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Comment faire face aux images artificielles trop réalistes

Des images plus vraies que nature...
Des images plus vraies que nature...dr / midjourney
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Comment faire face aux images artificielles de plus en plus réalistes

Les images de synthèse générées à l'aide d'une intelligence artificielle s'améliorent de manière impressionnante, et ce de semaine en semaine. Il est désormais difficile, voire impossible de les distinguer de la réalité. Quels enjeux pour ces nouvelles créations? Nous décryptons le phénomène avec une experte.
02.04.2023, 08:1509.04.2023, 10:16
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«Ne crois rien de ce que tu entends et la moitié de ce que tu vois.» Ce proverbe d'origine créole, que vous auriez pu voir passer un dimanche soir sur la page Facebook de tata Ginette, est d'une brûlante actualité. Particulièrement pour la deuxième partie.

Car depuis quelques mois, les images générées par intelligence artificielle (IA) inondent le net et semblent se perfectionner à vue d'œil. Souvenez-vous, cher lecteur, il y a encore quelques semaines, nous vous parlions de ces quelques images fichtrement bien composées, mais encore faillibles (notamment au niveau des doigts):

Trump et François: le seuil de réalisme a été atteint

Les modèles d'intelligence artificielle, tels Midjourney ou Stable diffusion, semblent avoir appris de leurs erreurs à grande vitesse. Le premier, notamment, a sorti sa «version 5», la même semaine que Chat-GPT 4. Que les choses semblent avoir changé en quelques semaines...

Deux exemples sont venus se glisser dans l'actualité ces derniers jours. La première concerne de fausses images de Trump fuyant devant la police de New York, qui tente de l'arrêter. L'autre, une image du pape fringué dans une grosse doudoune immaculée et diablement stylée.

Le pape pète le style 👇

Et les images sont de plus en plus réalistes. Dans le monde francophone, de nombreux faux clichés d'Emmanuel Macron en plein cœur des manifestations contre son projet de réforme des retraites sont visibles sur Twitter.

Une image qui met le doute

Une étape importante a été franchie en France: une image des manifestations contre les retraites circule, et il est très difficile de savoir si elle est vraie ou non, explique AFP factuel. Aucun auteur ne s'est manifesté pour indiquer s'il s'agissait ou non d'une création synthétique.

Image

Ayant contacté plusieurs experts, le service de fact-checking de l'Agence France-presse (AFP) est pourtant formel: cette image n'est pas réelle. Plusieurs éléments le laissent penser, le plus probant étant le bras en bas à droite, dont l'élément de protection du CRS semble fusionner avec le reste de sa manche.

Pour autant, impossible d'être véritablement sûr que cette image ne correspond à aucun évènement réel. Cela transforme tout l'exercice de l'analyse d'image en une dangereuse inversion, sur le même principe que celui du fardeau de la preuve: faut-il désormais prouver que des images qui semblent réelles ne le sont pas?

Des moyens de vérification avant tout

Le doute est-il destiné à devenir la norme? Pour Anna Jobin, spécialiste en intelligence artificielle à l'Université de Fribourg (Unifr), il est clair qu'«il va devenir de plus en plus difficile pour les utilisateurs lambda de juger la véracité d'une image ou vidéo donnée».

«Les moyens de créer des images synthétiques se répandent actuellement beaucoup plus vite et plus facilement que les moyens de vérification»
Anna Jobin
Anna Jobin, spécialiste en intelligence artificielle

L'un d'entre eux est de faire une recherche d'image inversée par un moteur de recherche, mais ceux-ci «ne sont ni infaillibles ni suffisants», explique l'experte.

«Ce qui est sûr, c'est que les moyens de vérifications en dehors de ce qui est visible pour l'œil humain sur l'image vont gagner en importance»
Anna Jobin

«Sans vouloir minimiser les avancées technologiques, je ne suis pas surprise de voir ces systèmes s'améliorer», explique la chercheuse. «Pour moi, la question clé est de minimiser les dommages de l'utilisation de ces images. Certains d'entre eux sont immédiats et directs.» Par exemple: la pornodivulgation par image synthétique.

Globalement, l'experte craint aussi «l'érosion potentielle de confiance et de cohésion sociale» ou encore «la perpétuation d'une représentation déséquilibrée du monde due au corpus de données sur lequel ces systèmes se basent».

