aux idées d’Eric Zemmour ont produit leur effet auprès de ses colocataires, parmi eux des «mélenchonistes et un musulman d’origine marocaine avec lequel je m’entends bien», confie-t-il. «Comme ils se veulent tolérants, ils me tolèrent, je suis leur facho», ironise-t-il.
Adrian pense avoir ramené son frère, qui «crachait par terre et parlait mal», dans le droit chemin. En tout cas a-t-il fait de lui, à sa suite, un disciple du parti Reconquête. «Il y a chez Zemmour un christianisme politique, idéologique», se félicite-t-il, n’ignorant pas la judéité de ce dernier. Juif de pratique, mais chrétien d’idées, en somme. Adrian dit par ailleurs connaître des jeunes s'engageant de façon concomitante en christianisme et aux côtés d'Eric Zemmour.
On ne peut s’empêcher de dresser un parallèle entre l’investissement chrétien, observable à des degrés divers dans les propos de Florie et d’Adrian, et le réveil islamique chez des Français musulmans descendant de l’immigration maghrébine et subsaharienne. Ce phénomène-ci, antérieur dans le temps, n’est probablement pas étranger à la poussée de foi, réelle ou idéalisée, chez des néo-chrétiens de «souche européenne».
Pour Florie, «Eric Zemmour met le destin de la France au cœur de la campagne présidentielle». C’est comme s’il en allait de la vie ou de la mort de la France dans cette élection. On en vient immanquablement à l’«immigration», ou à son synonyme ici, les «musulmans». Charbel a entendu parler de l’affaire de la piscine de Porrentruy, qui avait défrayé la chronique à l’été 2020. La ville jurassienne avait interdit de bassin à des frontaliers de France voisine suite à des incivilités. «Vos autorités, contrairement aux nôtres, n’ont pas tu les origines des fauteurs de troubles», croit-il se souvenir.
Le jeune homme de 25 ans a également vécu à Paris pour ses études de commerce:
Ce discours, où plus rien ne semble négociable, compte visiblement pour beaucoup dans le vote «Zemmour». S’il devait ne pas obtenir ses cinq cents signatures de maires, nécessaires pour pouvoir concourir à la présidentielle, ce serait «un chaos démocratique», estime Florie. «Mais je reste confiante, je suis persuadée qu'il gagnera cette élection», dit-elle de son favori.
(Nos trois interlocuteurs n'ont pas souhaité être photographiés.)