L'armée russe ne cible pas que des sites militaires ou civils en Ukraine. Elle s'attaque aussi aux réserves de céréales, dont le pays est l'un des principaux exportateurs au monde. Mercredi 22 juin, deux sites de stockage de grains ont été bombardés dans la ville portuaire de Mykolaïv. Un silo dans l'oblast de Louhansk (Est) a aussi été frappé.
Sachant que l'Ukraine stocke actuellement près de 30 millions de tonnes de blé, elle peut craindre d'autres agressions sur ses infrastructures.
Russia destroyed another grain elevator in #Ukraine. An aerial bomb hit an elevator complex in Rubizhne, Luhansk oblast. It was built in 2020.
— Alexander Khrebet/Олександр Хребет (@AlexKhrebet) June 23, 2022
Russia continues to use hanger as one of the main weapons of this brutal war against Ukraine and the whole West. pic.twitter.com/DitTP3CEdI
En détruisant les cultures et installations céréalières ukrainiennes depuis le début de l'invasion, la Russie affaiblit l'une des principales économies de son ennemi. D'autant qu'elle lui a volé environ 700 000 tonnes de céréales (plus de 100 millions de dollars), selon l'ONU, et l'empêche d'exporter sa marchandise en contrôlant les ports. Mais au-delà de l'aspect financier, c'est la privation de nourriture qui terrorise.
Le chef de la diplomatie européenne, l'Espagnol Josep Borrell, a ainsi accusé la Russie de commettre un «véritable crime de guerre» en bloquant ces exportations. Il a ajouté:
Le risque de famine est particulièrement important pour des pays en Afrique et au Moyen-Orient. Mais les craintes sont aussi vivaces en Ukraine, où ces destructions et privations d'aliments ont ravivé des cauchemars chez les plus vieux de ses citoyens. Parmi eux, Maria Gontcharova, 93 ans. «Je pense que la faim va revenir», angoisse cette habitante de la région de Kharkiv dans une interview pour L'agence France-Presse (AFP). Elle est une survivante de l'Holodomor.
Des renseignements déclassifiés mettent en lumière les attaques des forces russes contre les terminaux céréaliers ukrainiens y compris une attaque à Mykolaïv le 4/6. Le monde doit rendre la Russie responsable de ses actions qui portent atteinte à la sécurité alimentaire mondiale. pic.twitter.com/pzk7dDbzNh
— USA en Français (@USAenFrancais) June 24, 2022
Quèsaco? Ce nom aux sonorités de territoire ou de montagne du Seigneur des anneaux définit l'une des périodes les plus sombres de l'histoire ukrainienne. Littéralement, le terme signifie «famine», mais il est traduit par «extermination par la faim». Entre 1931 et 1933, près de 5 millions d'Ukrainiens et Ukrainiennes sont morts de faim. En cause: la dépossession de leurs récoltes et nourriture par les troupes soviétiques. Ces représailles ont été orchestrées par Staline, qui souhaitait punir les paysans refusant la collectivisation de leurs terres et, par extension, l'idéologie communiste que la toute récente URSS voulait imposer sur tous ses territoires.
«Nous avons survécu uniquement en faisant cuire une pomme de terre et de la farine moulue chaque jour», rappelle Maria Gontcharova. La nonagénaire pense que cette apocalypse peut revenir:
Elle n'est pas la seule à faire le lien entre la tragédie du début des années 1930 et la situation actuelle. «Les années 1930 sont très propices à l’établissement de parallèles, car il s’agissait également d’une tentative d’anéantissement de ce que nous pouvons appeler aujourd’hui la nation politique ukrainienne», analyse pour l'AFP Lioudmila Hrynevitch, directrice du centre de recherche et d’éducation de l’Holodomor.
Les souvenirs racontés par une survivante à l'écrivain Josef Winkler pour son livre L'Ukrainienne (2022) vont dans le même sens:
En plus des privations de denrées, les troupes soviétiques ont assassiné ou déporté vers la Sibérie des paysans ukrainiens qui se rebellaient contre leur autorité. Staline a également ordonné d'éliminer les familles qui quittaient leur village pour trouver de quoi se nourrir ailleurs. Cette famine a entraîné son lot d'horreurs, outre les décès causés par la malnutrition.
L'objectif du dictateur soviétique était de faire plier les Ukrainiens et tuer leurs velléités nationalistes en décimant leur production agricole. Exactement comme Vladimir Poutine aujourd'hui, selon plusieurs observateurs.
Ira-t-il jusqu'à reproduire la cruauté de son prédécesseur en affamant ses adversaires? On le craint jusque dans les plus hautes sphères de la politique ukrainienne. Andriï Yermak, chef de l’administration du président Volodymyr Zelensky, affirmait récemment que la Russie tentait de «refaire l’Holodomor».
Si c'est le cas, Moscou ne pourra plus, à l'ère des réseaux sociaux et des médias de masse, cacher aux yeux du monde ces atrocités comme elle l'avait fait dans les années 1930 et pendant des décennies encore. Ce n'est qu'en 2006 que l'Ukraine, pourtant victime, a reconnu l'Holodomor comme un génocide. La même année, une exposition sur la thématique a été saccagée dans la capitale russe.
En Ukraine, l'Holodomor est commémoré chaque année par les autorités qui mettent les drapeaux en berne et vont à la messe. Les citoyens ont pour habitude de mettre des bougies à leur fenêtre et près des monuments qui rendent hommage aux victimes. Des plaies qui n'ont pas encore cicatrisé et dont toute une nation craint la réouverture.