Roland Favre* a été loyal pendant quatre décennies. Il a passé presque toute sa carrière dans la même entreprise, traversant toutes les tempêtes et travaillant dans tous les départements: de vendeur par correspondance à chef de la logistique.
Il est resté quand d'autres sont partis. Il a appris, grandi et s'est adapté. Et puis le sexagénaire a tout simplement été mis à l'écart.
Depuis deux ans, Roland Favre n'a plus d'emploi fixe. Il avoue:
La nouvelle est tombée un matin comme les autres: l'entreprise devrait supprimer 200 postes dans toute l'Europe, disait-on. Sur des milliers de collaborateurs, ça ne représente pas grand-chose, mais suffisamment pour que le nom de Roland Favre figure sur la liste des malheureux concernés. Il lui a fallu du temps pour digérer la nouvelle. Il raconte:
Il apprendra par la suite que son poste a été délocalisé: en partie en Allemagne, en Autriche et en Slovénie. Il ne peut que supposer la raison de son licenciement, et il hypothétise:
Il a informé son employeur de sa volonté de clarifier la situation avec un avocat. On lui a alors finalement proposé six mois d'indemnités de salaire, en plus du délai de résiliation de quatre mois. «Sans cette petite pression-là, ils ne l'auraient probablement pas fait, bien que le conseil juridique ait considéré mon licenciement comme abusif», détaille-t-il.
Roland Favre s'est immédiatement inscrit à l'office régional de placement (ORP) et a suivi un coaching sur les postulations. Alors qu'il était encore en période de préavis, il a commencé à envoyer des candidatures. Il devait en faire au minimum dix par mois. Il en a préparé plus de 150 au total, et aucune n'a débouché sur une place fixe.
A 61 ans, il n'était pas non plus question de partir en retraite anticipée. Lors d'un rendez-vous avec son conseiller bancaire, on lui a expliqué que, financièrement, ce serait juste. Il a donc continué à postuler, sans succès:
C'est alors qu'un recruteur l'a approché. Roland Favre a ainsi décroché un emploi temporaire en logistique, pour lequel il était qualifié. D'abord pour deux mois, à 50%.
Son contrat a ensuite été prolongé plusieurs fois. En tout, il sera resté quinze mois à environ 80% dans cette entreprise. Malgré ce gain intermédiaire, il doit poursuivre ses postulations. Huit par mois, pendant toute la période, pour que la caisse de chômage lui verse sa compensation.
Le contrat s'est achevé fin janvier de cette année, et Roland Favre est retourné au chômage. Il n'a rien retrouvé pour l'instant. Mais il a failli: un chef du personnel l'avait trouvé sympathique, avant d'admettre ouvertement que le poste n'attirait que des jeunes à cause d'une rémunération à 18 francs de l'heure.
Il ne lui reste donc que l'allocation de chômage. Comme il a eu un contrat à durée déterminée pendant quinze mois, il a «tout de même pu économiser des indemnités journalières». Il en dispose donc encore de 520. Mais Roland Favre ne comprend pas:
Selon le Secrétariat d'Etat à l'économie, les personnes de plus de 55 ans ont droit à 520 indemnités journalières si elles ont cotisé pendant au moins 22 mois, ainsi qu'à 120 indemnités journalières supplémentaires si elles perdent leur emploi dans les quatre ans précédant l'âge légal de la retraite. Le droit maximal atteint ainsi de 640 indemnités journalières.
Ce qui vient après, personne n'en veut. «Là, il n'y a plus qu'à aller au social», réagit Roland Favre. Mais si quelqu'un venait à perdre son emploi quelques années plus tôt, il n'aurait aucune chance d'y échapper. Roland Favre grince des dents:
Pour soulager l'AVS, le Conseil fédéral veut rendre les retraites anticipées moins intéressantes et inciter les gens à travailler volontairement plus longtemps. Pour Roland Favre, il s'agit d'une «discussion déconnectée de la réalité».
Il connaît beaucoup de personnes dans son cas. Des hommes qui ont été mis à la porte à 56, 58 ou 60 ans. Roland Favre estime que c'est parce qu'ils sont devenus trop chers. Pas nécessairement en termes de rémunération, mais à cause de la part LPP.
A partir de 55 ans, les entreprises paient 18%. De 25 à 35 ans, elles ne contribuent qu'à hauteur de 7%. «La fidélité coûte par conséquent assez cher». Il comprend malgré tout que les jeunes ne veulent pas non plus d'un alignement des pourcentages, car cela ferait baisser leur salaire.
Roland Favre pense «qu'il faut une nouvelle solution. Le Conseil fédéral ferait peut-être bien de trouver une autre source de financement. Peut-être une sorte de subvention croisée?» Même si lui-même n'en profiterait pas.
Il lui reste encore un an et demi en tant qu'actif. D'ici là, il continue de postuler tous les mois, et se demande parfois ce que vaut encore la loyauté de nos jours.
Mais il ne perd pas espoir:
*(nom d'emprunt)
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)