Le 24 février, la Russie a lancé une invasion à grande échelle en Ukraine. Depuis, des crimes de guerre ont été commis – probablement par les deux parties. Le droit international humanitaire, qui prévoit la «protection la plus large possible» des personnes, des bâtiments, des infrastructures et de l'environnement naturel contre toute action de combat, a profondément été violé.
Il n'existe pas encore de tribunal pour les crimes de guerre commis pendant la conflit en Ukraine. Des rapports et des évaluations d'organisations internationales comme l'ONU, l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et l'Union européenne donnent toutefois un aperçu des conséquences des combats et de l'impact de la guerre d'agression sur la population. Les principaux éléments à disposition:
Lorsque, début avril, les soldats ukrainiens entrent dans la ville libérée de Boutcha, au nord de Kiev, une image d'horreur s'offre à eux. Des corps sans vie au milieu de la rue, dont certains ont les mains attachées dans le dos. Tous des civils. Ces atrocités ont suscité l'effroi dans le monde entier.
Depuis, Boutcha est devenu le symbole des crimes de guerre commis dans la banlieue nord de la capitale ukrainienne par les troupes russes, qui y comptaient environ 40 000 hommes pendant les trois semaines d'occupation. De nombreux civils tués ont également été découverts dans d'autres banlieues de Kiev comme Irpin, Hostomel et Borodjanka.
Jusqu'en août, 458 corps ont été retrouvés rien qu'à Boutcha, selon les données ukrainiennes; 419 d'entre eux portaient des marques de mauvais traitements et ont été exécutés. Plusieurs jours après le retrait des troupes russes, d'autres fosses communes et salles de torture sont apparues dans la banlieue de Kiev. En outre, des corps ont été retrouvés dans des égouts, des fossés et des puits.
La Mission d'observation des Nations unies en Ukraine (HRMMU) a récemment confirmé que les atrocités commises dans la banlieue de Kiev pouvaient être qualifiées de crimes de guerre.
L'enquête des experts en droits de l'homme s'est d'abord concentrée sur la phase initiale de l'invasion en février et mars et sur les régions de Kiev, Tchernihiv, Kharkiv et Soumy. Lors de visites sur ces sites d'opérations, la commission a été frappée par le nombre élevé d'exécutions. Les victimes ont souvent été arrêtées et ligotées avant leur mort. Les corps présentaient des blessures par balle dans la tête et des gorges tranchées.
Récemment, des écoutes téléphoniques de soldats russes avec leurs proches ont été publiées par les services secrets ukrainiens. Des soldats désabusés ont fait état, principalement dans la banlieue de Kiev, de tortures et d'assassinats de civils.
Selon la HRMMU, les disparitions et les arrestations arbitraires dans les zones occupées par les troupes russes ou les séparatistes prorusses étaient très répandues. Des cas de violences sexuelles et de viols ont également été documentés. Depuis le début de l'invasion russe, la mission a enregistré 6114 morts civils, ainsi que 9132 blessés (au 3 octobre). Les chiffres réels sont probablement bien plus élevés, car il est difficile d'obtenir des informations exactes dans les zones de conflit.
Le siège de Marioupol par les forces prorusses a duré bien plus longtemps que l'occupation des faubourgs de Kiev. Dès le 2 mars, l'approvisionnement en eau et en électricité, ainsi que toutes les infrastructures de la ville portuaire ukrainienne se sont effondrés à la suite des bombardements à grande échelle. Ce n'est qu'à la mi-mai que les derniers défenseurs de la ville, retranchés dans l'aciérie Azovstal, se sont rendus.
Selon les autorités locales, des milliers de personnes ont déjà été tuées pendant le premier mois. Non seulement elles sont mortes sous les bombes et les obus, mais également, selon le Programme alimentaire mondial de l'ONU, de malnutrition. L'organisation Médecins sans frontières a en outre remarqué que la mort de nombreux habitants de la ville, aujourd'hui détruite à près de 90%, était aussi grandement due au manque de soins médicaux.
L'évacuation de civils et l'aide humanitaire d'urgence dans la ville par le CICR ont été empêchées à plusieurs reprises. Une fosse contenant probablement jusqu'à 20 000 cadavres, des habitants de la ville, a notamment été découverte en juin. Le nombre exact de victimes n'est pas connu à ce jour.
