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Si la guerre en Ukraine vous angoisse, regardez-la bien dans les yeux!

Si la guerre en Ukraine vous angoisse, regardez-la bien dans les yeux!

Pour protéger votre santé mentale, votre premier réflexe est de vous couper des informations.
Pour protéger votre santé mentale, votre premier réflexe est de vous couper des informations.Image: Shutterstock
Votre anxiété n'a rien d'anormal. Mais si, pour protéger votre santé mentale, votre premier réflexe est de vous couper des informations, cela peut avoir l'effet inverse de celui escompté.
06.03.2022, 11:4707.03.2022, 08:35
Hélène Pagesy / slate
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«Je vais paraître ridicule, mais ce qui se passe avec la Russie me fait très peur. Je n'arrive pas à décrocher des réseaux. Je fais déjà des crises d'angoisse de base, mais là c'est encore pire»; «Quand ce n'est pas le Covid qui t'angoisse, c'est la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Laissez-moi respirer»; «Je suis d'habitude assez détaché de ce qui se passe dans le monde, mais voir toutes ses souffrances générées par la folle décision d'un seul homme, en Europe? je crois que j'ai peur pour notre monde»; «Je n'arrive plus à bosser. Ma capacité de concentration avant que des pensées anxiogènes ne me traversent et me paralysent est de 3min10»?

Depuis l'annonce de l'invasion russe en Ukraine, le 24 février, ce type de témoignages afflue sur les réseaux sociaux.

Dans les cabinets des professionnels de la santé, aussi, des personnes évoquent un état d'anxiété très palpable. «Dès que l'Ukraine a été envahie par l'armée russe, les patients que je vois chaque jour ont fait état d'une montée d'angoisse liée à cet événement», témoigne le psychiatre Patrick Clervoy, spécialiste de l'anxiété et des traumatismes de guerre et professeur agrégé de l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce. «Ils évoquent un mal-être, avec un esprit envahi en permanence par les informations et les images.»

Deux années de pandémie éprouvantes

Ce mal-être peut paraître insignifiant en comparaison de ce que vit la population ukrainienne – un dernier bilan fait état de 352 morts et le nombre de réfugiés, actuellement de 660 000, ne cesse d'augmenter. Il mérite pourtant que l'on s'y penche, ne serait-ce que pour comprendre d'où provient ce sentiment d'inquiétude très répandu dans la population, et les différents facteurs qui le nourrissent. Comme le fait remarquer Patrick Clervoy, qui a lui-même effectué plusieurs missions militaires en hôpital, «les conflits en Yougoslavie étaient beaucoup plus proches de nous géographiquement et les événements de guerre urbaine étaient assez identiques à ce qui se passe actuellement en Ukraine. Pourtant, le niveau d'inquiétude des Français n'était pas le même.»

Les deux années de pandémie ont été éprouvantes d'un point de vue psychologique pour la majeure partie de la population et peuvent encore avoir des répercussions sur notre état de fatigue actuel. Au moment où nous pensions pouvoir souffler de nouveau et reprendre un semblant de vie normale, du moins pour les plus chanceux d'entre nous, «le monde qui se rouvre est un monde d'oppositions et de conflits, analyse Patrick Clervoy. En lançant cette opération militaire en Ukraine, Vladimir Poutine nous enlève ce rêve de détente et de loisirs que l'on attendait tous après la pandémie, ainsi que l'espoir de retrouver un espace international apaisé dans lequel tout le monde peut circuler à sa guise.»

Outre l'épuisement et la lassitude liés au Covid, nous faisons face à un flot constant d'informations et d'images liées au conflit en Ukraine. Les journaux de presse française comme étrangère lui consacrent leur une, les émissions de télé et de radio mettent en place des émissions spéciales. «Tout le monde sent que l'événement est grave et que le monde entier est crispé, comme c'était le cas pour les attentats du 11 Septembre.

«Le fait que la Suisse, pays traditionnellement neutre, a décidé de prendre position contre le président russe et les oligarques qui le soutiennent participe à l'effet de surprise et de stupeur»
Patrick Clervoy, psychiatre.

Cette sur-information dans laquelle nous sommes immergés produit un état d'alarme.» En France, la période pré-électorale et l'actuelle présidence française du Conseil de l'Union européenne rendent cette médiatisation d'autant plus importante.

Une menace encore inconnue

Pour le spécialiste, le personnage imprédictible de Poutine, ancien officier du KGB et ancien jeune directeur du FSB, le service de renseignement russe post-URSS, participe aussi à l'anxiété ambiante. «C'est un homme des services secrets, il n'est pas passé par la voie politique classique. C'est quelqu'un qui croit que des actions occultes sont des actions qui portent.» Et d'ajouter: «Poutine a toujours souhaité développer une image d'homme viril.» Or, une incertitude persiste. Continuera-t-il sur cette posture virile? Aura-t-il la capacité d'admettre un semi-échec ou sera-t-il jusqu'au-boutiste? Toutes ces interrogations alimentent notre angoisse.

«Tous mes patients se posent la question: quel monde allons-nous laisser demain à nos enfants?»

Cette anxiété est d'autant plus difficile à combattre que Poutine joue de cette opacité. Le président russe nous plonge dans un sentiment d'angoisse en nous mettant dans l'incapacité à nous représenter ce qu'il veut. «Nous sommes incapables de mesurer la menace qu'il représente, et devant l'inconnu d'une menace, nous avons toujours tendance à imaginer le pire», analyse le psychiatre.

Angoisse = incertitudes

L'angoisse relève en effet de l'incapacité à pouvoir cerner la réalité de la menace à laquelle nous sommes exposés et à pouvoir anticiper nos actions pour y faire face. «Là où Poutine est un grand stratège, c'est qu'il nous empêche d'avoir cette capacité d'anticipation. Est-ce qu'il veut toute l'Ukraine? Veut-il uniquement l'Ukraine ou tous les pays baltes? Il joue de cette incertitude», poursuit le spécialiste.

Enfin, Patrick Clervoy ajoute une autre dimension psychologique à l'angoisse générée par ce conflit. «Tous mes patients se posent la question: quel monde allons-nous laisser demain à nos enfants? Nous voyons le monde basculer dans ce qu'on peut appeler une forme de chaos. Les choses qui étaient établies se voient bouleversées, Vladimir Poutine a eu des propos directement menaçants vis-à-vis de nous? Il y a une anxiété pour nous-mêmes mais aussi pour les générations futures.»

Atténuer les sentiments négatifs

En période de crise et de danger, la posture réflexe est le repli sur soi. Pourtant, s'il est tentant de faire l'autruche et de couper tous les canaux d'informations pour protéger sa santé mentale, cela peut entraîner l'inverse de l'effet escompté.

«Pour atténuer l'angoisse, s'informer sur la réalité des risques est la démarche préalable. Mais l'action la plus efficace pour atténuer nos sentiments négatifs, c'est de se bouger, de participer à l'élan collectif et aux différentes actions solidaires. En participant par exemple à une collecte de dons, chacun a le sentiment de répondre à la menace en mobilisant ses forces, aussi modestes soient-elles. C'est très sain.»
Patrick Clervoy, psychiatre

Depuis l'invasion en Ukraine, la solidarité s'organise partout en France, dans les petites comme dans les grandes villes: accueil des réfugiés, collectes de dons pour les produits de première nécessité, convois humanitaires, dons aux associations, etc. France Bleu a d'ailleurs eu la bonne idée de créer une carte pour répertorier les différentes actions auxquelles il est possible de participer près de chez soi.

Solidarité qui aide

Pour Patrick Clervoy, il n'y a aucun doute: c'est cette solidarité qui se développe à l'échelle planétaire qui nous permettra d'entretenir nos forces de manière durable. «Après la pandémie, nous pensions être faibles et voyions la France et le reste du monde divisé. Or, cet événement permet d'agréger nos forces; nous avons le sentiment que nous sommes une collectivité capable de s'unir. Cela a un effet apaisant sur notre anxiété, car cela veut dire qu'en tant que citoyen français, je ne suis pas seul. D'autres citoyens dans le monde s'engagent aussi.» D'où l'importance que les médias insistent également sur cet élan de solidarité sans commune mesure.

Selon le psychiatre, cette angoisse que nous ressentons est une manifestation de notre empathie envers le peuple ukrainien. Il n'y a aucune honte et aucune culpabilité à la ressentir. Au contraire, utilisée à bon escient, vous savez maintenant que cette angoisse peut sauver des vies.

Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

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