L'analyse à l'œil nu vit ses dernières heures

Pour l'heure, il est toujours possible de différencier une image de synthèse d'une image réelle, mais les détails permettant de le faire semblent s'amenuiser de semaine en semaine. Les doigts, par exemple, jusqu'alors détail visible de l'imperfection d'une création par IA, sont désormais de bonne — voire de très bonne — facture.

Cette image de synthèse, tirée du subreddit lié à Midjourney, représente le président américain George W. Bush Sr. en Irak. Le rendu de ses mains est parfait.
Cette image de synthèse, tirée du subreddit lié à Midjourney, représente le président américain George W. Bush Sr. en Irak. Le rendu de ses mains est parfait.subreddit midjourney

Les Décodeurs du journal Le Monde donnent quelques conseils pour mieux repérer les détails d'un fake. Voici quelques éléments qui permettent encore de distinguer — mais pour combien de temps? — une vraie photo d'un fake:

  • Une architecture des bâtiments dans le décor incohérente;
  • Des couvre-chefs aux formes étranges sur les têtes des personnages;
  • Le design étrange de certains objets — par exemple, les pieds de tables et de chaises;
  • Un grain de photo avec une impression «peinte».

Mais encore faut-il avoir l'œil et le réflexe de mettre en doute une photo. Avec le risque de remettre en cause de vrais clichés qui sortent peut-être de l'ordinaire, mais sont bel et bien vrais.

Le détail «qui tue» et permet encore de différencier les images générées par IA des vraies, sont les parties textuelles. Qu'il s'agisse d'une enseigne en fond, d'un logo sur un habit ou d'un texte sur un panneau, l'ensemble des lettres et des mots est au mieux incohérent, au pire, esthétiquement pittoresque.

Un faux «mugshot» de Donald Trump: les lettres sur le panneau n'ont aucun sens. Remarquez aussi que la reproduction erronée de certains chiffres.
Un faux «mugshot» de Donald Trump: les lettres sur le panneau n'ont aucun sens. Remarquez aussi que la reproduction erronée de certains chiffres.

Pour Anna Jobin, un des éléments essentiels est la provenance ou la source d'une image, «qui peut déjà nous servir comme premier repère: les instances officielles, les médias ou les scientifiques ne vont pas volontairement publier des images clairement fausses», explique l'experte.

«Mais ces institutions doivent faire attention à se montrer dignes de la confiance que les gens leur attribuent»
Anna Jobin

L'utilisation d'un logo?

La solution idéale serait l'application systématique d'un logo dans un des coins de l'image de synthèse. Mais, là encore, il est facile de rogner la photo pour empêcher celui-ci d'être montré.

«Un logo visible pour l'œil humain ainsi qu'une sorte de filigrane technologique seraient effectivement très utiles pour la distinction entre une image synthétique et une photo. L'identification fait partie d'un ensemble de mesures importantes et nécessaires, on doit la rendre la plus facile et accessible que possible. Mais il faut également une collaboration entre le monde politique et les experts afin d'établir des règles claires quant à la création et à l'utilisation de telles images.»
Anna Jobin

L'experte rappelle également que «des débats sur l'authenticité prédatent la vague actuelle d'images synthétiques». Les normes qui composent le «vrai» ont évolué, «que ce soit dans la peinture, le cinéma, la photographie ou d'autres domaines de représentation en image».

«Ce sont les mêmes genres de questions qui se posent avec ces images de synthèse. Elles relèvent cependant plus de l'ordre de la gouvernance que de la technologie»
Anna Jobin

Les enjeux des images de presse

Dans le monde francophone et particulièrement romand, c'est Blick qui a ouvert (malgré lui) le débat en utilisant explicitement une image d'illustration créée par Midjourney, qui a l'air plus vraie que nature. Sur Twitter, son utilisation n'a pas manqué de faire réagir:

Questionnée sur la pratique, Anna Jobin «salue que l'origine de l'image soit marquée et décrite clairement, comme le demande par ailleurs la déontologie journalistique». Elle nuance cependant: «La balance à trouver me semble très délicate».

«A l'heure où le journalisme a tout à gagner en explicitant ses méthodes et son éthique, qui le distingue d'autres sources d'informations, je ne suis pas sûre que l'utilisation de telles images serve sa crédibilité à moyen terme»
Anna Jobin

«Par ailleurs, il ne faut jamais oublier que l'intention derrière la création et la publication d'une image de synthèse et son contexte se perd vite une fois qu'elle circule», note également la chercheuse.

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