«Nous ferions tous mieux de nous concentrer sur la façon de remettre la Russie à sa place.» Cette déclaration émane du chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kuleba. Samedi, le ministre des Affaires étrangères a enguirlandé Emmanuel Macron pour son appel à «ne pas humilier la Russie». Le président de la République, qui tient toujours Vladimir Poutine au bout d'un mince fil téléphonique et diplomatique, a donc exaspéré l'Ukraine, mais également une partie de l'Union européenne.
A quelques foulées du premier tour des élections législatives, Jean-Luc Mélenchon a décidé, sans grande surprise, d'attraper la polémique pour la fourrer dans un micro. C'était mardi matin, dans les studios de France Inter:
L'Ukraine qui se prend une leçon de bienséance de la part de Mélenchon le nerveux? Bien sûr, la figure de proue de la Nupes est en campagne. Bien sûr, mardi matin, il a passé d'autres polémiques en revue. Dont une bruyante foire d'empoigne avec Léa Salamé à propos du chômage et une série de coups droits destinés à la police française qui «tue». Mais si ce tacle stratégique (et, avec lui, le soutien au président de la République) atterrit dans un agenda politique ouvert à la bonne page, il a le mérite de soulever un point plutôt inédit dans le cadre de la guerre en Ukraine. C'est d'ailleurs la conclusion de sa tirade qui enfonce le clou: «On mérite mieux que des réparties à la volée.» Ras-le-bol de se faire remonter les bretelles?
Davantage qu'une habile combine «électorale», Alexandre Eyries analyse la saillie provocante du politicien français comme la traduction d'une peur réelle chez certains élus de voir la France réduite à «une docile vache à lait qui se fait taper sur les doigts». Et la formule magique de la communication de Volodymyr Zelensky repose précisément sur un délicat (mais très efficace) mélange d'émotion et de fermeté. Maintenir coûte que coûte un élan de solidarité au niveau mondial et garantir à ses troupes un maximum de livraisons d'armes en provenance de l'Occident.
Si bien que depuis le mois de février, le président ukrainien «exhorte», «prie», «appelle» tous les pays du monde à «accentuer», «intensifier», «multiplier» leurs soutiens: munitions, formations, sanctions contre la Russie. Avec un succès imperturbable et un aplomb qui ne faiblit pas, mais, aussi, avec le risque, un jour, de «lasser l'opinion publique».
Derrière la déclaration criarde de Jean-Luc Mélenchon sur France Inter se cache, peut-être, un futur défi géopolitique capital: éviter le retour de bâton, à force de maintenir la pression. «De mémoire d'homme, jamais un pays en guerre n'a reçu un tel déferlement de soutiens militaires, logistiques et symboliques. C'est fantastique et Zelensky le doit principalement à son image et à sa force de persuasion. Mais il aurait tout intérêt à inclure, bientôt, une forme de reconnaissance dans ses messages officiels.»
Pour notre spécialiste en communication politique, la verve convaincante, mais musclée, du président risque à la longue de refroidir la générosité naturelle de certains chefs d'Etat: «Personne n'aime être indéfiniment culpabilisé, mis sous pression ou montré du doigt. Il ne faudrait pas que le pays se retrouve un jour face à une dette impossible à rembourser.»
Si Volodymyr Zelensky manie la gratitude au compte-gouttes, et principalement dans des tweets qui viennent conclure ses fameux entretiens téléphoniques diplomatiques, ce n'est pas tout à fait un hasard. «La gratitude, en politique, est une arme à double tranchant. On aime toujours les hommes forts et les femmes fortes. Et Zelensky a une crédibilité de chef de guerre à maintenir. Or, remercier, peut être vu comme un aveu de faiblesse.»
Reste que cette peur est tournée vers l'avenir puisque l'Europe n'est, pour l'heure, pas prête de fermer le robinet en matière de soutiens militaires.
Alexandre Eyries vient de publier le livre Lectures critiques en communication 2. Politique, médiations, cultures aux éditions L'Harmattan.