Dimanche passé, je vous abandonnais sur mes tentatives de fabrication d'un dentifrice maison.
En traversant les rues du centre-ville, je note un changement. Et non des moindres. Désormais, je peux passer devant un supermarché sans grimacer de douleur. Mieux: je le snobe. Même pas un petit pincement au coeur à l'évocation de mon yahourt aux vermicelles.
Le défi serait-il en train de fonctionner? 14 jours après le début de l'aventure, suis-je en train de muter en citoyenne éco-responsable?
C'est certain, je suis sur le point de changer le monde.
Hm... en fait, pas si sûr. Lundi midi, à proximité de l'antre diabolique (une Coop), un monsieur à la barbe hirsute m'aborde:
Oulà. Attendez, je ne peux décemment pas avouer à un sans-abri que je boycotte les grands magasins pour un challenge, sous motif impérieux de flatter mon égo.
Alors, je balbutie la même excuse que tout le monde «désolée-pas-le-temps-pas-de-monnaie» en l'évitant du regard. Et retourne au boulot l'appétit coupé et le moral zappé. Foutu défi censé me donner bonne conscience - et finalement, tout juste bon à me rappeler mes privilèges de petite Suisse pourrie gâtée.
Dans le premier épisode, je vous relatais ma première rencontre (compliquée) avec une bouteille de vin bio pas bonne, que la caviste m'avait généreusement proposé de troquer contre un autre vin.
Je suis au regret de vous annoncer que ce second essai ne s'est pas révélé plus heureux.
Fait chier, quoi. J'adore cette caviste, j'adore ses conseils, j'adore le fait que chacun de ces vins choisis amoureusement ait une histoire. Bref, j'adorerais adorer son vin.
Alors, tête basse, je retourne lui confier mes craintes vinicoles: mon palais est-il définitivement pas-assez-cool pour apprécier la saveur si particulière d'un nectar biologique?
Compréhensive, ma caviste me suggère de récidiver avec un autre bouteille qui devrait me correspondre davantage. Son dernier argument achève de me convaincre:
Je quitte son commerce avec une carte de membre et une troisième tentative. En espérant que ce soit la bonne.
Autre chose que j'aurais adoré adorer, sans succès hélas: mon dentifrice maison. Non seulement j'y ai mis mon coeur, mais surtout mes moyens. (Pour rappel, j'ai dépensé 30 francs pour sa fabrication).
Mais rien à faire. C'est immonde, ce truc. Juste une pâte sablonneuse au goût de rien et qui ne donne même pas l'impression d'avoir les dents propres. Heureusement, deux considérations me sauvent la mise:
Il me suffit d'attendre qu'elle renouvelle d'elle-même le tube de dentifrice de la salle-de-bains. Trop facile. Mes dents ne se sont même pas encore déchaussées.
Manifestement, le Conseil fédéral n'a pas entendu parler de mon challenge. Sinon, il aurait choisi un autre mois pour annoncer la fin du masque obligatoire dans les magasins.
Deux ans que je n'ai pas vagabondé dans une grande surface le nez à l'air. La tentation est trop forte. Je veux sentir l'atmosphère. Revoir le visage des caissières en blouse orange. Renifler avidement le parfum des alignées de pains précuits. Sourire bêtement au vigile à la sortie.
Vendredi midi, je cède à l'appel des sirènes. Juste pour une promenade. Et promis, sans rien acheter.
Je passe les portiques avec l'impression de commettre un double péché. 1- Non seulement je n'ai rien à faire dans un supermarché, mais en plus, 2- il me manque un truc sur la tronche.
Quelques mètres suffisent à me rappeler que certains trucs de la Migros ne m'avaient pas du tout manqué.
Ma balade dans l'antre du capitalisme diabolique s'achève dans un mélange de plaisir coupable et de souffrance. Il est 12h36, je meurs de faim, je pourrais me jeter sur n'importe quelle merde ultra-transformée exposée sur ces alignées de rayons impersonnels.
Et dire que j'avais presque réussi à oublier l'existence du Philadelphia à la truffe, des chaussons aux épinards ou ramequins au fromage surgelés. Sans parler des sticks de poisson (ben ouais, n'a pas bon goût qui veut).
Affamée et un brin frustrée par cette balade en milieu hostile, je fonce dans mon nouveau spot: Terre vaudoise.
Ce magasin (qui, comme son nom l'indique, ne vend que des produits vaudois) est super. D'abord, il propose un choix redoutable de biscuits artisanaux. Ensuite, parce que je peux y satisfaire mon appétit de yahourts aux goûts improbables (vous connaissiez le yahourt à la raisinée? Maintenant oui). Et en plus, j'y ai trouvé des cervelas.
Ce shop se transforme en défouloir. Je comble mes crampes d'estomac frustré avec un pâté au poulet et un morceau de fromage, réapprovisionne mes stocks de produits laitiers, et pour le dessert, je craque pour un paquet de bricelets à la crème (que j'ai plutôt intérêt à savourer, vu son prix. Je n'ai pas osé calculer le prix du bricelet à l'unité).
Samedi après-midi, pour me faire plaisir, mon Jules me ramène une délicate tomme de chèvre cendré (de la Coop, mais ça ne compte pas, puisque je n'ai RIEN DEMANDÉ). Et nous en venons à nous demander:
J'ignore si un vendeur de supermarché aurait pu répondre à cette interrogation ô combien existentielle. En tout cas, je profite d'un passage par la laiterie pour interroger la fromagère.
Ils en savent des choses, les gens du métier.
Voilà, vous pourrez ressortir l'anecdote lors de votre prochain apéro. Ne me remerciez pas.
Dimanche, je lance un appel désespéré sur le groupe Facebook de Lausanne sans supermarché.
Je soupçonne qu'il me serait plus facile de me procurer du Kombucha ou des baies de Goji que du bête papier pour le four.
Je suis encore en attente de réponses. Non sans une certaine appréhension. Et cette fois, ne venez pas me dire que je peux le fabriquer moi-même.
A dimanche prochain!