L'Union européenne a condamné l'action russe dans cette ville portuaire autrefois florissante comme un crime de guerre. Les diplomates occidentaux considèrent que le siège de la ville est comparable à celui d'Alep en Syrie, où des centaines de milliers de personnes ont trouvé la mort. Les images du bombardement du théâtre de Marioupol et d'une maternité ont fait le tour du monde.
Au moins 1000 civils auraient cherché à se mettre à l'abri dans le théâtre au moment du bombardement. Par ailleurs, les forces armées russes ont déporté des milliers de civils de Marioupol vers la Russie, contre leur gré, ce qui constitue également une violation du droit international.
Le rapport récemment publié par les Nations unies a également permis de constater que les prisonniers de guerre ukrainiens sont torturés ou subissent des traitements cruels. «De tels mauvais traitements semblent être systématiques, non seulement après la capture des soldats, mais aussi après leur transfert vers des lieux d'internement», a déclaré Erik Møse, président du HRMMU. L'image de Mikhailo Dianov, combattant ukrainien d'Azov récemment libéré lors d'un échange de prisonniers, a fait le tour du monde.
Left: Ukrainian marine Mykhailo Dianov inside the Azovstal steel plant during the siege of Mariupol in May.
— The Kyiv Independent (@KyivIndependent) September 23, 2022
Right: Dianov in a Kyiv hospital after his release from Russian captivity in late September.
📷 Olena Lavrushko/Dmytro 'Orest' Kozatskyi pic.twitter.com/C681jJPOxj
Les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre sont contraires aux Conventions de Genève, selon lesquelles les prisonniers de guerre ont droit à une protection. En juillet, un simulacre de procès contre des membres de l'armée ukrainienne dans la ville de Donetsk, occupée par la Russie, a attiré l'attention de la communauté internationale. Des crimes contre les prisonniers de guerre sont cependant commis par les deux parties. Certains prisonniers de guerre russes ont également été torturés et maltraités par les forces armées ukrainiennes. En avril déjà, une vidéo montrant l'exécution de soldats russes – qui s'étaient rendus à Kiev dans le cadre du retrait de la région – est devenue virale.
450 tombes anonymes ont été découvertes dans une forêt près de la ville d'Izioum, libérée début septembre dans la région de Kharkiv. Les recherches ne font que commencer, mais de nombreux indices laissent penser que les massacres ont été aussi atroces que dans les faubourgs de Kiev. Selon les observateurs internationaux, de nombreux corps exhumés jusqu'à présent portaient des traces de torture.
D'après le chef de la police ukrainienne Ihor Klimenko, dix prisons dédiées à la torture ont été découvertes jusqu'à présent dans toute la zone libérée de l'oblast de Kharkiv. Six se trouveraient à Izioum, deux dans la ville de Balakliya, également libérée.
Des témoignages confirment déjà les accusations de torture portées contre les occupants russes. Parallèlement, les purges de l'armée ukrainienne contre les collaborateurs, qui ont commencé avec la libération des territoires et sont documentées, doivent également être considérées comme des crimes de guerre.
Outre les massacres de Boutcha ou d'Irpin, qui ont fait l'objet d'une attention mondiale, les forces armées russes ont également commis divers crimes de guerre en tirant à plusieurs reprises sur des convois ou des installations civiles, comme par exemple sur le marché de Sloviansk, dans l'est de l'Ukraine. Après plus de sept mois de guerre, leur nombre est trop élevé pour pouvoir les compter. Dernièrement, une attaque à la roquette contre un convoi de voitures civiles dans la ville de Zaporijjia, dans le sud de l'Ukraine, a fait 30 morts, selon des sources ukrainiennes.
Parfois, des villes ukrainiennes comme Kharkiv au nord-est ou Mykolaïv au sud-ouest sont également la cible d'attaques de roquettes. Des installations civiles et des habitations sont souvent touchées. Rien qu'au mois de septembre, selon les données de l'ONU, 1222 civils ukrainiens sont morts à cause de la guerre. La plupart d'entre eux ont été victimes de tirs d'artillerie ou de roquettes.
Le nombre de crimes de guerre russes qui seront encore révélés dépendra également de la réussite des contre-offensives ukrainiennes. Car le déroulement de la guerre jusqu'à présent le montre: plus les territoires libérés par l'armée ukrainienne sont nombreux, plus les atrocités commises par les occupants sont dévoilées au grand jour. (aargauerzeitung.ch)
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder